Depuis un mois, en réalité depuis bien plus longtemps mais une intensification a eu lieu récemment, le sujet sur l’immigration est omniprésent et mobilise littéralement l’ensemble de la classe politique. Si pour certains partis, comme ceux de l’extrême droite, ont tout intérêt de parler d’immigration qui est un sujet central et obsessionnel de leur projet politique, d’autres partis agissent en réaction de l’action gouvernementale pour y opposer une contre argumentation.
Un sujet artificiel
Il n’est pas du tout raisonnable d’affirmer que l’immigration n’existe pas. Ce n’est pas le propos.
Lorsque l’on dit que l’immigration est un sujet artificiel c’est qu’il est politiquement créé à des fins plus ou moins avouables, plus ou moins conscientes.
L’immigration est en effet instrumentalisée par une extrême droite, et un extrême centre racistes et xénophobes qui ont décidé d’en faire la cause première de toutes les problématiques que la France rencontre en contredisant sans aucune difficulté les faits et la réalité.
Non, l’immigration ne ruine pas la France, elle rapporte de l’argent.
Non, les immigrés ne sont pas des chômeurs patentés, beaucoup de nos entreprises ne résisteraient pas à leur absence.
Non, les immigrés ne sont pas coupables de davantage de délits, crimes et autres.
Les différentes études statistiques le démontrent.
De plus, notre politique familiale étant ce qu’elle est, nous avons besoin de l’immigration pour soutenir l’efficience de notre protection sociale.
Déjà, l’on peut remarquer qu’en répondant aux Fakes News de l’extrême droite je ramène à la condition d’utilité et de but, des personnes, des êtres humains. C’est une dérive que je décrirai.
L’immigration n’est donc pas un problème, mais en réalité, ce n’est même pas un sujet prioritaire, c’est à peine un sujet.
Si l’immigration n’est pas la cause de nos pires tourments, si elle n’est même pas reliée à une once de difficulté que notre société rencontre, alors ce sujet est une conséquence. Généralement, quand une cause n’en est pas une, c’est qu’elle est la conséquence d’une cause que l’on ne remarque pas, ou que l’on ne veut pas voir.
Présentement, l’immigration est un sujet mis en avant par l’incapacité de nos politiques à résoudre les problèmes qui font progresser l’extrême droite : chômage, pauvreté, crise de l’école, crise culturelle, crise du logement etc.
Cela fonctionne selon deux procédés, l’un objectif et l’autre purement subjectif.
Le premier est de considérer le plus petit facteur d’un secteur d’activité, le fait divers, afin de généraliser ce fait divers pour en faire émerger l’idée que l’immigration est responsable. Par exemple, si un enfant musulman fait une prière dans son école, c’est à cause de l’immigration que l’école va mal. Ici on reconnaît bien le Post hoc ergo propter hoc, stratégie rhétorique visant à inverser la cause et l’effet. La crise de l’école est majeure et ne dépend pas d’un fait divers, c’est la crise elle-même qui sera la cause du fait divers, et l’importance du fait divers sera le révélateur d’une école particulièrement fragile pour être tout entière sidérée par le comportement d’un enfant.
C’est parce que l’école va mal qu’on relate ce genre de situation. Si l’école fonctionnait correctement, ce fait n’aurait jamais été médiatisé et la chose serait réglée (si tant est que cela doit être réglé).
De fait, c’est parce que nous n’arrivons pas à résoudre les crises que nous connaissons que nous parlons d’immigration. Si « tout allait bien » pour le dire de façon simpliste, ce ne serait pas un sujet. Si nos politiques avaient le contrôle sur les crises que nous traversons, nous ne parlerions jamais de l’immigration autrement que pour le sujet de l’écologie ou de notre capacité à accueillir correctement ces personnes.
C’est donc un sujet artificiel qui est produit et minore les causes réelles de nos problèmes.
Le second procédé, subjectif celui-ci, est qu’il est stratégiquement plus simple de parler d’immigration que d’avouer être en échec sur tous les sujets les plus préoccupants. Il est plus simple également de profiter de cette boucle médiatique que de construire un propos sur un sujet moins médiatique et plus complexe, et il est stratégiquement plus abordable de contrer l’extrême droite ainsi. Pourtant c’est un piège et tous les partis républicains sont tombés dedans.
L’extrême droite ou la proposition de dilemmes moraux
L’extrême droite, qui a le vent en poupe, surfe ainsi sur le sujet de l’immigration gracieusement proposé par un gouvernement incompétent, pour abattre ses cartes et lancer des hameçons à des adversaires politiques qui semblent avoir une appétence pour s’en saisir. Plutôt que de choisir par eux-mêmes leurs propres arguments, la gauche et la droite réagissent et répondent aux arguments de l’extrême droite. Cruelle erreur.
Ce que l’extrême droite propose à débattre ne consiste pas du tout à établir les causes du phénomène migratoire et à potentiellement les résoudre. De fait vous n’entendrez jamais parler de la crise climatique, des famines, des guerres ou du combat pour l’eau. Cependant vous entendrez des arguments d’incarnation et d’essentialisation. Ce sont des stratégies simples qui s’appuient sur un fait divers pour ensuite construire toute une théorie sur ce qu’est l’immigration. Par exemple, un jeune adulte arrivé d’Afrique il y a dix ans a volé un paquet de pâtes au supermarché du coin. Pour l’extrême droite c’est une tragédie et cet homme est de toute façon à exclure, bannir, comme toutes les autres personnes immigrées, car elles sont toutes comme cet homme qui a volé des pâtes. Le fait devient représentatif du tout, et la personne incarne la totalité de l’immigration en France.
Le glissement secondaire est de considérer que l’immigration n’est pas le sujet, ce sont les personnes immigrées qui sont en elles-mêmes un problème.
Les politiques républicains ne savent pas répondre à cela. Et tombent dans les deux pièges en invoquant comme je l’ai fait précédemment, l’utilité de l’immigration, et la positivité des personnes immigrées.
Ce qui nous entraîne dans le célèbre dilemme du tramway. Le dilemme du tramway consiste en un sujet théorique moral qui implique de devoir obligatoirement faire un choix coûteux. Par exemple vous conduisez un tramway qui n’a pas de frein et vous devez choisir parmi une des deux voies : sur la première un bébé est attaché, sur la seconde ce sont quatre adultes. Qui sacrifiez vous ?
L’extrême droite le propose de deux façons différentes pour l’immigration : la première façon consiste à choisir quels migrants on sacrifie ce qui forcera les partis républicains à choisir selon l’utilité et c’est précisément le projet de loi actuel où l’on régulariserait pour les métiers en tension. C’est aussi la raison pour laquelle ces partis sont dans l’obligation de préciser si les personnes immigrées travaillent, payent leurs impôts etc. C’est finalement aussi la justification pour donner le droit de vote. Le respect des droits fondamentaux est alors conditionné au fait d’être un « bon immigré » qui travaille. Nous avons par contre le droit d’être un mauvais Français.
De fait le tramway passera sur les mauvais immigrés et notre empathie est telle sur ce sujet qu’on laisse les personnes mourir en Méditerranée.
Le second dilemme s’inscrit de la manière suivante et s’est parfaitement illustré dans le débat Panot contre Maréchal-Le Pen : lorsque Mathilde Panot explique qu’elle souhaite accueillir tout le monde par principe d’humanité la candidate d’extrême droite lui impose alors un dilemme : sacrifier les victimes de personnes immigrées qui ont commis des crimes ou sacrifier son principe d’accueil. Mathilde Panot est tombée dans le piège et n’a pas réussi à en sortir, car dès le début le débat sur l’immigration est un débat moralement perdant, et un débat inutile.
Cela fut d’autant plus visible quand la députée insoumise souhaita analyser les causes, elle fut renvoyée sur une injonction à faire des choix.
Si ce sujet intéresse les Français, c’est parce qu’ils ont fini par croire que c’était une cause de leurs problèmes. La responsabilité à l’extrême droite bien évidemment, aux médias également, mais aussi aux forces politiques républicaines qui ont participé à l’instrumentalisation de ce sujet et sont désormais piégées.
Si l’extrême droite a tout intérêt à parler de faux sujets, les autres partis ont ils la capacité de réfléchir sur les vrais sujets et proposer des solutions concrètes ? La victoire contre l’extrême droite passera par cette étape nécessaire.