Depuis quelques semaines les réseaux sociaux et les formations politiques de gauche et écologistes sont en pleine effervescence et les convocations de Rima Hassan et Mathilde Panot par la police pour apologie du terrorisme ont scandalisé et indigné tous les militants. Depuis, des appels à sauver la démocratie font florès. Des appels maladroits.
Il faut sauver la LFI. Sauver la LFI serait sauver la démocratie et lutter contre un gouvernement illibéral. Ce sont les arguments, louables des militants qui appellent à faire front commun à gauche contre l’outrance et l’outrage dont ont été victimes Mathilde Panot et Rima Hassan. En pleines élections européennes, la numéro sept de la liste des Insoumis, ainsi que la présidente du groupe Insoumis à l’Assemblée Nationale ont été convoquées selon un motif fallacieux par la police. Un coup de pression qui semble piloté à un moment où le RN est loin devant dans les sondages et où la liste défendue par la majorité gouvernementale est un flop.
Tout d’abord, faut-il défendre la France Insoumise ?
Bien sur. C’est une évidence. Quand on est de gauche, quand on est pour l’expression plurielle politique, pour la liberté des partis politiques à investir le débat public, qu’on considère que la LFI est un parti républicain, alors on doit s’indigner que ce parti subisse ces pressions lors d’un temps électoral qui plus est.
Parce qu’il y a une chose qui est vraie, c’est que le pluralisme politique, la liberté d’expression des partis politiques, la protection des élus sont des éléments qui constituent des valeurs et des pivots moraux et philosophiques de notre Démocratie et de notre République. En effet, c’est du débat public et des conflits au sein du débat public qu’une République peut créer du pouvoir politique et peut ainsi structurer son organisation et ses lois. Machiavel le déclarait déjà dans « Discours sur la première Décade de Tite Live » en décrivant le conflit politique permanent entre la Plèbe et le Sénat comme construction du pouvoir politique et création de nouveaux droits et libertés.
De même lorsque l’on lit John Dewey notamment dans le Public et ses problèmes l’on constate à quel point la Démocratie est dépendante du débat public afin de construire du pouvoir politique mais également une légitimité en tant que système politique à exister et perdurer.
Aussi, les formations politiques de notre pays doivent être protégées dans l’exercice de leur expression publique tant que les discours respectent la loi. En l’espèce, c’est le cas que l’on soit en accord ou non avec les positions défendues.
Pourquoi y a t-il une réticence de beaucoup de personnes malgré les injonctions des autres partis de gauche et écologistes ?
Les deux années qui ont suivi la création de la NUPES pour les législatives ont fait du mal. Des désaccords profonds entre les partis et des méthodes chez les Insoumis qui ont du mal à être acceptées. Une crise de confiance est née. Il est difficile de défendre la démocratie quand la LFI en est totalement dénuée dans son fonctionnement interne et que son leader multiplie les bravades et provocations.
Il est difficile de faire confiance quand la LFI a fait de son combat pour défendre les femmes une priorité et réagit de cette façon lors de l’affaire Quatennens. Difficile de faire confiance quand ce mouvement pilote un putsh pour forcer le soutien du parti Génération-s aux européennes en achetant son coordinateur avec une place éligible sur la liste. Difficile de faire confiance tant la NUPES est captée par la LFI au niveau local, et tant la stratégie médiatique de la LFI serait de résumer la séquence actuelle à cela :"si tu es pour la démocratie tu défends la LFI sinon tu n'es pas démocrate".
Et il demeure un doute sur la réciprocité. Ce mouvement défendrait il par exemple le Parti Socialiste en pareilles circonstances alors même que la stratégie de campagne des Insoumis actuellement est de critiquer tous les autres partis de gauche et écologistes ?
Ce sont des questions qui laissent planer des doutes et ces doutes retiennent un soutien alors que ce soutien devrait être évident. Plutôt que de questionner les raisons de cette réticence les militants haranguent et se braquent provoquant ainsi un désintérêt pour une situation pourtant scandaleuse avec la convocation de deux de leurs cadres politiques.
Défendre la LFI est-ce défendre la démocratie ?
Argument très utilisé pour essayer de mobiliser, cette affirmation est-elle vraie pour autant ?
Si en effet, la défense du pluralisme politique, de la pluralité des expressions dans le débat public et de la protection des partis politiques et de leurs actions sont des composantes essentielles d’un système démocratique, et qu’il est très marquant et choquant que des élus de la République et candidats à une élection soient convoqués de la sorte, fallait-il attendre cela pour en appeler à défendre la démocratie ?
Est ce que l’atteinte portée à LFI est vraiment un révélateur de l’état de notre démocratie ?
Disons le clairement, il y a une once de mépris dans cette défense soudaine pour la démocratie et la République.
Où étaient ces militants outrés actuellement, pour déplorer que l’abstention progresse continuellement depuis des années et empêche toute légitimité au pouvoir élu ? Hormis les éléments de langage habituels les soirs d’élection ?
Où étaient ces militants pour déplorer le fait que les citoyens majoritairement n’ont plus confiance en le politique pour résoudre leurs problèmes ?
Où étaient ces militants pour constater que les partis n’ont quasiment plus de population militante ? Et que cela n’a même plus d’importance pour gagner une élection puisqu'un mouvement vide et fantoche a pu mener Macron à l’Elysée ?
La Démocratie et la République sont avant tout des système et régime qui garantissent aux personnes silencieuses et silenciées de pouvoir s’exprimer.
Les personnes silencieuses, celles qui sont lasses d’essayer de parler puisque personne ne les écoute et personne ne souhaite les voir s’exprimer. Un silence contraint résigné, ou voulu quand la croyance que cela servira à quelque chose de porter une idée ou un message, n’existe plus.
Or nos militants, nos partis, nos élus n’écoutent que ceux qui parlent, que ceux qui votent car finalement ce sont les seuls messages qu’ils peuvent capter, les sondages et les élections. Mais les silencieux, majoritaires, sont ignorés. Et tant que des candidats peuvent être élus, qui s’en émeut ? Personne.
La démocratie va très mal en France depuis très longtemps. Un tournant fut le mouvement des Gilets jaunes, qui quoi qu’on en dise fut une mobilisation violente, de citoyens habituellement silencieux, avec des populations appartenant à des classes sociales multiples et diverses, aux intérêts discordants et qui fut écrasé dans la violence et le mépris. Un mouvement soutenu au début par beaucoup de monde, qui manifestait avec un objectif de faire plier l'exécutif sur une vision du monde et pas uniquement des mesures politiques fut réprimé. L'exécutif démontra que les citoyens n’étaient plus souverains. Si je fus très critique sur ce mouvement, ce qu'il révéla fut important.
Il y a d’autres exemples : le peu de mobilisation des militants pour garantir le droit de vote de personnes qui ne peuvent physiquement aller au bureau de vote, la fracture numérique qui empêche un accès aux services publics mais à la participation également du débat public, la mise au ban d’une partie de la population qui habite tantôt les quartiers populaires tantôt la ruralité sont des marqueurs d’une démocratie malade incapable de permettre aux citoyens de participer, faire partie et prendre part aux projets politiques et aux débats publics du pays. N'étant même pas en capacité d'investir un espace public sclérosé.
Pourtant, cela ne soulève aucune indignation. Sauf lors de quelque élection.
Et cette absence d’indignation contraste avec la forte émulation militante et politique scandalisée par ce qui s’est produit envers Mathilde Panot et Rima Hassan.
Que doivent comprendre les silencieux, les prolos (dont je fais partie) les sans dents comme l’a dit un ancien président ?
J’en viens maintenant au dernier point qui est lié. Comment la LFI se retrouve t’elle humiliée de la sorte alors que l’extrême droite obtient des succès dans les sondages, des succès de légitimité par ses élus nationaux et une crédibilité pour prendre le pouvoir et demeurer en tête des sondages ?
Les médias, et les discours qui évoluent peuvent être des causes. Mais ce ne sont pas les causes principales.
La cause principale de la montée de l’extrême droite provient des macronistes qui ont une politique d’extrême droite en termes de décisions sociétales et de pratique du pouvoir : autoritariste, clivante, méprisante et méprisable, intolérante et outrancière.
Mais que Macron et la droite ne fassent pas de l’exercice du pouvoir un devoir moral n’est pas une surprise.
La surprise et la trahison proviennent du fait que la gauche, qui possède un projet politique fondé sur des principes moraux de même que les écologistes, n’ont pas respecté ces engagements moraux ni leurs promesses quand ces formations étaient au pouvoir. Pas davantage dans l’opposition où elle ne convainc pas car elle ne produit pas de projet politique viable, fédérateur qui s’opposerait sur le champ moral à Macron et à l’extrême droite. Car la gauche ne veut plus aller sur le terrain de la philosophie morale. La gauche ne veut plus produire un projet fondé sur des principes philosophiques moraux. Parce que la gauche ne peut respecter ces principes une fois au pouvoir, ou du moins, elle n’avait pas réussi à le faire auparavant et démontre actuellement dans l’opposition qu’elle n’y arrive pas davantage. Une gauche qui se veut actrice de la justice sociale doit être fondamentalement construite sur des principes moraux, ainsi que sur l'importance accordée à la notion de vérité comme le décrit le philosophe Olivier Abel. De fait l'utilisation de fake news par une partie de la gauche dont la LFI et une absence totale d'honnêteté et de rigueur morale quant au respect des engagements permettent à l'extrême droite de ne pas être diabolisée.
Par conséquent, quand l’extrême droite arrive à écarter les conditions morales pour exercer le pouvoir personne ne peut s’y opposer. Et une gauche qui ne s’offusque des atteintes à la démocratie uniquement lorsque ces atteintes portent sur des élus ou des cadres politiques n’est pas une gauche en capacité d’assumer une position morale et de lutter efficacement contre l'extrême droite mais surtout de convaincre du bien fondé d'adhérer aux combats de la gauche et de l'écologie.
Il ne sert à rien de créer des observatoires contre l’extrême droite, il ne sert à rien de créer des pôles de lutte contre le RN, et autres gadgets. Il suffit de respecter les promesses faites, d’intégrer en nombre les citoyens dans les partis et de leur permettre un pouvoir de participation réel, et de défendre tout le monde, les silencieux comme ceux qui s’expriment. Ce sont les meilleures conditions pour lutter contre le totalitarisme de l’extrême droite, ennemi de la démocratie, et de susciter l’adhésion de toutes et tous quand la démocratie doit être sauvée. Sinon il s’agira d’un entre-soi qui se sent en danger quand tous les autres sont déjà en train de mourir à petit feu.