- Les vœux, puis la conférence de presse de François Hollande ont été l’occasion d’afficher au grand jour la réalité d’une politique qui, désormais sans s’en cacher, prolonge et amplifie celle de Sarkozy. En faisant du coût du travail la question centrale, en annonçant un cadeau de 35 milliards € pour le patronat, François Hollande, bien loin d’amorcer une sortie de crise, s’engage encore plus dans une impasse mortifère.
- Surtout, à l’inverse de son prédécesseur, il est totalement illégitime pour mener une telle politique : Sarkozy, au moins, menait une politique pour l’essentiel conforme à l’attente du cœur de son électorat de 2007.
- Hollande a été élu sur le rejet de cette politique là , où est l’annonce dans sa campagne électorale de 2012, dans ses 60 propositions, de ce qu'il fait maintenant : de la retraite à 66 ans. de la hausse de la TVA , de la baisse du coût du travail, de la baisse massive des dépenses publiques ?Si Hollande pensait déjà nécessaire la politique qu’il développe maintenant, il aurait du l’annoncer et l’expliquer dans la campagne, il n’en a rien fait et pour cause !
Il n’a aucun mandat du peuple pour agir dans la direction qu’il a choisi seul : en cela au delà du débat sur le bien fondé de sa politique, il commet une forfaiture.
Il est indigne de toute confiance :« Une large majorité (74%) de Français refuse leur confiance à François Hollande pour diminuer les dépenses publiques et autant (73%) ne font pas plus confiance aux entreprises pour créer des emplois en échange d’une baisse des cotisations patronales, selon un sondage Ifop à paraître dimanche ». http://www.liberation.fr/politiques/2014/01/18/pacte-de-responsabilite-les-francais-ne-font-pas-confiance-a-hollande-et-aux-entreprises_973845
« Compromis » « social démocrate » : un habillage sémantique pour les nuls
- Contrairement à ce qui est distillé par la cour présidentielle et par ses journaux (Le Monde, Libération), on n’est pas dans une politique « social démocrate » de « compromis » ni même « social libérale » mais dans le néo-libéralisme assumé.
- Dans une politique qui prodigue des cadeaux d’ampleur au patronat, qui facilite les licenciements, qui réduit les dépenses publiques (et donc le service rendu au public) qui gèle les salaires, qui refuse tout coup de pouce au Smic, qui augmente la TVA : où se cache le « social » ? 5 millions de chômeurs, 8 millions de pauvres : Hollande n’a pas un mot , pas un geste pour eux .
- Et où est le « compromis » (l’entourage présidentiel va jusqu’à faire référence à 1936 et à 1945, ce qui ne manque pas d’air au moment où s’accentue la démolition de tout ce qui a été construit à la Libération) ? Avant toute « négociation », Hollande lâche 35 milliards aux patrons et annonce qu’il faudra des « contreparties » sur l’emploi, puis tout l’entourage se précipite pour dire que cela ne peut être l’objet d’une « contrainte ». 35 milliards ferme d’un côté et de l’autre du vent, ce n’est pas un compromis mais une capitulation en rase campagne. Comme pour le CICE où Moscovici avait tout de suite déclaré qu’il n’était pas question de poser des conditions ou de contrôler l’usage fait de l’argent public.
L’imposture de la politique de l’offre
« L’offre crée la demande » (Say revu par Hollande)
- S’il suffisait à une entreprise d’avoir plus de « marge » pour investir et embaucher, cela se saurait : une entreprise investit et embauche si elle peut anticiper une augmentation de la demande sur ses produits et donc de ses ventes. Les annonces de Hollande signifient au contraire une baisse de la demande : 50 milliards € de dépenses en moins, cela se traduit logiquement par 70 milliards de PIB en moins (si on a un multiplicateur à 1.4 valeur sur laquelle se fait le consensus de nombreux économistes : 50*1.4=70)
- C’est ce qu’on a observé dans tous les pays d’Europe du Sud, où l’austérité a généré la récession. Et pour la France une étude de l’économiste en chef de la Commission (!!!) constate un déficit de croissance de 4.8 % sur la période 2011/2013 du fait de l’austérité budgétaire.
- moins de dépenses publiques, cela implique moins de salaires distribués ou de prestations sociales , donc une contraction de la consommation, cela signifie aussi moins d’investissements , donc moins de commandes pour les entreprises
- moins de dépenses publiques, cela n’efface pas les besoins en terme d’éducation, de santé, de transports, cela oblige simplement les citoyens à payer de plus en plus de leur poche ces services…. tant qu’ils ont les moyens financiers de le faire
- Les patrons ne sont pas idiots et devant de telles perspectives, ils n’investiront pas, n’embaucheront pas mais augmenteront les dividendes (et pour les plus petits seront rackettés un peu plus par les banques et les donneurs d’ordre) . Au final, l’argent des salariés finira dans les paradis fiscaux (le gouvernement vient de retirer Jersey et les Bermudes de la liste !). Bien loin d’aller vers l’investissement productif et l’emploi, l’argent dilapidé par Hollande ira grossir encore plus la bulle financière.
- les politiques de l’offre sont pratiquées depuis trente ans en France comme en Europe : baisse des « charges » (plusieurs dizaines de milliards €), et baisse des impôts des plus riches .Le résultat est un chômage de masse prolongé , l’explosion des déficits(du fait de l’amputation des recettes) et la financiarisation de l’économie. Et pour 2013, 272 100 chômeurs de plus, 1100 plans sociaux de plus, mais les 500 plus grandes fortunes françaises gagnent 25 % en un an et il y a 590 milliards d’avoirs français dans les paradis fiscaux : les riches ont perdu leur président mais en ont retrouvé un second.
- le coût du travail est mis en accusation , le coût du capital est totalement ignoré : pas touche aux paradis fiscaux , pas touche aux banques, pas touche aux 80 milliards de fraude fiscale, pas touche à la spéculation financière. Et tout le raisonnement, largement vendu par les médias, repose sur la référence à un modèle allemand qui n’est pas imitablei.
Et maintenant ? comment mettre en échec cette politique délétère ?
C’est la seule question qui importe : comment aboutir au rassemblement le plus large contre cette politique avant la destruction complète de nos acquis sociaux, et la casse de l’activité , avant que nous ne soyons rendus à la situation de l’Espagne ou du Portugal ?
- Cela exige de décrypter sans relâche l’impasse de cette politique à la lueur de l’expérience passée et du contenu du compromis Hollande Medef, à la lueur bientôt des prochaines coupes sombres et de leur impact sur l’emploi , à l’exact opposé de ce qui est affiché.
- Cela implique de ne pas en rester à la nécessaire dénonciation mais de proposer une alternative cohérente et crédible , il ne suffit pas de dire qu’on va faire payer les riches, il faut examiner comment on peut libérer ce pays de l’emprise étouffante du grand capital : fiscalité, crédit, circulation des capitaux et remise en cause radicale de l’ordre européen qui fige le choix du néo libéralisme et de la régression sociale( à signaler sur l’Europe le récent livre d’Aurélien Bernier "la Gauche radicale et ses tabous" qui peut aider à éclairer ce débat http://www.marianne.net/Qu-est-ce-qui-fait-echouer-le-Front-de-gauche%C2%A0_a234897.html)
- Le Front de gauche est devant une très lourde responsabilité : lui seul peut être la source de cette alternative …. …….mais à condition de ne pas rester seul. L’annonce d’un nouveau rassemblement unitaire le 8 Février sur la fiscalité, le lancement d’une pétition contre la Tva http://www.stop-tva.fr/ , tout cela va dans le bon sens mais est très loin de suffire.
- le positionnement des organisations syndicales dans leur ensemble pèsera lourd. Il y a des éléments nouveaux, la déclaration commune CGT CFDT FSU Solidaires a un contenu nouveau sur les aides aux entreprises, et la manière dont Hollande s’y prend en réglant tout avec le Medef gêne ceux qui pourraient être ses compères habituels (la CFDT). Il reste que l’engagement du mouvement syndical contre le virage accentué néo libéral doit être pleinement indépendant, excluant toute instrumentalisation. Cela dépend largement du contexte général
- pour le Front de Gauche, à l’interne comme à l’externe un principe devrait s’imposer : « quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat »
à l’interne, cela signifie qu’il est temps de dépasser des bisbilles dérisoires qui le rendent inaudible … au plus grand avantage du néo libéralisme et de son commis du moment : des divergences existent, sans les ignorer , elles ne peuvent être l’alpha et l’oméga d’une stratégie.
à l’externe qu’il faut savoir traiter la « question PS » avec exigence et patience
-avec exigence : sans atténuer en rien la critique de la politique de Hollande . L’unité doit se faire contre cette politique ( cf Gérard Filoche) et en isolant Hollande et sa clique.
-avec patience ce qui se passe doit aboutir à un décrochage important de l’électorat et des militants PS sans nécessairement qu’ils s’alignent sur les positions du Fdg ou qu’ils le rejoignent ….. à condition de savoir éviter les amalgames : Hollande n’est pas le député PS moyen , qui n’est pas le militant PS moyen. Le système institutionnel est tel que l’orientation est fixée par un homme et que le parlement comme le PS sont dans un rôle passif : cela ne les exonère pas de leur responsabilité, au regard des engagements pris devant le peuple en 2012, mais ils sont au plus la périphérie du pouvoir. La cible principale doit être Hollande-Gattaz.
Tout cela ira plus ou moins loin ou vite selon l’avancée du travail d’explication et du mouvement de masse qui est décisif pour faire bouger. Cela prendra du temps : une rupture aussi lourde ne se fait pas en quelques semaines. Et s’il faut mettre tous ceux qui ont cru (qui croient encore !) au PS devant leur responsabilité, il faut éviter toute parole qui blesse et qui les rejetterait dans les bras d’Hollande. Un petit rappel : en 1956, Guy Mollet est élu pour faire la paix en Algérie, il accentue la guerre et laisse torturer. Après ce reniement, les premières fractures dans la SFIO et la gauche non communiste n’apparaîtront pas avant 1958.
i L’Allemagne a pratiqué au début des années 2000 une politique de « dévaluation interne » (amputation des prestations sociales et des salaires) et a compensé les débouchés perdus sur le marché intérieur par des exportations accrues dans la zone euro. Cela n’a été possible que parce que les autres pays européens menaient au contraire une politique expansionniste à crédit. Aujourd’hui où l’austérité est généralisée en Europe, il est vain d’espérer compenser à l’export la contraction du marché intérieur. Et une politique qui priorise partout les exportations est folle : à qui vendra t on si tout le monde fait la même chose ?
Et l’Allemagne a gardé un fort potentiel industriel à l’inverse de la France où depuis 30 ans, les gouvernements (de droite ou PS) ont laissé casser l’outil de production jusqu’à aujourd’hui avec Mittal, Petroplus, PSA et autres.