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Billet de blog 15 janvier 2015

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11 Janvier, une « marée humaine » mais maintenant ? rejet de la guerre civile ou état de guerre ? le temps de la raison

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 Quel message du 11 janvier ?

Le succès des manifestations « Charlie » exprime une immense protestation contre le meurtre et le refus de régler les problèmes de notre société par la violence et la guerre civile : ainsi  un objectif est fixé sur lequel la nation  est unie et qui implique  d’empêcher de nouveaux assassins en puissance d’agir.

Mais, du fait de l’intense campagne des médias et du pouvoir pour en rester à l’émotion et à la surface des choses, rien d’explicite n’a été dit dans ce mouvement sur le « comment ». Chacun va y mettre sa propre interprétation et ses propres exigences.[1]

Face à une dérive nihiliste (ultra minoritaire) de certains jeunes, faut il s’en prendre à la racine des choses (misère et exclusion sociale des quartiers, déstabilisation du Moyen-orient par l’action irresponsable des Usa… ) ou  traiter exclusivement l’aspect sécuritaire avec un Patriot Act à la française ?

Esquiver ou refuser ce débat politique, c’est renoncer à exercer ses droits de citoyen et tout déléguer à nos gouvernants pour le meilleur ou pour le pire. Refuser le débat ne fera échapper personne aux conséquences.

II convient donc d’examiner ce qui amène quelques jeunes à devenir des assassins et comment on peut vraiment stopper cette dérive nihiliste.

I Ce qui génère les assassins : le  problème de la société française

  • Auparavant, on avait des terroristes venus d’ailleurs  pour quelques jours pour perpétrer un attentat. Maintenant, les assassins sont français et nés en France, ils ne sont pas nés assassins, ils le sont devenus
  • Les terroristes qui  ont sévi à Charlie sont des produits de la décomposition de la société amenée par trente ans de politiques libérales : des quartiers avec des taux de chômage à 40 %, une masse de jeunes qui désespèrent de construire simplement une vie stable et décente, et qui ne se voient aucun avenir
  • ils sont confrontés au mépris du système dominant, à la provocation[2] et à la stigmatisation .Ces jeunes en ressentent un dégoût profond  pour la société dans son ensemble, trop facilement confondue avec l’oligarchie dominante
  • un certain nombre bascule dans la délinquance, puis une petite minorité   (quelques centaines ??), la prison aidant, perd tout repère et ne trouve comme issue que l’affirmation négative par la violence et la destruction.
  • La référence religieuse (ou le fantasme qui en tient lieu) sert alors de motif « honorable », d’habillage  idéologique à une démarche évidemment injustifiable [3]

 Ce qui est premier, c’est la déliquescence sociale, produite par le terreau libéral (il y a trente ans, nous n’avions pas de terroristes nés et grandis ainsi sur notre sol, mais PS et Ump ont fermé les usines, cassé l’emploi et fortement entamé l’état social), le passage à l’islamisme radical suit, il ne précède pas.

Si un islam djihadiste  récupère bien  ces jeunes, en leur proposant un délire religieux suicidaire (en rupture complète d’ailleurs avec la tradition et la culture musulmane),il ne fait que renforcer  leur délire personnel préexistant.

II ce qui fait prospérer les groupes djihadistes

1)les enfants de Bush et de Sarkozy

  • L’intervention américaine en Irak en 2003 puis celle de l’Otan en 2011 en Libye (à l’initiative de Sarkozy) ont fait tomber deux dictateurs qu’il n’est pas question de plaindre ou de regretter, elles ont surtout suscité un énorme ressentiment dans le monde arabe dont les djihadistes ont plus que profité.
  • C’est ainsi que l’état islamique, au nom de la défense des sunnites, peut contrôler une large partie de l’Irak en alliance avec des anciens officiers de Saddam Hussein (qui réprimait férocement avant 2003 les mêmes djihadistes !) . La chute de Kadhafi a également créé un vide et permis aux Djihadistes de disposer d’énormes quantités d’armes : tout ce qui se passe actuellement au Sahel en découle.
  • Hollande voulait intervenir en Syrie en 2013, ce qui aurait abouti inévitablement au même résultat qu’en Irak ou en Libye (heureusement Obama a été plus raisonnable et a stoppé net les velléités guerrières de Moi Président)
  • L’expérience montre en tout cas que les expéditions militaires des Etats-Unis (pour se centrer sur ceux qui ont les moyens) n’ont rien réglé et qu’au final, bien loin d’éliminer les groupes djihadistes , elles leur ont permis partout de recruter très largement pendant que les affrontements entre les populations prenaient un tour dramatique aussi bien en Irak qu’en Syrie.

 2)les complicités régionales

  • L’état islamique a beaucoup d’argent, d’où vient il ? Comment ne pas s’interroger sur le rôle réel de l’Arabie Saoudite et du Qatar dans ce financement des groupes djihadistes , notamment dans le but de s’opposer à l’Iran et aux chiites .Le Qatar est également mentionné pour l’aide en argent et en armes en Libye et au Sahel . Tout cela est un secret de polichinelle ; mais beaucoup (hommes politiques, médias) hésitent à mettre en cause ces généreuses monarchies pétrolières : faut il rappeler les conférences à 100 000 dollars de Sarkozy au Qatar ?
  • La Turquie sert également de base arrière à l’état islamique et de pourvoyeur d’armes : quand nos médias évoquent le cas des jeunes français qui arrivent en Syrie, ils oublient le plus souvent de s’étonner que ces jeunes puissent passer si facilement la frontière syro-turque(qui , dans  les circonstances présentes n’est pas tout à fait l’équivalent de la frontière franco-belge). Pourtant, la Turquie a tous les moyens (oh combien) policiers et militaires de contrôler les mouvements sur son sol , les Kurdes qui veulent se battre à Kobane en savent quelque chose.

 S’indigner de l’action de quelques jeunes abrutis, de l’existence de réseaux terroristes, c’est bien, mais il conviendrait de ne pas en rester aux hommes de main et de se soucier de ceux qui financent ou qui offrent un sanctuaire.

 III La « Guerre » ou la  justice et  le progrès social

 Le terme et le concept de guerre [4],sont tout à fait inappropriés , ils ne peuvent que légitimer les djihadistes , implicitement considérés comme des soldats et favoriser le recrutement de ces groupes aussi bien sur place que chez nous.

Face à des assassins (politiques) la réponse doit être celle de la police et de la justice, avec le souci prioritaire d’isoler ces gens-là, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Et pour cela le respect du droit et des libertés est une condition essentielle d’efficacité

1) la justice oui , la répression aveugle non

  • On doit évidemment surveiller ceux qui sont susceptibles de participer à des actions violentes, arrêter et juger ceux qui le font. mais cette surveillance et cette répression doivent se concentrer sur les individus impliqués et jamais sur la population ou un sous ensemble de la population.
  • tout cela ne va pas de soi: quand on entend, après Sarkozy, le 1er ministre parler de guerre, quand on entend un député socialiste (Malek Boutih) parler de « nettoyer des territoires », dans un propos digne du Fn, on se dit que certains socialistes d’aujourd’hui ne valent guère mieux que Robert Lacoste , ministre résident en Algérie  qui a supervisé en 1956/57 la bataille d’Alger
  • Tout cela serait évidemment lourd d’atteintes potentielles aux libertés, d’un climat de stigmatisation des musulmans en tant que tels (avec des violences qui ont déjà commencé)
  •  cette surveillance et cette répression doivent s’exercer dans un cadre judiciaire et non pas policier ou administratif. Si des gens dérogent à la loi, les tribunaux doivent les sanctionner, ce ne peut être, comme par exemple aux Usa, une détention administrative arbitraire.
  • Il en va de nos libertés à tous[5] : qu’est ce qui nous garantit qu’un arsenal « anti-terroriste » ne s’appliquera pas à d’autres et pour de tout autre motif ?
  • il en va de l’efficacité de la lutte contre les terroristes : les sanctions prononcées contre ceux qui les méritent doivent pouvoir être considérées par tous comme justes, motivées par leurs actes, et en rien par leur origine ou leur appartenance religieuse.

2) à l’extérieur, isoler les groupes djihadistes

  • Plutôt que les actions symboliques et sans effet réel (sauf pour la gloriole présidentielle) de l’aviation française dans le cadre de l’Otan, qui ont surtout donné à l’état islamique un prétexte pour  nous désigner comme cible, il vaudrait mieux donner des armes aux Kurdes, qui eux se battent effectivement contre l’état islamique.
  • il vaudrait mieux   faire pression sur les états de la région qui aident d’une manière ou d’une autre l’état islamique : les monarchies du Golfe , et la Turquie.

En particulier, la Turquie a tout à fait les moyens d’empêcher des jeunes venus d’occident ou d’ailleurs de passer la frontière et de contrôler les retours. Et ce point est très important dans la mesure où le retour de combattants français fanatisés et formés militairement est bien un danger.

3) donner une vraie perspective à tous les jeunes

  • cela passe bien sûr par des mesures pour les banlieues, la politique de la ville, l’éducation, les services publics.
  • mais on ne peut imaginer une véritable inversion de la tendance si les grands choix restent les mêmes pour notre pays : casse de l’industrie, chômage de masse, remise en cause de la sécu et des services publics, alors même que le pacte de responsabilité gaspille des dizaines de milliards au profit des patrons au prix de l’amputation accrue des dépenses publiques, alors que la loi Macron remet en cause des droits acquis par les travailleurs, parfois depuis plus d’un siècle.
  • sur le court terme, on doit évidemment traiter le problème terroriste par des mesures de police et de justice , à la hauteur des actes commis, mais sur le moyen terme il s’agit d’assécher les vocations djihadistes. Traiter plus ou moins bien, avec plus ou moins d’intelligence, les manifestations immédiates du mal  ne suffira pas il faut s’attaquer à sa racine profonde.
  •  Oui, il est possible, de redonner aux jeunes, et d’abord aux plus défavorisés, une véritable perspective  pour leur vie dans une société de justice, de partage et de progrès social  mais pour cela il faut rompre avec les politiques suivies depuis trente ans, en finir avec le néo libéralisme.

[1] sur ce bilan du 11 décembre voir Frédéric Lordon http://blog.mondediplo.net/2015-01-13-Charlie-a-tout-prix

[2] Macron  refuse d’augmenter le Smic, casse le code du travail mais propose aux jeunes de « devenir milliardaires » (pourquoi pas d’aller sur Mars ?), horizon évidemment  plus crédible pour un banquier d’affaires à la cupidité sans limite.  Et le même va parler de valeurs !

[3] voir sur ce point l’interview d’Olivier Roy http://www.mediapart.fr/journal/france/110115/olivier-roy-la-communaute-musulmane-nexiste-pas

[4] tout état de guerre implique une suspension au moins partielle des libertés : cf la censure des journaux pendant la guerre d’Algérie, véritable guerre même si un certain Mitterrand ne le qualifiait que d’opération de police… à quelques centaines de milliers de morts

[5] le projet européen de fichage des passagers (tous : vous, moi) en est une illustration ; qu’on fiche des personnes qu’une autorité judiciaire juge suspectes , oui, mais  tout le monde ? on est dans le « Meilleur des mondes » ou la Stasi

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