Avant tout il convient de faire deux précisions nécessaires. Afin d’objecter des oppositions parfois pavloviennes. Premièrement, l’école doit accueillir tout le monde. Deuxièmement, ce ne sont pas les actrices et les acteurs du système qui sont incriminés, les professeurs, personnels scolaires et autres AESH, mais le système scolaire. S’il n’est pas posé en préalable ces deux principes, alors l’on ne peut pointer les vrais problèmes.
Un Universalisme sclérosé
Parler de l’école sans parler de la société qui l’environne est une gageure. Notre société se fonde sur la philosophie des Lumières qui pour en reprendre l’idée générale, considère que les droits sont universels et qu’ils doivent donc être garantis. Cela eut pour conséquence magnifique la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Mais cet universalisme qui compose la D.D.H.C. n’existe pas dans les faits puisqu’un nombre important de citoyennes et de citoyens ne peuvent accéder à leurs droits.
Pourquoi ?
Parce qu’il y a eu soit, une mauvaise lecture politique des Lumières, soit une volonté réelle de nier l’unicité des individus qui est pourtant présente dans l’argumentaire des philosophes (Rousseau notamment). Cette mauvaise direction engendra un universalisme qui s’imposa par des critères de normes comme fondement du droit plutôt que par des principes axiologiques d’une société qui devrait constamment s’adapter afin de garantir les droits de chacun. D’un universalisme particulariste pensé par la philosophie politique, nous évoluâmes dans un universalisme normatif qui perdure.
Le problème réside alors dans le fait que l’universalisme normatif est un oxymore pour la simple et bonne raison que la norme discrimine par définition ceux qui s’y conforment, et ceux qui ne peuvent s’y conformer et qui sont donc exclus.
De fait l’universalisme normatif, n’est pas un universalisme, et cela explique la situation actuelle en France.
Une école mal définie
L’école n’est pas un sanctuaire contrairement à un slogan qui a été maintes fois prononcé. L’école n’est pas isolée du reste du monde et n’est pas protégée des ingérences sociales, culturelles, politiques et économiques. Et c’est heureux.
Mais parce que l’on a eu cette conception de l’école sanctuaire, fausse, il a fallu attendre Bourdieu pour se rendre compte que l’école, préservait les inégalités sociales existantes, voire les renforçaient.
S’ajoute à cela que l’école est profondément inspirée, car elle est le résultat de décisions politiques, du modèle de société qui l’environne et comme notre société, l’école est fondée sur un universalisme normatif.
La pédagogie, l’architecture fondée sur l’école-caserne, le rythme scolaire, la qualification des matières, le choix des matières proposées sont fondés sur des normes et ne sont pas adaptées à la diversité des potentiels. De fait, comme dans la société, il y a ceux qui peuvent s’y conformer et ceux qui ne le peuvent pas.
L’école ne peut donc permettre à chacun de s’y épanouir.
Une école excluante à cause d’une société excluante
Comme il existe cette causalité qui établit que la société détermine l’école selon sa propre représentation des normes, si la société marginalise les personnes non conformes, alors l’école fera de même. Ce qui est logique puisque la société comme l’école sont déterminées par des volontés politiques.
La façon dont l’école articule sa considération des individualités est par conséquent le reflet de la façon dont la société articule sa considération des individualités. Pour éviter que l’école soit aussi brutale, le politique a mis en place des dispositifs. Le problème est que ces dispositifs ne questionnent pas les causes, ils contournent ce questionnement et sont donc eux-mêmes aussi normatifs et excluants. Que l’on prenne l’exemple des REP+, des SEGPA, Des ULIS ou autres, ils participent à marquer socialement des individus qui seront par la suite discriminés du simple fait du dispositif qui les encadre.
De plus ces dispositifs regroupent les personnes qui doivent être encadrées par celui-ci ce qui les isole fondamentalement des autres individus composant l’école. Rachid Zerrouki dans les « Incasables » démontre bien deux choses : la remise en cause des stratégies d’adaptation que lui-même met en place en tant que prof (notamment en adaptant l’oeuvre de Molière), mais également la façon dont les élèves sont considérés, en incapacité d’être dans les cases prédéfinies et inadaptées.
Sans mettre davantage en exergue des dispositifs complexes, la notation peut être un facteur de normativité puissant essentialisant les individus en bons élèves ou en cancres. Même si les professeurs essaient de casser ces codes sociaux, le système en lui met assigne ces essences.
Une ségrégation des enfants en situation de handicap
Ils sont ceux qui sont les moins conformes aux normes définies par notre société. Actuellement et historiquement.
Et ils sont ceux dont les dispositifs sont les moins efficients. Parce que ces dispositifs sont basés sur un système normatif qui considère qu’il y a d’un côté les enfants valides et de l’autre les enfants en situation de handicap. Donc, par essence, il y a des enfants conformes, qui sont valides et donc validés par la norme et de l’autre il y a les enfants qui ne le sont pas, et sont définis comme inadaptés par nature. C’est le validisme, et il trouve lui même sa source dans les fondements faussement universels de notre société, et ce, dans tous les secteurs : logement, urbanisme, travail, culture et donc l’école.
Les enfants ne sont donc pas inclus, ils sont à côté. A côté des autres. Jamais avec, jamais au sein. Il existe une solution pourtant. Remettre en cause la notion même de handicap et revenir aux causes. En partant de deux principes :
- le premier étant de considérer que le handicap est le résultat d’une société qui ne s’adapte pas et non de critères ontologiques de l’enfant. Il n’y aurait d’handicap que la somme des obstacles sociaux, culturels et économiques générés par la société et sa production de normes.
- le second, que toute personne est soumise à un seuil de vulnérabilité. Absolument toute personne possède des limites dans ses capacités et ces limites produisent ce qu’on appelle un seuil de vulnérabilité. Ainsi il n’y a pas de bipolarisation entre les personnes conformes et les non conformes mais une population diverse, plurielle dans ses capacités, constituée de potentiels uniques, qui au sein de la communauté peut produire un intérêt collectif au travers des apprentissages adaptés individuels.
Le rôle de l’école n’est pas le bon
S’en suit que l’école a été dévoyée par des volontés politiques. Par des choix de disciplines et de normes, elle s’est fondée sur un modèle d’instruction, en charge de dispenser des savoirs utiles, à des fins de professionnalisation future des individus.
Ce n’est pas son rôle originel. Selon Condorcet, l’école ne forme pas des travailleurs mais des citoyens, qui seront ensuite capables, autonomes et indépendants dans la construction de leur vie sociale, économique, culturelle et bien sur politique.
Selon Dewey, l’école n’instruit pas car elle ne se réduit pas à la diffusion de savoirs fondamentaux utiles. Elle transmet également un savoir qui émancipe l’individu et lui permet de progresser, d’évoluer et d’exploiter son potentiel mais aussi sa pleine qualité individuelle et citoyenne. Il s’agit donc bien d’éducation. En cela la gauche a raison lorsqu’elle propose que la formation soit continue, au long de la vie, afin d’émanciper les citoyens. En cela la gauche a raison quand elle promeut l’éducation populaire. Mais c’est l’école qui devrait aussi faire de l’éducation populaire comme le démontre également Jane Addams. Non plus que cela, l’éducation populaire doit être le creuset de l’école.
Ce sera alors la négation totale de l’idée de sanctuaire, de l’idée d’utilité également mais plus que cela, ce sera aussi un renversement de la causalité, l’école déterminera la société selon ses propres principes par l’incarnation de citoyens éclairés, épanouis et vecteurs d’une nouvelle philosophie politique.
L’école doit être le creuset de la démocratie
Si l’on souhaite que l’école puisse éduquer des citoyens, il convient qu’elle soit le garant du modèle qui constitue la citoyenneté : la démocratie.
Aussi, les équipes pédagogiques, les personnels administratifs et scolaires, les enfants, les parents, forment une communauté éducative qui regroupe les représentations sociales de la société et leur diversité. On retrouve ici l’idée que l’école est une société plus petite mais qui est le reflet des structures de la société française.
Il est de fait primordial que la communication, le débat nourrissent cette société et que l’école, forte des nouveaux principes décrits précédemment, puisse reposer localement mais aussi plus généralement sur une construction collective de la part de tous les acteurs et que son fonctionnement n’incombe pas uniquement à l’administration de l’éducation nationale.
De même il serait alors possible qu’une implication de tous les acteurs soit efficiente dans les lieux scolaires et dans la garantie de leur fonctionnement, dans la construction de projets, de tiers lieux, dans l’animation de nouvelles disciplines, de travaux manuels mais aussi dans la construction de l’esprit critique citoyen des enfants mais finalement de tous les acteurs.
L’école pour être inclusive doit inclure tout le monde dans le projet éducatif, de manière démocratique, et doit être en capacité d’accueillir tout le monde, et chacun de façon adaptée et respectueuse. C’est à cette condition que l’école réussira sa mission : former, éduquer et émanciper des citoyennes et des citoyens, quelles que soient leurs conditions, ou leurs capacités. C’est cela l’universalisme.