Dans la perspective des présidentielles, les menaces se précisent sur la Sécurité sociale et l’assurance maladie, en particulier de la part de François Fillon.
Pour y faire face, il faut au préalable bien saisir d’une part le rôle que beaucoup de gens (pas seulement Fillon) veulent faire jouer aux complémentaires pour remettre en cause la Sécu et d’autre part les dangers de la fiscalisation/étatisation.
1) avec Fillon liquider la Sécu
Le projet initial de Fillon[1] :« redéfinir les rôles respectifs de l’assurance publique et de l’assurance privée, en focalisant l’assurance maladie notamment sur les affections graves ou de longue durée et l’assurance complémentaire sur le reste » ‘
- première conséquence évidente : les cotisations des complémentaires ne vont pouvoir qu’augmenter pour couvrir « le reste ». Voilà une manne pour les compagnies d’assurance. Il n’est pas inutile de savoir que le grand inspirateur de Fillon est Henri de Castries , ex Pdg d’Axa, présenté comme le futur ministre de l’économie.
- seconde conséquence, une explosion des inégalités :
- le mode de financement de la Sécu repose sur le principe « cotiser en fonction de ses ressources/ être soigné en fonction des besoins » (on peut être smicard et avoir accès à des soins très lourds) . Ce n’est possible que parce que la Sécu est universelle et obligatoire et que la solidarité peut s’exercer pleinement du plus riche vers le plus pauvre et du bien portant vers le malade.
- avec les complémentaires, on ne peut que basculer dans un système assurantiel où on est soigné à la hauteur de la cotisation donnée, soit individuellement, soit par le biais de son entreprise. Les complémentaires sont dans un système concurrentiel où, pour assurer leur équilibre financier, elles ne peuvent que rechercher des assurés à « bons risques », de préférence jeunes et en bonne santé, et disposant de ressources convenables, et écarter les « mauvais risques » (les « vieux », ou ceux qui sont touchés par une maladie grave) ou à défaut les contraindre à cotiser en fonction de ce risque.
- conséquence ultime la distinction soins « lourds » assumés par la Sécu et soins « courants » assumés par les complémentaires. condamne à mort à terme la Sécu. Combien de temps les assurés sociaux jeunes et en bonne santé accepteront-ils de payer à la fois des cotisations complémentaires pour leurs soins courants et des cotisations de Sécurité sociale pour les soins lourds (ALD, hospitalisation) des patients moins bien portants ?
- La logique poussera inévitablement à la remise en cause totale de la Sécurité sociale et à la bascule complète dans un système assurantiel : ceux qui ont le moyen de payer « une bonne assurance » pourront être soignés, les autres seront exclus de l’accès aux soins dès qu’ils ont un problème de santé sérieux. Ce système est injuste mais aussi coûteux[2] et inefficace.
- le système de santé américain donne une bonne image de la direction que l’on voudrait nous imposer : l’injustice (des dizaines de millions de personnes exclus de l’accès aux soins) et l’inefficacité (dépenses de santé USA 17 % du PIB contre 11 % en France)
- depuis Fillon a fait mine de reculer mais tout en maintenant le projet d’accroître le rôle des complémentaires, c'est-à-dire l’outil pour mettre à bas la Sécu, ses dénégations sont donc à ravaler au niveau des manœuvres préélectorales.
Pourtant Fillon, s’il est celui qui va le plus loin, ne peut prétendre à l’exclusivité.
2)Merci Hollande , merci Valls , merci Macron
- La droite peut remercier chaleureusement ceux qui lui ont ouvert la voie en multipliant les déremboursements, en sacrifiant l’hôpital public, en réduisant les cotisations sociales patronales pour financer le pacte de responsabilité (plus de 30 milliards de cadeaux au patronat sur le simple volet protection sociale) et en présentant ensuite les complémentaires comme le remède à la situation qu’ils ont contribuée à créer
- L’Ani[3] a ainsi promu les complémentaires comme substitut à l’insuffisance des remboursements de la Sécu mais surtout comme moyen de discrimination entre les actifs et les chômeurs ou retraités[4], et entre les actifs eux-mêmes , suivant les politiques et les capacités financières de leur entreprises[5].
- La tendance lourde introduite a été la balkanisation des situations, idéale pour faire perdre le sens des solidarités communes.
- Une note du Conseil d’Analyse Économique, (n° 28, janvier 2016), organisme placé sous l’autorité du premier ministre (donc à l’époque Valls) avançait déjà l’idée de la dissociation « soins essentiels » (Sécu) et autres soins (à confier aux complémentaires)« nous proposons que les débats parlementaires sur l’effort national de santé portent sur le contenu du panier de soins solidaire, comprenant des soins essentiels qui doivent être accessibles à tous sans barrière financière. »[6]
Finalement Fillon ne fait que pousser au paroxysme ce que d’autres ont amorcé avant lui, et il est alors cocasse de voir ceux là s’indigner .
3) un véritable projet alternatif, la Sécu à 100 %
Il ne suffit pas de dénoncer ceux qui veulent en finir avec la Sécu , à toute vitesse , ou à feu doux, il faut opposer un véritable projet alternatif, qui réponde de manière cohérente au besoin de santé pour tous.
- le principe de base devrait être une Sécu à100 % pour tous, fondée intégralement sur le principe les biens portants paient (en fonction de leurs ressources) pour les malades
- le caractère obligatoire et universel du système évite toute dérive concurrentielle, toute sélection des assurés en fonction de leur âge et de leur état de santé.
C’est le système le plus efficace et le plus juste :voir à ce sujet http://www.humanite.fr/le-projet-de-francois-fillon-met-il-en-peril-la-securite-sociale-628047 avec notamment l’analyse du professeur André Grimaldi et celle de Catherine Mills (membre de la commission économique du PCF) et en contre point (ce n’est pas inintéressant) un représentant des Républicains qui se défend en s’appuyant sur les turpitudes de ce quinquennat et de Marisol Touraine en particulier.
Un objet de lutte : dès maintenant et sans attendre l’élection présidentielle, il convient de développer l’action pour défendre la Sécu.
A signaler : une pétition lancée par André Grimaldi et de nombreux professionnels de santé qui a déjà recueilli plus de 200000 signatures
https://www.change.org/p/pour-la-securite-sociale
4) le financement une question clé
Bien sûr , il faut garantir la pérennité du financement de l’assurance maladie, c’est une question de volume mais aussi de système de financement
- un système universel est beaucoup plus économe (moins de frais de gestion parasites) et plus efficace, parce qu’évitant la distinction arbitraire entre soins « essentiels » ou non, et de fait permettant une meilleure prévention, source d’économies à terme
- les ressources de la France doivent lui permettre de faire face à ce financement , les sommes à dépenser ne seront globalement pas plus importantes, mais la prise en charge serait globalisée au lieu d’être balkanisée entre la Sécu, les diverses complémentaires et les individus.
Il reste la fiscalisation qui représente un grand danger.
Un retour sur quelques principes et la notion de salaire est indispensable
- le salaire ne se réduit pas au salaire net , il incluse aussi le salaire brut, cotisations salariales ) mais aussi les cotisations patronales.
- les cotisations sociales ne sont pas des « charges » mais une partie du salaire, à ce titre, elles appartiennent collectivement aux salariés .
- avec Ambroise Croizat, les fondateurs de la Sécurité sociale en avaient tiré la conséquence avec des conseils d’administration élus par les assurés sociaux. La Sécurité sociale n’était pas l’étatisation mais la socialisation de ressources considérables.
- puis on est revenu en arrière avec la mise sous tutelle des caisses par l’état, l’abandon des élections pour leur administration, et finalement la main mise du parlement sur le budget de la protection sociale.
- cela s’est traduit par un transfert des financements vers la fiscalité : création de la CSG par Rocard, nombreuses exemptions de cotisations sociales (en fait une diminution du salaire) compensées sur le budget de l’état, tout a été fait pour pousser à son comble la confusion entre budget de l’état et budget de la Sécurité sociale.
- cette confusion est dangereuse : elle peut conduire à amputer la couverture des dépenses de santé pour pallier toute difficulté sur le budget de l’état, et elle enlève aux assurés sociaux toute maîtrise sur des ressources qui leur appartiennent.
- tous ceux (des républicains aux « socialistes », pour tout ou partie) qui veulent substituer aux cotisations sociales d’autre ressources (encore plus de CSG, la TVA « sociale ») ou qui préconisent sous des formes variées la fusion entre l’impôt et une CSG qu’ils placent au centre du financement social poussent de fait à fragiliser encore plus le financement tout en enlevant tout contrôle aux assurés sociaux, ils tournent tous le dos à l’œuvre d’Ambroise Croizat.
Il faut donc remettre l’édifice à l’endroit
- réhabilitation des cotisations sociales comme source première de financement
- suppression de la CSG en tant que telle, mais mise en place d’une taxe sur les revenus financiers des entreprises [7]
- gestion des caisses déléguée à des administrateurs élus par les assurés sociaux eux mêmes[8]
Défendre la Sécu aujourd’hui, c’est la remettre pleinement avec la cotisation sociale au centre de l’assurance maladie , comme l’outil essentiel des solidarités, c’est aussi refuser le processus en cours d’étatisation qui la fragilise pour la rendre aux assurés sociaux eux-mêmes.
[1] extrait du programme initial de Fillon, supprimé purement et simplement de son site, suite au début de médiatisation sur le sujet : courage fuyons. Ce texte a été opportunément sauvegardé sur le site du Canard Enchaîné http://www.lecanardenchaine.fr/fillon-a-deja-supprime-la-secu/
[2] les frais de gestion des complémentaires sont bien supérieurs à ceux de la Sécu : 25 à 30 % pour une compagnie d’assurance , 6 % pour la Sécu
[3] accord national interprofessionnel conclu en 2013 essentiellement entre la CFDT et le Medef et transposée en loi par la grâce d’Hollande .
[4] les premiers pouvant bénéficier d’une contribution de leur entreprise à l’inverse des seconds, à noter également en ce qui concerne les fonctionnaires une contribution de l’état employeur quasi nulle
[5] le secteur mutualiste est déjà frappé , ainsi la Mgen a déjà introduit des « offres » de couverture différentes (avec une cotisation en conséquence) et une tarification à l’âge
[6] sur ce point voir http://www.versailles.snes.edu/spip.php?article3820#secu
[7] voir sur ce point la contribution de Catherine Mills les ressources peuvent être considérables , plus de 40 Milliards € http://www.humanite.fr/le-projet-de-francois-fillon-met-il-en-peril-la-securite-sociale-628047
[8] bien sûr , les conseils d’administration auront à faire des choix , en terme de recettes comme de dépenses , mais il est essentiel que ces choix reviennent à des administrateurs élus , les assurés sociaux pouvant ensuite , à l’occasion des élections juger de leur pertinence. Et non pas laisser ces choix comme aujourd’hui à quelques énarques du ministère des affaires sociales qui n’en répondent devant personne.