I La « fiscalité écologique », ou la redistribution à l’envers
- La TIPP comme la TVA , comme tout impôt indirect est un impôt régressif qui frappe beaucoup plus les plus pauvres : impact estimé de la dernière hausse 0.6% pour les 10 % les plus pauvres, 0.1% pour les 10 % les plus riches.
- Après la suppression de l’ISF, après la flat tax, après la tolérance sur la fraude et l’évasion fiscale , la « fiscalité écologique » est une imposture , dont l’effet mécanique ne peut être que de faire un peu plus encore de redistribution à l’envers.
- On ne peut donc déplacer ou replier le débat sur la simple utilisation de cet argent (détourné comme une partie de la CSG), ou sur l’octroi de « compensations » (rendre de la main gauche une petite partie de l’argent pris par la main droite) .
- Ceux qui soutiennent mordicus le principe de cette taxe(c’est ce que font la plupart des associations « écologistes » ,comme le RAC, la FNH, le WWF…. ou encore EELV), ont choisi leur camp dans ce qui s’affirme comme un combat de classes...
- Et ce qui est en jeu derrière la fiscalité des carburants est bien plus large : c’est toute la question de l’injustice et de la fraude fiscale, du pouvoir d’achat laminé, de la précarité de l’existence des couches populaires.
- Et l’écologie n’est ici qu’un alibi (utilisé par le créateur des cars Macron) pour aspirer toujours plus de richesses au bénéfice des premiers de cordée.
Il reste que les émissions de CO2 sont bien une question vitale, que les transports en représentent en France 30 % (dont les deux tiers du fait de la voiture individuelle).
Est-ce qu’augmenter les prix (par la taxation) peut amener à d’autres comportements « plus vertueux » pour reprendre les termes de nos marcheurs et de leurs associés « écologistes » ? Ce qui est fait est injuste (certains l’admettent à mi-mot) mais est ce efficace ?
II Les paramètres de la mobilité : choix individuels ou structures sociales
- On assiste à un étrange procès où on reproche aux couches populaires et moyennes leur manque de responsabilité face au changement climatique et où on leur intime de changer de manière de vivre.
- Étrange procès où on taxe l’essence et le diesel pour ceux qui travaillent tout en ignorant superbement ceux qui , pour prendre leurs vacances prennent l’avion : taxer le diesel oui, le kérosène non. Ou plus anecdotique, ce ministre de l’environnement qui pour visiter une bergerie et éviter les manifestants, prend l’hélico. Le même ensuite n’est pas avare de leçons de morale.
1) Retour sur terre
Pour une très large partie de la population, l’usage de la voiture est aujourd’hui indispensable pour aller au travail ,faire ses courses, faire des examens de santé, avoir des loisirs et une vie sociale. Est-ce un droit ou ceux qui sont dans cette situation sont ils voués à l’assignation à résidence ?
2)Étalement urbain, la faute à qui ?
Ceux qui se logent à l’écart des grandes villes seraient responsables de tout, en oubliant l’explosion du foncier , les attaques sur le logement social ? Et la volonté d’un peu d’espace , d’un peu d’air pur, serait illégitime, en tout cas pour les gueux ?
3)Services publics à l’abandon
- les écoles qui ferment, les hôpitaux et maternités qui ferment, tout cela oblige à des déplacements plus longs, mais les usagers en seraient coupables et pas ceux qui se vantent depuis des années (Macron n’innove pas) de tailler dans les dépenses publiques. L’amputation des ressources des communes aggrave le tout.
le manque de médecins, la disparition des petits commerces complètent le tableau avec toujours le même effet, prendre la voiture pour aller chercher plus loin ce qui a été supprimé dans la proximité
4) Des transports en communs sacrifiés
Lignes supprimées ou au ralenti, fréquences insuffisantes, la dégradation volontaire (cf réforme de la SNCF) du service public aboutit au contraire de l’objectif affiché. Bien loin d’abandonner la voiture pour prendre le train ou le car, beaucoup sont contraints à l’inverse[1].
5)Le travail toujours plus loin
Macron, l’an dernier, reprochait aux travailleurs de GMS de ne pas aller prendre un travail à 140 kms. Aujourd’hui, il reproche aux mêmes de consommer trop d’essence .Avec un emploi toujours plus aléatoire, plus précaire, avec des couples qui ne travaillent pas forcément au même endroit les gens vont toujours plus loin et n’ont pas forcément envie de déménager, en revendant éventuellement leur logement (c’est un crime d’acheter, ce doit être réservé aux beaux quartiers).
En définitive, les choix des gens sont très largement contraints Remettez des services publics, des commerces, des transports collectifs dans la proximité et ceux qui en premier souffrent de cette situation se déplaceront moins
Le choix des individus s’exerce dans un cadre social qu’ils n’ont pas décidé, qu’ils ne maîtrisent pas.
III La voiture , une place à réduire mais qui restera incontournable
1) Contradiction
- pour réduire la place du pétrole, pour émettre moins de CO2, pour un air plus pur il faut que les voitures roulent moins et consomment moins.
- en même temps, dans tout l’espace rural, et dans celui de la banlieue, il faudra toujours disposer d’une voiture. les transports en commun rétablis, améliorés n’assureront pas tout, dans un confort équivalent, dans toutes les directions, à toutes les heures. Sinon, cela s’appelle un taxi et cela ne coûte pas le même prix !
2)Quelle voiture , l’écheveau des intox et des confusions
Le discours officiel est que la taxe doit conduire (contraindre) les gens à choisir un véhicule moins polluant. L’alternative transports collectifs, services publics (évoquée en II3 et II4) est occultée pour n’évoquer que le changement de véhicule, or à court terme, il n’y a pas de voiture propre.
- La voiture électrique (on y reviendra plus bas) ?, mais les prévisions annoncent autour de 20 % de voitures électriques vers 2030. Il restera donc un parc thermique très majoritaire. L’argument « prenez une électrique » est donc une fadaise : en dehors de la question du prix, l’appareil productif ne peut pas fournir. Alors pour encore longtemps, c’est thermique ou thermique, essence ou diesel pour la grande majorité et que jusque dans les années 2030, l’industrie automobile devra encore produire des véhicules thermiques[2].
- Le diesel, longtemps encensé est (en apparence) diabolisé et visé par les interdictions de circuler en projet
- Mais en même temps , les malus écologiques frappent l’essence et non le diesel (l’essence génère plus de CO2 que le diesel) , et les fabricants arrêtent de fait certains modèles à essence parce qu’ils pèsent trop lourds dans leurs quotas CO2 globaux[3] , mais proposent sans problème du diesel.
- Et la prime à la casse des plus anciens véhicules aboutit à l’achat de diesels d’occasion plus récents voués à l’interdiction de circulation dans les grands centres urbains en 2024, rebelote.
On est devant un écheveau de mesures totalement incohérentes, où en particulier on ne sait plus si le risque majeur vient de l’essence ou du diesel. Les acteurs politiques, au niveau de l’état comme des grandes collectivités territoriales ne se soucient que d’une chose, l’effet d’image à court terme de leurs proclamations et non pas l’effet réel, écologique et social de ces mesures.
Et on escamote quelques questions gênantes
- Le renouvellement du parc automobile se fait sur 9 ans : l’accélérer, c’est gagner certes sur les émissions de CO2 sur l’usage mais en perdre beaucoup par la construction d’un nouveau véhicule.
- Les nouveaux filtres sont, parait il, beaucoup plus efficaces : financer leur adaptation sur les anciens véhicules reviendrait sans doute moins cher que le remplacement intégral du véhicule, au moins à débattre.
- Au travers de tout cela, une véritable ségrégation sociale s’installe. Certains voudraient bien remplacer leur véhicule mais c’est difficile quand on n’a pas 1000 € devant soi, quand on est en CDD(capacité à obtenir un prêt) , et les interdictions programmées , sur le grand Paris par exemple touchent d’abord les communes les plus pauvres https://www.marianne.net/economie/paris-vignette-crit-air-5-interdites-circulation-mesure-anti-pauvres
Au final, tout cela n’est qu’une mascarade pour habiller une ponction fiscale sur ceux qui travaillent et pour compenser les cadeaux faits aux plus riches.
Et c’est aussi le moyen d’instituer une ségrégation sociale dans les grands centres urbains qui seraient réservés à ceux qui ont les moyens de changer leur voiture pour la mettre aux normes.
3)La voiture électrique , une perspective mais pour le moyen terme
À court terme l’effet des transports collectifs rénovés et de la réimplantation de services publics, en limitant les déplacements individuels sera le plus efficace.
Mais pour le moyen terme, Il est très important de déboucher sur un nouveau véhicule décarboné, qui ne peut être en fait que le véhicule électrique. Une véritable décarbonation des transports passe par là : les autres solutions esquissées (voiture à 2l aux 100, véhicule à hydrogène) sont en effet très loin d’un démarrage industriel
- Au contraire,les batteries arrivent à maturité et des investissements énormes sont programmés un peu partout (et d’abord en Chine) pour basculer sur une production de masse[4]
- Le bilan CO2 sur le cycle de vie (intégrant la fabrication) est bon, contrairement à ce qui était dit à l’origine : moins 55 % d’émissions en Europe, moins 80 % en France. Evidemment, le résultat est fortement corrélé à la décarbonation du mix électrique[5].
- Des obstacles persistent : en ce qui concerne les moteurs électriques, ils utilisent en principe des terres rares, mais on a trouvé des substituts. Pour les batteries, il n’y a pas de terres rares mais un problème décisif de ressource avec le cobalt :on aurait juste de quoi électrifier une fois le parc mondial( pas deux). Le recyclage va être indispensable.
De gros problèmes vont se poser et il y a véhicule électrique et véhicule électrique
- La montée en charge industrielle va dépendre de la baisse effective des prix dont rien ne dit qu’elle sera encore conséquente, de l’accès aux ressources, en particulier le cobalt, dont les Chinois ont le contrôle
- Les batteries représentent 30 % de la chaîne de valeur avec un monopole possible de la Chine, il y a un risque lourd pour l’industrie automobile
- Surtout un choix va être à faire sur le modèle de voiture électrique, lourd de conséquences sur les ressources
- Soit on veut faire une voiture à l’image de la voiture thermique en terme de puissance et surtout d’autonomie et dans ce cas, il faut augmenter le volume et le poids de la batterie (les gains d’efficacité à venir s’annonçant limités) et il va falloir consommer plus d’énergie pour « tirer » ce poids et utiliser plus de ressources pour avoir cette batterie, et à terme ces ressources seront rares.
- Soit on va vers une solution alternative en 2 volets complémentaires
- Une petite voiture électrique de ville, légère avec une autonomie limitée (100 Km ?), une vitesse limitée (50 à l’heure) .
- Une hybride qui roulera en ville et sur les trajets courts à l’électricité (70 % des distances parcourues sur l’année en moyenne) et un moteur thermique pour la route
- Cette solution 2 a plusieurs avantages : coût plus limité ,20 % seulement des ressources qu’il faut pour une tout électrique, besoins en recharge plus limités
- Je ne cache pas que cette solution 2 me parait plus raisonnable pour une transition, en donnant du temps pour d’autres solutions techniques à moyen terme
Conclusion
- La transformation industrielle en cours est si vaste que des coopérations internationales seront indispensables : sous quelles formes ?
- La place de l’état , de la puissance publique est à revaloriser , que ce soit sous l’angle des services publics , que sur celui de la transformation industrielle, qui ne peut être laissée aux seuls constructeurs. Au travers de l’état les citoyens doivent être décideurs des solutions retenues. Les enjeux sont trop grands
[1] Exemple dans notre banlieue, pour aller à la gare (et à Paris) , des cars le matin et le soir , pas de cars entre 11 h et 16h30 . Si vous devez partir ou revenir dans cette plage, il reste la voiture
[2] L’appel des partis de gauche à arrêter la production du diesel (Cf https://www.ensemble-fdg.org/content/prix-de-l’essence-taxes-et-impots-faire-reculer-emmanuel-macron ) est de ce point de vue parfaitement irresponsable parce que l’alternative essence /diesel est loin d’être simple et tranchée et que surtout il y a des travailleurs chez Renault comme chez PSA , et que la moindre des choses aurait été de leur demander leur avis sur une proposition qui aboutirait à les mettre à la rue . Un signe de plus qui montre comment « la gauche » est coupée des réalités industrielles et du monde ouvrier. La revendication « Contraindre les constructeurs à fabriquer des véhicules propres et sécurisés » est aussi parfaitement vaine : à court terme, il n’ y a pas de véhicule propre et on ne change pas une chaîne de production en 3 mois, l’industrie automobile et les cosmétiques çà n’a rien à voir. Infantile !
[3] La commission européenne a impulsé un durcissement considérable des normes sans trop se soucier de savoir si l’industrie automobile pouvait suivre. On observe qu’en d’autres domaines, elle est beau coup moins sévère : rien par exemple sur les émissions de CO2 du mix électrique, qui est pourtant, avec le charbon la principale source d’émissions en Europe (pas en France) : il ne faut pas faire de peine à Merkel
[4] Sur ce point conférence vidéo Didier BLOCH : Le véhicule électrique de demain : opportunités pour la France ?
et https://youtu.be/5WnVIDq_hYE
[5] raison supplémentaire pour sauvegarder le mix électrique français , l’un des moins émetteurs de CO2 d’Europe avec la Suède et la Norvège .l’Allemagne ou la Pologne , avec leur recours massif au charbon sont bien l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire.