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Billet de blog 12 mars 2015

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Les néo cons et la Russie : la fabrication du diable Poutine

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il m’a paru nécessaire, autour du conflit sur l’Ukraine, et à propos de la Russie de revenir sur la notion de diable, qui , à mon sens, a pour fonction essentielle de polluer toute analyse du réel et de rendre impossible toute issue pacifique du conflit. Certaines prestations peu glorieuses sur Médiapart et ailleurs ne sont possibles que par cette utilisation intensive du leurre qu’est le diable(Poutine dans ce cas) Tentative de démonstration.

1) un empire américain qui tente désespérément d’enrayer son déclin

  • L’empire américain est en déclin, tout en restant et de loin la 1ère puissance militaire (dépenses  presque 50 % des dépenses du monde entier) et financière (rôle de ses multinationales et du dollar[1])
  • Pour enrayer ce déclin, il s’en prend à tout ce qui peut représenter  pour lui un nouveau champ de domination et d’expansion : l’Europe  avec le traité Tafta , l’Amérique latine qu’il tente de  reprendre en mains  (tentative de coup d’état au Venezuela, proclamé danger majeur pour les Usa !) ) et  l’espace post soviétique ,  Russie surtout,  à la fois comme 1er concurrent militaire et comme énorme réservoir de ressources minières et énergétiques.
  • Et il s’agit pour l’empire américain de « vendre » les mesures de rétorsion qu’il prend contre les récalcitrants en gagnant les opinions publiques à sa cause..

2)Pour cela, la désignation d’un diable est impérative

 elle permet de masquer les enjeux et les appétits, la complexité des relations internationales, et de tout réduire à un jugement moral qui évacue toute analyse politique,  à un conte pour enfants qui montre le bien (les Usa, l’Otan…) luttant contre le mal.

 L’image de Poutine, telle que les médias occidentaux l’affichent  sert à cela :

  • tout est ramené à Poutine,censé être  un autocrate tout puissant, le nouveau Staline[2], surtout dans l’actuelle crise autour de l’Ukraine, tout ce qui va mal lui incombe, il est présenté comme le seul acteur dans le jeu  : l’Ue, les Usa, Kiev n’agiraient qu’en réaction à Poutine.
  •  tous ceux qui s’opposent à Poutine appartiennent au camp du bien, il convient donc de renvoyer sous le tapis tout ce qui fait tâche, comme les néo nazis ukrainiens et comme l’opposant russe « démocrate » Navalny , celui qui appelle au pogrom contre les juifs et traite les caucasiens de « cafards » .Bien évidemment , les enjeux réels des conflits, et la complexité des forces en présence dans chaque camp, tout cela est renvoyé aussi aux oubliettes.

Le cas Saddam Hussein avait déjà montré l’efficacité du procédé : voilà quelqu’un qui a été longtemps le protégé des occidentaux (notamment des Usa) quand il attaquait l’Iran ; il gazait bien kurdes et Iraniens (avec d’ailleurs des produits achetés en Allemagne, c’était un homme qui faisait marcher le commerce !) puis il a voulu sortir du rang et est devenu « un dictateur ». Pour en finir, il a fallu les fioles de Colin Powell et les ADM (c’était mieux que de parler du pétrole et d’Halliburton[3]) : quand on choisit un bon diable,  on peut lui imputer toutes les  turpitudes du monde au delà des siennes bien réelles.

 3) la réalité de l’espace  russe depuis 25 ans

  • Comment comprendre la Russie d’aujourd’hui si on ignore ce qu’a été la décennie des années 90 : la spoliation, la misère, le bradage des ressources nationales, l’effondrement de l’espérance de vie (moins 13 ans pour les hommes)et les atteintes massives à la démocratie (tir au canon sur le parlement , élection présidentielle de 1996 volée, assassinats en série). Ceux qui ne saisissent pas  que cette période est le repoussoir absolu pour le peuple russe n’ont rien compris. Tout cela s’est fait à l’époque dans le silence ou l’approbation de tous nos grands défenseurs de la démocratie. Eltsine était un démocrate, un homme de bien[4]

 Poutine[5] est le résultat de cela et traduit à la fois une rupture et une continuité

  1. une rupture avec une reprise en main des  ressources nationales, la mise au pas de certains oligarques, bref la restauration de l’état, et une croissance économique qui a redonné des ressources à l’état et permis au peuple de vivre mieux (ou moins mal), après la catastrophe des années Eltsine.
  2. une continuité avec le partage des richesses toujours favorable aux oligarques, des élections en partie « arrangées », un autoritarisme soutenu, tout cela dans la ligne des années 90 . Poutine n’a rien inventé, sauf qu’il est plus cohérent et plus efficace que l’épave Eltsine.
  • C’est cela qui fait   que la majorité des russes considère que Poutine est un mieux par rapport à ce qui a procédé en dépit de son autoritarisme  et d’inégalités toujours très fortes
  • pour les Usa, la donne a changé  parce que Poutine , s’oppose, pour préserver les ressources russes, au dépeçage qui avait eu cours sous Eltsine pour le plus grand profit des multinationales Us, et parce qu’il veut contrecarrer l’avancée de l’Otan vers l’est (d’ailleurs contraire aux engagements pris par les Usa à la fin de la guerre froide) mais évidemment , pour les Usa et leurs affidés , il vaut mieux mettre en avant l’autoritarisme réel de Poutine( qui les dérangeait fort peu sous Eltsine) que de parler du pétrole dans l’Arctique, des mines russes, ou du gaz de schiste en Ukraine, d’où la mutation de Poutine en diable.

 Les motivations affichées du désamour des états occidentaux et de leurs médias pour Poutine (son autoritarisme) masquent les motivations profondes (le refus de la domination militaire, politique, et économique des Usa)

 4) quelle appréciation progressiste sur le pouvoir russe et sa politique ?

  • la Russie a un pouvoir  conservateur au service d’un capitalisme national qui refuse la domination semi-coloniale de l’occident (à l’inverse des années 90) et qui sert d’abord une couche de privilégiés. Si le niveau de vie de la population a été restauré, les droits sociaux sont très en recul sur la période soviétique. Ce régime n’est en rien progressiste
  • ce pouvoir résiste à l’impérialisme dominant c'est-à-dire américain, ce qui est légitime, les peuples du monde n’ont aucun intérêt à un monde unipolaire dont la famille Bush nous a donné un avant goût
  • il est en même temps une puissance régionale, qui aspire à dominer d’autres nations dans l’intérêt des capitalistes russes
  • Si l’on voulait faire une comparaison, forcément imparfaite et partielle, surtout du point de vue de la démocratie, on pourrait penser à la France de De Gaulle, avec une politique économique et sociale conservatrice, mais avec à l’extérieur le refus de la toute puissance américaine (condamnation de la guerre du Vietnam, fermeture des bases américaines, départ de l’Otan).
  • On ne peut que réprouver la politique intérieure de Poutine, mais quand il mène une lutte défensive contre l’avancée américaine à l’est , on ne peut le condamner a priori , sans examen précis de ses actes et de ceux auquel il réagit, mais aussi sans aucun suivisme naïf.

5)Analyser la nature des conflits et leur complexité

 La  diabolisation sert précisément à empêcher cette analyse de fond, notamment sur le conflit ukrainien et d’éviter les vraies questions

  • quelles sont les forces politiques et sociales en présence en Ukraine ? sur quelles histoires[6] du pays s’appuient elles ?
  • en quoi les diverses puissances pèsent sur cette situation, par Ukrainiens interposés ? Quels sont les intérêts économiques en jeu ?
  • entrer dans cette analyse permet de voir qu’il ne s’agit pas  d’un conflit entre l’Ukraine et la Russie, mais d’un conflit entre Ukrainiens, qui remonte très loin dans leur histoire, au moins à un siècle (la guerre civile de 1917/1922) voire jusqu’au XVIIème  siècle.
  • ce conflit est fortement parasité par des pressions et ingérences extérieures, celles de la Russie et des Usa pour simplifier

 Les enjeux sont essentiels. De l’analyse de la situation réelle et de la nature du conflit, on peut dégager un compromis (c’est ce qui s’est passé avec Minsk2).De la caricature du diable, ne peut sortir que l’escalade, qui peut déraper jusqu’à la guerre..

sur une actualité récente sur Mediapart voir également

http://blogs.mediapart.fr/blog/pizzicalaluna/120315/propos-de-mediapart-par-j-l-melenchon


[1] cf l’amende infligée par les USA à la BNP pour avoir financé des opérations commerciales avec l’Iran et Cuba, ce qui ne contrevient en rien aux lois françaises et européennes, cela tient au seul fait que les mouvements de fond ont été compensés en dollars, le rôle du dollar donne aux Usa un droit de contrôle mondial sur ce que font les autres, c’est du néocolonialisme financier et monétaire.

[2] Assimilation hasardeuse : le pouvoir de Poutine, même considérable, peut il être comparé à celui de Staline ? y avait il des manifestations, des opposants publics sous Staline ?mais pour tout imputer au diable, il faut le rendre tout puissant.

[3] Halliburton , entreprise spécialisée dans le matériel de forage pétrolier, très liée à la famille Bush

[4] pendant la 1ere guerre de Tchétchénie, Doudaiev, le président indépendantiste a été éliminé par un missile russe, le malheureux avait utilisé un téléphone satellite et les américains avaient gracieusement fourni les coordonnées aux russes . C’était du temps d’Eltsine , en1996, , les russes alors étaient les bons.

[5] Poutine a été lancé moins d’un an avant son arrivée au pouvoir par la « famille »  (au sens sicilien du terme)Eltsine, , qui craignait alors l’arrivée, inéluctable dans un cours normal des choses, de Primakov, soutenu éventuellement par les communistes, et une menace sur tous leurs biens mal acquis. Poutine a été promu pour empêcher cela. Ensuite, ceux qui l’ont fait ont été pour partie déçus. La vague d’attentats de septembre 1999 a largement favorisé cette « relève ». Beaucoup considèrent ces attentats comme une possible provocation ,à l’époque Poutine était premier ministre et Eltsine président .On ne peut donc impliquer l’un et pas l’autre.

[6] le pluriel est volontaire

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