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Billet de blog 24 août 2023

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Euthanasie, suicide assisté : de vrais dilemmes !

Une société qui serait l’arbitre des vertus quant à qui peut mourir et qui doit vivre. Une société malade, qui peut rapidement inverser la norme et décider qui peut vivre et qui doit mourir. C’est une grave différence.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La France, et d’autres pays du monde occidental progressent sur la question de l’euthanasie. Si les débats se concentrent sur l’aspect éthique et sur le cadre qu’il convient de donner à cette pratique, il demeure trop de dilemmes moraux qui sont évacués.

J’ai longtemps été pour l’euthanasie. Et pour le suicide assisté. J’estimais que pour le premier cas, cela libérait une personne de son fardeau, pour le second le respect du principe d’autodétermination et du libre arbitre.

Et j’avais peine à comprendre qu’on puisse être contre un soulagement ou un choix assumé.

Tout d’abord il convient de faire la différence entre euthanasie et suicide assisté. L’euthanasie est la décision principalement du corps médical et par un acte exécuté par celui-ci de mettre fin à la vie d’un patient.

Le suicide assisté est le choix clairement consenti d’une personne à mettre fin à ses jours, si le choix est de son fait, l’acte également sous conditions d’encadrement.

Mais si l’on tient compte d’une évidence à savoir que la mort est déterminée par notre existence, alors ce sont les conditions de vie et les modes d’existence qui déterminent si l’on est euthanasié ou si l’on souhaite mourir.

Les conditions de vie et les modes d’existence sont nombreux : statut social, place dans la société, participation à ses propres activités ou contrainte immense, situation de handicap, maladie, souffrance ou bonheur etc.

L’euthanasie a été écartée des débats et il semble donc que ce soit le libre arbitre de la personne qui a distingué le fait de souscrire à l’idée du suicide assisté. En effet, l’euthanasie est une pratique qui surviendrait quand la personne ne peut pas exprimer son souhait ou son choix. Le problème est que ce n’est pas totalement vrai. Il existe des personnes en situation de handicap qui souhaitent mettre fin à leurs jours mais qui ne le peuvent pas, pour qui le suicide assisté est donc impossible et qui y auraient donc vu une solution. Mais la situation de handicap est elle une condition acceptable pour justifier l’euthanasie ?

Le suicide assisté a lui été considéré et validé en quelque sorte par la conférence des citoyens sur la fin de vie.
Mais le suicide assisté comporte également des risques sur les motivations qui inclinent à souhaiter mourir. Et ces risques sont liés aux déterminismes des modes d’existence.

La vraie problématique consiste en ce que ces deux procédés imposent que la société qui les met en place soit mature, qu’elle fasse preuve de sagesse. Or la France débat sur ces points car c’est une société qui est malade. Malade et triste. A raison.

C’est une société dont la démocratie ne fonctionne plus. Cela semble extérieur au sujet, mais une société où les citoyennes et citoyens n’utilisent pas leurs droits fondamentaux pour prendre part à l’organisation des pouvoirs est une société où les citoyennes et citoyens considèrent que leur libre arbitre sur ce sujet essentiel n’a aucune valeur. Cela signifie quelque chose quant à la relation qu’ils ont avec la société ainsi qu’avec leur capacité de participation. Celle qui leur est donnée. Ce qui est révélateur.

Une société qui exclut. Qui exclut les pauvres, majoritaires en France, les personnes en situation de handicap par validisme, les personnes de couleurs, enfin non les personnes racisées, car ces personnes sont exclues du fait d’un racisme très présent, les personnes LGBTQ+ par homophobie, une société qui minore les femmes, épuise les travailleurs, cache ses vieux. Une société intolérante, raciste, validiste, homophobe, sexiste peut elle être suffisamment sage pour décider du contexte où il ferait « bon mourir » ?
Une société où l’extrême droite est aux portes du pouvoir peut elle se permettre de légiférer sur ce point ?

Un autre problème est que c’est sans doute la société elle même qui est la cause de la volonté de bon nombre de personnes à vouloir mourir.

Et c’est elle qui, en même temps, serait l’arbitre des vertus quant à qui peut mourir et qui doit vivre.

Une société malade peut rapidement inverser la norme et décider qui peut vivre et qui doit mourir.

C’est une grave différence.

L’histoire a démontré que des sociétés malades ne pouvaient s’arroger ce droit sans dérives. Pensons nous réellement que ce sera le riche homme influent qui voudra mourir ?

Pensons nous que ce sera l’individu blanc, entouré de sa famille et d’amis, intégré socialement et économiquement qui voudra mourir ?

Ou alors cette personne épuisée par les actes homophobes, ou racistes, à son encontre, en total désespoir, marginalisée, qui voudra en finir ?

Ou encore, la dame, violée dans son enfance, brutalisée dans sa maturité ?

Si une société vous détruit, alors il semble normal de vouloir disparaître.

Mais la société peut elle changer, si pour rester elle-même elle fait disparaître les conséquences de ses dysfonctionnements ?

De plus nous sommes dans une société capitaliste, et notre valeur humaine dépend de ce que nous pouvons produire pour la société.

Notre valeur humaine correspond elle à la valeur de notre vie ? Si oui, alors les conséquences sont délicates pour les personnes sans emploi, ou en situation de handicap, celles finalement jugées inutiles ou incapables. Et pensez bien que c’est un argument pertinent. Toute notre société est tournée vers notre productivité : l’école pour former les travailleurs, l’activité seule reconnue comme étant le salariat etc.

Pourtant c’est notre société, ainsi faite, qui génère le chômage et qui considère les personnes en situation de handicap comme incapables et inutiles. Il n’est pas rare d’entendre comme propos dans la rue ou dans l’espace public: « alors lui, il doit souffrir de la vie qu’il a, il doit vouloir abréger ses souffrances ».

Donc il y a un sentiment général qu’il vaut mieux ne pas être, qu’être différemment, ou qu’être même mal. Entendons « mal » au sens de la norme.

Parce que la société nous fait souffrir, ce serait donc à nous de mourir. Sur le sujet du handicap en particulier, la société encourage déjà les personnes à une interruption médicale de grossesse si le fœtus présente des probabilités de trisomie 21. Alors en effet, nous ne tuons pas, nous arrêtons un accès potentiel à la vie au seul prétexte d’une différence développementale chez le fœtus. Pas parce qu’il vivra mal, pas parce que c’est une différence atroce faisant gravement souffrir tout le temps. Seulement parce qu’il est différent et que ce « sera dur pour lui au quotidien » sous entendu « la société ne lui pardonnera pas grand chose ».

Actuellement il y a également une cohorte Marianne avec des motivations potentiellement identiques pour l’autisme que ce qui existe pour la trisomie.

Il ne s’agit pas d’être contre l’IVG, c’est une liberté universelle à défendre, protéger et garantir. Il s’agit de questionner une société qui pense légitime un eugénisme in utero et qui considère que dans certains cas il vaut mieux mourir que vivre, que dans certains cas la société ne s’améliorera pas alors il convient d’en finir. Il s’agit de questionner une société qui est le creuset des souffrances les plus répandues comme motivations à vouloir mourir. Il s’agit de questionner si le libre arbitre existe vraiment dans une société malade au point tel que les citoyens délaissent la vie politique.

Je pense que le suicide assisté peut être un bon principe dans une société démocratique saine et vraiment sage. Et je pense que c’est un bon principe s’il est soumis à un impératif catégorique kantien : « Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu puisses vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle » sinon elle est une dérive d’une société qui ne pense même plus à progresser mais à effacer ce qui peut faire faussement penser à son déclin.

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