Le débat agite la politique française et l’espace public depuis les années 80. L’uniforme à l’école permet-il de résoudre les problèmes rencontrés au sein de cette institution ?
Si l’on analyse les différents argumentaires politiques, l’uniforme serait la solution pour réduire les inégalités et discriminations, rétablir l’autorité, créer du commun, imposer la laïcité, ramener le sens des valeurs de travail et de mérite dans l’école qui redeviendrait alors un sanctuaire.
D’autres considèrent que cela consiste à mettre les problèmes actuels sous le tapis, les inégalités seront toujours présentes, les discriminations se porteront sur autre chose, la crise d’autorité serait systémique, le commun se construit il ne se décrète pas et la laïcité et les valeurs ne sont pas enfermées en un habit.
Nous pourrons répondre à ces différentes positions, mais il convient d’interroger la légitimité des institutions sur un tel sujet et la pertinence de ce débat.
L’école a t-elle autorité à décider quel vêtement doit être porté ? L’État a t-il une légitimité à juger quel vêtement doit être porté dans une institution publique ?
Existe t-il une cohérence entre cette décision et le rôle de l’école ? Et finalement est-ce que cela résout les problèmes ciblés ?
L’école possède plusieurs fonctions. La première est de dispenser divers corpus de connaissances à des enfants, quelle que soit leur condition, leur statut social, leurs spécificités. Elle est gratuite et ouverte à toutes et tous. Sa mission héritée de la pensée des Lumières consiste à émanciper les individus grâce au savoir acquis pour que ces derniers deviennent des citoyens éclairés, participants impliqués dans notre démocratie. C’est lorsque l’on rappelle ces notions que l’on constate à quel point elle est en crise et dévoyée. Elle n’accueille pas tout le monde, rarement dans des conditions adaptées, et ne forme pas des citoyens mais des travailleurs en reproduisant les inégalités sociales par son fonctionnement. L’école est en crise, et si l’on en croit des ouvrages de pédagogie des années 60 cela ne date pas d’aujourd’hui.
Est ce que l’école, par conséquent, respecte son devoir moral ? Celui de respecter les misions confiées ? Il n’est pas question de critiquer ici les acteurs au sein de l’école, mais l’école en tant qu’institution et système. Si la réponse est qu’elle ne respecte pas son devoir moral, a t-elle une légitimité à imposer quelque chose comme l’uniforme qui est totalement hors d’un principe éducationnel ? Est ce qu’un système scolaire qui reproduit et accentue les inégalités sociales est légitime à juger ce qui permettrait théoriquement de les réduire ?
Il y a deux réponses possibles à cela, la première est conséquentialiste et considère que si l’uniforme peut aider l’école à mieux respecter ses missions alors elle a le droit d’imposer son port. La seconde est plus proche d’une éthique de la vertu et considère que c’est l’obligation en soi qui ne serait pas morale car elle provient d’une institution qui est elle-même dans l’incapacité de respecter ses propres devoirs moraux.
Pour la première réponse possible, il est possible de douter d’une efficacité de cette obligation. Est ce que cela va permettre d’éviter de reproduire les inégalités sociales ? Les élèves pourront-ils en ayant cet uniforme habiter un quartier bourgeois ? Est ce que les enfants en surpoids, en situation de handicap, d’une autre couleur, d’une autre culture seront dès lors acceptés car ils ont le précieux uniforme ?
Et une question plus intéressante : la société possédant un tel système scolaire va t-elle pouvoir évoluer dans son rapport au racisme, à la grossophobie, au validisme, au mépris de classe ? Pour le dire de manière plus crue, pour cesser les discriminations faut-il que tout le monde devienne riche, musclé, beau, sans situation de handicap, et blanc ?
Présenté ainsi, cela n’a pas de sens. Et quelle valeur morale anime une société pensant ainsi ? Cacher les inégalités ne les supprime pas, et ne supprime par conséquent pas les discriminations et toutes les manifestations hostiles qui les constituent.
Penser ainsi est en soi particulièrement injuste puisque ce sont les victimes qui sont alors désignées responsables des inégalités subies et qui doivent donc se cacher pour que l’école puisse remplir ses missions. A en croire les défenseurs de ce principe ce serait républicain.
C’est ce genre de notion conséquentialiste qui permet à Peter Singer, philosophe très aimé notamment au sein de l’écologie de dire des horreurs sur les personnes en situation de handicap en argumentant pour supprimer l’humanisme au bénéfice du personnisme (qui part du postulat que toute personne qui ne serait pas effective ou autonome n’a pas de valeur et peut être écartée voire plus). Car le rapport est de considérer que l’individu non conforme est l’erreur, non le système qui juge ainsi.
Si l’obligation du port de l’uniforme est en soi immorale et qu’en plus les conséquences sont inefficaces et potentiellement immorales également alors l’uniforme ne doit pas être porté.
Une solution révélatrice d’une pensée
Cet uniforme qui résoudrait la crise de l’école est en soi une conséquence d’un principe moral inhérent à notre République. Il s’agit de l’universalisme normatif.
L’universalisme normatif est présent dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et considère que les droits universels sont garantis par la norme et donc la loi.
Tout le monde de manière indifférenciée a accès aux mêmes droits de la même façon. Et si ces principes sont en danger alors il convient de préciser les normes.
Il y a deux conséquences malheureuses à ce système. Celui-ci ne tient pas compte des particularités et la société ne s’adapte de fait aucunement pour garantir l’accès réel aux droits des personnes. La seconde conséquence réside en ce que, si une personne n’est pas conforme à ce que la norme prévoit, alors elle est exclue. La norme est donc priorisée à la personne. Nous retrouvons là le personnisme au détriment de l’humanisme.
De fait, pour exister, l’universalisme normatif a besoin d’uniformisation. Uniformisation des besoins, des règles, des comportements et des fonctionnements des structures publiques.
L’école est un exemple de lieu, uniformisé, excluant : quiconque n’appartient pas à la norme (CF débat sur l’inclusion), qui n’arrive pas à s’adapter à des particularités. Et parce qu’elle n’arrive pas à s’adapter, elle exige que les enfants se conforment. L’uniforme est une exigence supplémentaire induite aux enfants pour se conformer. Et ce, parce que l’école n’arrive pas à s’adapter.
Mais si l’on raisonne encore un peu, alors l’école, qui a pour mission de former des citoyens éclairés, exige de ces futurs citoyens d’être conformes jusque dans leurs habits afin d’être intégrés et donc d’aider l’école à réussir difficilement à remplir sa mission. C’est une contradiction ontologique et morale complète.
Par contre cela révèle l’école, formatrice de travailleurs obéissants. Car le monde du travail est le lieu où l’uniforme est particulièrement présent. Et où la démocratie est particulièrement absente. La chose publique aussi finalement.
Il s’agit donc d’une idée immorale en soi, et inutile. Elle scelle définitivement le droit d’exclure, et la fin de l’école pensée comme émancipatrice.
Et l’État dans tout cela ?
L’État peut il s’arroger le droit d’obliger à porter un habit ? Serait-ce juste qu’il ait ce droit ?
Pour la même raison, non. Nous ne sommes pas des agents de l’État, les enfants non plus. Ils ne sont pas davantage au service de l’État, c’est l’inverse. Or seuls les agents de la fonction publique ont un uniforme qui peut être imposé selon leurs missions (Armée, Santé etc) ; une obligation davantage liée à leur exercice professionnel.
Les seuls régimes ayant imposé un uniforme aux enfants dans les écoles ne sont pas enviables et n’ont pas d’idéal démocratique tel que les Lumières le présentent. Tel que la France le revendique toujours. L ‘uniforme traduit un rapport hiérarchique, les enfants seraient alors au service de l’école et de l’État ce qui est contraire aux principes de l’école et de notre République.
Cela révèle cependant une crise de la démocratie que d’observer un État considérer que la citoyenneté et l’éducation peuvent être réparées grâce à un uniforme qui camoufle toutes les problématiques et ne révèle pas les individualités.
C’est encore une faillite de la société qui pèse sur les victimes de cette faillite, et en cela c’est immoral en soi et dans les conséquences de cette décision.
Il semble également que ce soit une tentative désespérée de reprendre le contrôle sur une situation qui n’est plus maîtrisée et qui est la crise de l’école et de l’éducation en France.
Ce n’est pas une raison plus légitime.
Pour conclure, l’on peut remarquer que ce débat a souvent lieu lorsque les vêtements sont instrumentalisés politiquement, avec l’abaya il y a quelques semaines.
Cette idée est donc injuste en plus d’être inefficace. Injuste car elle fait peser la responsabilité d’un échec structurel sur les victimes de cet échec, car elle met sous le tapis des discriminations qui continueront à exister, injuste car elle contredit les principes philosophiques moraux de notre société et de l’État, injuste car elle renforce l’idée d’uniformisation sous peine d’exclusion. Inefficace car cela ne résout rien et démontre une absence de solution quant aux discriminations qui existent. Créer une communauté ne se fait pas autour d’un vêtement, mais autour de principes et d’idées partagés. S’il y a bien une notion qui demeure morale c’est qu’on ne peut créer de communauté qu’avec des individualités diversifiées. Le commun n’est jamais l’identique, mais ce qui est partagé, un vêtement ne suffit pas surtout s’il a pour but d’effacer les individualités et les différences.