Il y a peu de temps, j’ai lu un propos que l’on retrouve dans un grand nombre de discours sur les réseaux sociaux ou dans des textes plus complets et aboutis. Certains ouvrages en ont même fait le fil rouge d’une pensée écologiste.
Ces discours articulent l’écologie sur le principe que chacun est responsable sur ce sujet, que chacun, par l’expression d’une volonté de changer les choses, peut changer effectivement les choses. Qu’en tant que citoyen, consommateur, acteur au sein de son environnement, chaque individu peut influer réellement sur le cours des événements et contre les catastrophes qui s’annoncent.
D’aucuns considèrent alors que la somme des actes individuels peut ainsi inverser une situation mondiale qui semble inéluctable. S’il leur est rétorqué que d’autres nécessités sont à mettre en place, alors ces écologistes critiquent un fatalisme que cacherait l’argument des nécessités incontournables. Est-ce vrai ? Existe t-il un libre arbitre écologiste ou écologique ? Est-ce du fatalisme de penser qu’il faut changer d’abord le système pour aider les comportements à évoluer ? L’individu est il seul acteur au sein de la communauté ?
Une petite réflexion sur une écologie pas si éloignée du fonctionnement capitaliste et néolibéral s’impose alors.
Max Weber dans « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme », considérait, si on simplifie un peu, que les valeurs du protestantisme avaient contribué à développer le capitalisme. Il est vrai que le protestantisme, à bien des égards considère la responsabilité individuelle comme creuset de la morale et l’acte personnel comme étant libre. C’est cependant plus complexe puisqu’il existe par exemple dans la pensée de Calvin la notion de prédestination. Ajoutons à ces valeurs individuelles, le sens de l’effort et du travail très présentes chez Luther que l’on retrouve notamment chez Benjamin Franklin qui déclara que la meilleure action à faire lorsque l’on possédait un dollar était d’en obtenir un de plus et non d’en jouir avec oisiveté.
Le capitalisme s’est en effet développé sur ces valeurs d’action individuelle libre et libérée. Ces actions, si elles conduisent à la réussite, comme à l’échec d’ailleurs, permettent de mettre en exergue la responsabilité puis le mérite. Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater que le capitalisme a eu une prise aisée sur les sociétés chrétiennes dont le système de justice repose sur la notion que tout individu est responsable de ses actes.
Le capitalisme a nécessairement besoin d’un libre arbitre individuel pour se diffuser.
C’est également pour cette raison que le libéralisme est constamment ciblé par les opposants au capitalisme ( souvent à tort). Le libéralisme repose par nature sur la défense des libertés individuelles, mais il ne repose pas sur les libertés individuelles comme point cardinal de toute action. En effet, dans le libéralisme traditionnel, l’idée de l’intérêt général, de l’acte individuel comme structurant du commun, comme nous pouvons le lire dans les pages de l’ouvrage de John Dewey « après le libéralisme ? », du caractère positif de l’impossibilité de faire sans autrui, sont autant fondatrices que les libertés individuelles. Ces valeurs sont écartées dans le néo libéralisme (ce que l’on remarque facilement dans le développement personnel). Ce n’est d’ailleurs pas anodin si le néolibéralisme écarte toute vision politique dont le libéralisme est constitué.
L’écologie est avant tout une science qui étudie les milieux et environnements dans lesquels vivent les êtres vivants. Comme toute science, elle ne possède pas de discours mais existe pour construire un savoir valide sur ce sujet.
Dans une seconde acception, elle désigne une doctrine qui a pour but d’équilibrer les actions humaines et de diminuer leur impact sur l’environnement afin de préserver ce dernier.
Dans ce second sens, il n’y a pas, en soi, de discours idéologique. Il demeure un constat scientifique, celui d’observer l’influence ou l’incidence des activités humaines sur l’environnement naturel, et la volonté de préserver la condition naturelle et la condition humaine puisque la seconde a nécessairement besoin de la première pour survivre, car elle en fait partie. Le discours idéologique s’installe lorsque les solutions, les propositions et d’une certaine façon une vision du monde sont exposées.
Et cette vision du monde n’est pas pure, elle ne se fonde pas ex-nihilo, mais est déterminée par les positions philosophiques, culturelles, politiques et idéologiques de son auteur ou de la communauté qui la présente.
C’est la raison pour laquelle une personne possédant par exemple une vision du monde matérialiste aura une démarche écologique ou écologiste différente de quelqu’un qui a une vision du monde plus spirituelle. Il en est de même pour une personne de gauche comme d’une personne de droite.
Qui plus est, notre société n’ayant pas arbitré la vision du monde qui devait appuyer la doctrine écologiste, chacun peut s’approprier cette doctrine et la plaquer selon ses propres convictions pour qu’elle fasse système avec les autres doctrines qui composent les croyances et certitudes de chaque individu. Parce que l’écologie n’est qu’écologie, parce qu’il n’existe aucune autorité compétente, ni aucun argument d’autorité accepté par tous, alors l’écologie est protéiforme et peut ainsi prendre des aspects concrets tout en présentant des aspects concrets opposés. Seul un jugement moral pourra qualifier ces aspects, tantôt du greenwashing, tantôt du gauchisme collapsologue pour prendre des exemples.
Il est nécessaire de préciser que c’est la première faillite des écologistes de ne pas rendre évidente la réalisation de cette doctrine, malgré les données scientifiques, malgré les argumentaires éthiques, moraux, politiques. Pourtant cette faillite est inévitable puisqu’il n’y a pas d’unanimité sur nos visions du monde, sur notre vision des être humains non plus.
Il est en effet impossible de parvenir aux mêmes conclusions selon si l’on défend une conception individualiste ou holiste de la société. Il est également compliqué de promouvoir des solutions écologistes selon si l’on pense que la responsabilité individuelle existe ou si l’on pense que les déterminismes sociaux, sociétaux, culturels, économiques, prédominent.
Et nous touchons précisément le coeur du sujet : le conflit sur les actes qui oppose d’un côté les personnes qui pensent, comme on l’a vu dans une sorte de pensée néolibérale et capitaliste, comme on l’a remarqué aussi dans une sorte de vision religieuse, comme on l’a également observé dans une vision de la justice, que chacun est responsable de manière égale de ses actes et que ce sont les comportements individuels, les responsabilités individuelles qui doivent être animées, ciblées, impliquées afin d’empêcher les catastrophes détruisant notre environnement ; et de l’autre côté les personnes qui considèrent que les problématiques sont systémiques, que les individus sont déterminés par des causes qui supplantent leur libre arbitre et que à l’instar de Spinoza, le seul moyen pour endiguer les effets provoqués par des causes est que des causes opposées plus puissantes s’imposent.
Contrairement à ce que nous pourrions penser, la droite n’est pas la seule à penser que la responsabilité individuelle est le moteur présent pour modifier les choses, beaucoup d’écologistes et une partie de la gauche partagent ce constat.
Une majorité en réalité considère, car c’est un raisonnement pratique que la responsabilité individuelle, résultante du libre arbitre, qu'elle est le seul moyen de modifier les comportements actuels. La responsabilité du consommateur qui, additionnée aux autres responsabilités des autres consommateurs permettrait d’influencer la grande distribution, la restauration et tous les secteurs économiques concernés.
Lorsque cette responsabilité est niée, le discours devient celui de la culpabilisation morale et l’on retrouve alors l’impératif catégorique de Kant qui stipule qu’une action est morale lorsqu’elle peut être érigée en une devise universelle. L’action individuelle pure serait alors la solution sinon l’on demeure hypocrite, ou un adversaire de l’écologie.
Il est alors amusant d’observer le paradoxe selon lequel la responsabilité individuelle est érigée en principe fondateur mais que ce principe est accompagné d’une infantilisation dans le discours puisque les actes et les actions à produire sont imposés par autrui. De fait, par ce paradoxe, le discours ne convainc pas car il ne permet pas l’épanouissement individuel que promettait auparavant les doctrines qui utilisaient les mêmes mécanismes comme la religion, le néolibéralisme ou encore le capitalisme.
Il est totalement inconcevable pour les tenants de ce discours de remettre en cause ce principe de responsabilité individuelle et de considérer que le libre arbitre des uns n’est pas celui des autres. Pourtant nous n’avons pas tous la même capacité à pouvoir décider pour nous-mêmes ni le même accès à l’exercice de nos droits et libertés. Dès lors que ces inégalités sont reconnues alors le principe de responsabilité ne tient plus. Sauf à considérer que chacun mérite alors son sort et que les inégalités sont justifiées par le mérite et par l’idée selon laquelle certains auraient été meilleurs, plus travailleurs, plus vertueux que d’autres qui méritent donc leur pauvreté, leur précarité sociale etc.
Sans cette justification le raisonnement ne tient pas, et hormis la droite, personne ne peut oser adopter cette position. Par conséquent l’écologie n’est pas une question de responsabilité individuelle. Par conséquent une société qui est inégalitaire ne peut faire peser la responsabilité de la survie de notre espèce sur les individus sans changer de système. Changer de système ayant pour condition de modifier les causes qui déterminent le système, alors il convient de lutter contre les déterminismes présents pour permettre une société écologique.
Cette société écologique ne pourra exister qu’à la condition qu’il existe un libre arbitre social avec une capacité réelle de chaque citoyen à pouvoir agir selon ce qui lui semble juste pour la communauté et non ce qui lui semble nécessaire pour sa propre survie. Personne ne peut posséder un libre arbitre social quand sa survie est questionnée. La précarité généralisée de notre société démontre l’inadéquation sociale de celle-ci à être écologique.
En conclusion la refonte complète de notre démocratie est un prérequis à toute révolution écologique. Parce que notre espace public est sclérosé, que nos représentants n’ont eux -mêmes plus vraiment de capacité à nous représenter et parce que les libertés individuelles constituant le libéralisme ne sont pas garanties. Parce que le néolibéralisme confisque ces libertés et empêche toute remise en question des principes justifiant ces inégalités.
John Dewey déclarait qu’une démocratie ne pouvait qu’être radicale et que « Les hommes sentent qu’ils sont pris dans un flot de forces trop vastes pour qu’ils les comprennent ou les maîtrisent. La pensée est immobilisée, l’action, paralysée. » La démocratie radicale est précisément de garantir un système politique pour que chaque citoyen soit un acteur éclairé de sa propre participation à la société, condition à une révolution écologique où tout le monde sera volontairement impliqué, sans limites, sans mise au ban, sans moraline, mais avec une vraie promesse, celle d’un épanouissement individuel et collectif dans le respect de l’environnement.