Quand les enjeux ne sont pas là où l’on croit.
Avertissement : l’auteur de ce qui suit n’a aucune prétention d’expertise, simplement l’envie en tant que citoyen de contribuer à un débat compliqué. Toute perspective de transformation sociale, pour être crédible, ne peut esquiver la question de l’organisation de l’économie pour satisfaire les besoins. Pour cela, l’énergie est un facteur déterminant. Ce billet se limite volontairement à l’examen de la situation française, et n’a donc pas valeur universelle.
Beaucoup de choses se disent autour des difficultés actuelles d’EDF, dans une très grande confusion, et avec un effet d’optique « nucléaire ou pas nucléaire », alors que cette question s’insère dans des enjeux beaucoup plus complexes : choix de société, indépendance énergétique et donc économique, lutte contre le réchauffement climatique.
Les services publics (et en premier lieu EDF et la SNCF) ont été à la base de la reconstruction de la France après 1945, du progrès économique considérable réalisé en trente ans, et des conquêtes sociales qui y ont été associées. Leur remise en cause aujourd’hui s’insère parfaitement dans le processus « pour en finir avec 1945 » (et le programme du Conseil National de la Résistance), dont la loi El Khomri est le dernier avatar.
Cette question n’est pas mineure,elle conditionne largement notre capacité à sortir du cauchemar libéral et à réussir une véritable transformation sociale et écologique.
Pour pouvoir détruire un service public, l’OCDE a donné la recette : il faut d’abord l’empêcher de remplir ses missions, par manque de moyens, par dénaturation de son objet pour que son image dans l’opinion publique change. Nos libéraux s’y sont attelés, de la commission de Bruxelles à Sarkozy, puis Hollande, dans une continuité touchante.
I Une stratégie délibérée de sape du service public
Ø La déréglementation, la mise en concurrence, comme dans tous les pays où cela est intervenu, désorganisent complètement le système. Pour ce type d’activité, qui exige des investissements fixes sur le long terme, et où la duplication des équipements entre concurrents est signe de gâchis, la concurrence est le contraire de l’efficacité.
Ø La financiarisation d’EDF, la multiplication des aventures internationales (cf Grande Bretagne et l’affaire d’Hinkley Point) dévoient l’entreprise publique de sa mission qui est de produire et de distribuer de l’électricité en France et qui stérilisent des ressources financières et techniques dont nous aurions bien besoin
Ø L’affaiblissement des ressources internes financières et humaines, la perte de compétences, le recours accru à la sous-traitance complètent ce tableau : une partie des déboires d’EDF à Flamanville vient de là
Ø Les questions du nucléaire et de la transition énergétique se posent dans ce contexte : il est très difficile (pour des raisons évidentes) de privatiser le nucléaire mais il est possible de réduire EDF au seul nucléaire en privatisant les barrages et en développant l’éolien et le photovoltaïque dans un système totalement marchandisé et privé de toute cohérence.
Tout cela est mis en musique par une direction étrangère au service public et par le gouvernement en ne jouant qu’à court terme dans un secteur où seul le long terme compte. Tout est fait pour disloquer ce qui était (et est encore) un grand service public pour dégager des zones de profits juteux pour le grand capital en en finissant avec le bien commun à tous les usagers.
II) Pour la transition énergétique, il faut plus d’électricité
Le réchauffement climatique doit-il être au centre de nos préoccupations ou est-il un problème parmi tant d’autres ? il ne suffit pas d’afficher des objectifs sans envisager sérieusement comment y parvenir et les faits sont têtus.
Ø Contrairement à une idée reçue, les énergies fossiles carbonées sont dominantes en France: le pétrole d’abord (40 % de l’énergie finale) puis le gaz (20 %) alors que l’électricité représente 25 % du total.
Ø À noter que même avec des prix bas, les importations de pétrole et de gaz représentent encore une dépense de 55 milliards € à l’importation : cette dépendance peut entraver toute politique alternative.
Ø Certes on doit recourir aux renouvelables chaleur : solaire thermique pour l’eau chaude sanitaire et biomasse, mais ce n’est qu’une partie limitée des usages et les ressources en biomasse sont et seront limitées, du fait des surfaces disponibles.
Ø Certes il faut développer les économies d’énergie mais c’est un processus long et coûteux : 28 millions de résidences principales en France, cela veut dire une rénovation sur 30 ou 40 ans.
Ø Et de toute façon, même avec des moteurs plus efficaces, il faudra toujours de l’énergie, même avec des maisons mieux isolées, il faudra de l’énergie et une industrie relocalisée exigera de l’énergie.
Ø la réduction drastique des rejets de CO2 implique de sortir des énergies carbonées et cela n’est pas possible sans recours accru à l’électricité (évidemment décarbonée) pour l’habitat, les transports, l’industrie : pompes à chaleur, véhicules électriques, transports ferroviaires…
III L’énergie, l’électricité, quelques questions majeures : contraintes et risques
Dans tout ce qui circule, il y a beaucoup de choses fausses ou approximatives, sur les problèmes posés par le nucléaire ou les renouvelables, et sur les coûts et les risques
1) Les « renouvelables » électriques
Ø Dans un avenir visible, le choix est assez réduit : l’hydraulique ne peut guère se développer plus, la biomasse devrait rester relativement marginale en ce qui concerne la production d’électricité (préservation de la forêt, concurrence avec l’agriculture pour l’usage des surfaces)
Ø Seuls l’éolien et le photovoltaïque ont la capacité théorique d’un développement important pour éventuellement se substituer au nucléaire et/ou fournir une électricité accrue.
Ø la loi de transition énergétique a fixé comme objectif de ramener en 2025 la production nucléaire à 50 % de la production totale d’électricité (montant total sur lequel aucune indication n’a été donnée). A production électrique constante, cela a comme conséquence logique de supprimer 140 TWh de nucléaire (un tiers en gros), qu’il faudra bien remplacer : la loi est muette sur ce point mais une hypothèse logique serait une production supplémentaire de 140 TWh d’éolien (ce qui implique une puissance de 67 GW)[1]
Ø Bien loin de l’image bucolique qu’on donne volontiers aux renouvelables (quelques panneaux solaires sur un pavillon), ce sont des installations lourdes, avec des investissements considérables.
o Une éolienne actuelle de 5 MW fait 150 m de haut et coûte 7.5 millions €, pour le photovoltaïque les installations dont on vante la compétitivité nouvelle (réelle) sont des centrales solaires au sol (la dernière couvre 300 ha[2] .
o Les surfaces utilisées sont considérables : 1 km2 pour un parc éolien de 50 MW, 1 km2 également pour une centrale solaire au sol de 100 MW . Dans l’hypothèse de base supra (67 GW en plus, soit 13400 éoliennes de 5 MW), il faut au sol 1340 km² pour l’éolien et cela pas n’importe où (il y a plus de vent sur le littoral et sur les hauteurs)
o La grande dispersion des parcs éoliens et solaires exige beaucoup de raccordements :dans notre exemple plus de 1300 sites contre une vingtaine pour le nucléaire, beaucoup plus de lignes haute tension, ce qui évidemment a un coût(cf exemple allemand , le coût réseau est de 70 €/MWh contre 40 €/MWh en France)
Ø Ces énergies exigent l’utilisation de « terres rares » dont la disponibilité n’est pas garantie sur le moyen terme[3] et dont la Chine est, de loin, le principal fournisseur.
Ø et surtout ces énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque) sont intermittentes,
o Le stockage de masse est très limité, le seul stockage mature est le pompage turbinage (Step[4]) dont la capacité est de l’ordre de 80 GWH, ce qui dans l’hypothèse retenue, représente 5 heures de production moyenne, de toute évidence très loin de couvrir une journée anticyclonique.
o Sur l’hypothèse avancée 140 TWh éolien, pour couvrir une seule journée sans vent, il faudrait une capacité de stockage de 386 GWh, pratiquement 5 fois ce qui est disponible. Au mieux, il est prévu à terme le doublement des Step.
o L’utilisation des batteries est hors de portée : stocker la même quantité d’électricité 386 GWh par ce moyen reviendrait à un investissement de 115 milliards €. Pire, si on faisait cela dans le monde entier, on n’aura jamais assez de lithium.
o Au-delà de quelques heures, un relais par des centrales à gaz est inévitable avec son effet sur les coûts et les rejets de CO² qui dans ce cas augmentent obligatoirement.
o Cela ne condamne pas les nouveaux renouvelables mais limite leur développement, sauf à s’affranchir totalement des conclusions de la Cop 21 et cela tant qu’un stockage de masse de l’électricité, totalement irréaliste pour l’instant, ne sera pas possible, à un coût acceptable. Cela exigera un véritable saut technologique, qui pour l’instant n’est pas en vue.
2) le nucléaire
La question des risques sera traitée au point 3
Ø L’approvisionnement en uranium : il se fait au Niger, et on critique (largement avec raison) le caractère néo colonial de l’affaire, cependant cela n’a rien de spécifique à l’uranium et peut s’appliquer au pétrole, ou à telle ou telle matière première. La différence est qu’environ une dizaine de pays dans le monde produisent au moins autant d’uranium que le Niger et certains bien plus (Canada, Australie), que les stocks sont de trois ans. Le risque en terme d’approvisionnement est ainsi bien plus faible que pour le pétrole ou le gaz (ou les terres rares, voir supra). Enfin la part du combustible est très faible dans le prix du kWh nucléaire (quelques %) : un doublement du prix de l’uranium n’aurait que des conséquences marginales.
Ø Les réserves d’uranium sont évaluées à 80 ans au niveau actuel de fonctionnement de l’industrie nucléaire et au prix actuel du minerai ; un doublement de ce prix augmenterait considérablement les ressources en rendant rentables de nouveaux gisements.
Ø Il y a plusieurs types de centrales nucléaires. Les réacteurs REP utilisés en France sont très différents des RBMK (le réacteur de Tchernobyl) et même des Réacteurs à eau bouillante utilisés à Fukushima[5] Par contre ils sont du même type que celui de Three Mile Island
Ø La « vétusté » supposée de certains réacteurs interdirait leur prolongation : sur une centrale nucléaire, on peut tout changer (les pompes, les générateurs de vapeur…) à l’exception de l’enceinte et de la cuve. Il va de soi que tout signe de défaillance sur la cuve ne peut qu’entraîner l’arrêt immédiat et définitif du réacteur. La question est donc, non pas d’incriminer en soi et en général la «vétusté » mais d’indiquer quel composant aurait du être changé et ne l’a pas été.
Ø L’ancienneté des centrales n’est pas forcément un risque accru pour la sécurité, Tchernobyl et Three Mile Island étaient des réacteurs quasi neufs ; faut-il rappeler que les Américains mènent leurs centrales d’office à 60 ans et que les Suisses, qui incriminent le nucléaire français tout en important sa production font de même ?
3) Les risques
a) le nucléaire
C’est évidemment une question majeure et qui peut être déterminante.
Les antinucléaires avancent deux raisons majeures, le risque d’accident et les déchets.
Ø Pour les déchets[6], si des pratiques inacceptables ont existé dans le passé (immersion en mer), il me parait que, si les choses sont faites correctement, l’enfouissement ne fait pas courir de risque sérieux. Les couches géologiques concernées ne bougeront pas sur plusieurs centaines de milliers d’années, le temps géologique n’est pas le temps humain. A noter que si l’on s’inquiète (et à juste titre) des déchets nucléaires, on se soucie bien peu des déchets chimiques, d’un volume bien plus important, dont le confinement n’est pas assuré et dont la nocivité, elle, est éternelle.
Ø Le risque de l’accident est un problème bien plus grave. Certains, sur la base des deux accidents majeurs (Tchernobyl, Fukushima) considèrent que cet accident arrivera nécessairement et en déduisent (et c’est logique de ce point de vue) qu’il faut arrêter. D’autres peuvent avoir une position symétrique et dire que çà n’arrivera jamais. Ce sont des positions de type religieux qui évacuent trop facilement une analyse des situations du point de vue de la société et du point de vue physique. Pour Fukushima, il est clair que le risque sismique (d’où le tsunami), était majeur et le restera. Pour Tchernobyl, le type de réacteur était clairement à risque. Au delà de ces considérations techniques ou physiques, les structures sociales sont déterminantes et dans les deux cas, tout en étant très différentes, elles étaient très autoritaires, très hiérarchiques : l’obéissance aux ordres, même stupides, allait de soi.
Ø C’est dire qu’une transposition mécanique de ce qui a généré Tchernobyl ou Fukushima n’est pas fondée, mais pour autant ce n’est pas nier qu’autre chose peut générer ailleurs une catastrophe. Est elle fatale ? Je ne le pense pas mais cela dépend de normes de sécurité toujours plus sévères, d’une autorité de sûreté qui ait non seulement le pouvoir de contrôle mais la capacité de l’assurer, d’un service public préservé et développé où le statut des personnels est une garantie éminente. Faute de tout cela, effectivement, les pires craintes seraient fondées.
Ø C’est là qu’on mesure la responsabilité de ceux qui en Europe comme en France (des Républicains au PS et aux Verts) poussent au démantèlement du service public, par la mise en concurrence, par l’éolien et le photovoltaïque livrés au privé, par la privatisation des barrages[7]. Ceux là peuvent, pour certains, verser des larmes de crocodile sur les dangers du nucléaire, mais ils contribuent à les amplifier en poussant vers un système mode Tepco[8].
b) L’échelle des risques
Il est parfaitement hypocrite de tout concentrer sur le risque nucléaire, et d’oublier tout le reste.
Ø L’industrie chimique, flambeau de l’industrie allemande depuis un siècle
Ø Le charbon, responsable chaque année de centaines de milliers de morts dans le monde, et de plusieurs milliers en Europe[9]
Ø Et surtout le risque climatique dont je pense vraiment que certains, tout en s’y référant, ne mesurent pas la portée, et cela bien avant 2100 : la multiplication des sécheresses ou au contraire des pluies intenses peut avoir des conséquences majeures pour l’humanité.
o Elle peut entraîner des déplacements de population bien plus importants que celui d’aujourd’hui avec les réfugiés syriens, des guerres, des massacres. On parle d’îles peu peuplées du Pacifique, mais on oublie que le Bangladesh (150 millions d’habitants !) peut se retrouver sous les eaux.
o Tous les rejets de CO2 des prochaines années affecteront le climat pour tout le siècle : ceux qui amnistient l’Allemagne pour son recours « provisoire » au lignite sont donc parfaitement irresponsables.
o Le recours massif aux énergies décarbonées s’impose donc : ceux qui se limitent à l’alternative nucléaire ou renouvelables (ce qui est sans effet sur les rejets de CO²), sans nous dire comment on peut sortir des fossiles, ou pire qui proposent de diminuer la production d’électricité (implicitement donc plus de fossiles : certains proposent explicitement plus de gaz pour l’habitat), tous ceux là n’ont pas pris en compte l’enjeu principal.
c) Ne pas idéaliser le passé pré-industriel
Certains rejettent la société industrielle au nom d’un passé mythique qui n’a jamais existé. En 1800, l’espérance de vie en France était de 30 ans, en 1900 de 50 ans. Le progrès industriel, scientifique et technique est porteur de contradictions, à la fois de progrès humains colossaux et des pires horreurs. La maîtrise de ce progrès, ce n’est pas revenir en arrière, cultiver la nostalgie d’une société dominée par la misère du plus grand nombre (ce qui est encore le cas aujourd’hui pour beaucoup trop de pays), mais permettre enfin aux peuples de contrôler leur destin, en sortant de l’emprise du capitalisme mondialisé qui produit le chaos.
IV Quelles issues pour 2025 et après
C’est une question compliquée où de nombreux paramètres interviennent
1)Des inconnues majeures
Ø Aurons nous une percée technologique sur le stockage de l’électricité ?
Ø Les ressources en composants pour les renouvelables (ou pour les batteries) seront elles suffisantes ou trouvera t- on des substituts ?
Ø EDF réussira-t-elle ou non à développer un réacteur « post-EPR » avec une sécurité optimale et un coût acceptable ?
Nous n’avons pas les réponses, et cela conditionne en partie les choix que nous pourrons faire.
2)Des exigences incontournables
Ø Il faut mettre fin à la déréglementation made in Bruxelles, à la concurrence sauvage. Les arbitrages entre les modes d’énergie doivent relever d’une décision politique pas de la loi du marché, et cela à la fois pour permettre la satisfaction des besoins et garantir la sécurité.
Ø Pour les mêmes raisons, l’ensemble de la production électrique doit relever du seul service public
§ EDF doit mettre fin à l’aventurisme multinational et recentrer sur la France ses ressources financières et techniques
§ Les services publics doivent être profondément démocratisés : représentation des personnels et des usagers avec pouvoirs effectifs sur les décisions.
Ø Il faut relocaliser l’industrie en France, revenir en partie sur la mondialisation, ce qui implique que les besoins en énergie augmentent de ce fait (tout en baissant par ailleurs du fait d’une meilleure efficacité).
Ø L’Autorité de Sûreté Nucléaire(ASN) doit disposer de tous les moyens juridiques, techniques et humains nécessaires.
Ø Les Step doivent être développées dans toute la mesure du possible, la recherche sur le stockage de l’électricité doit être prioritaire.
3) Les orientations d’ici 2025
Tout d’abord, nous ne pouvons prendre d’orientations définitives, vu les incertitudes lourdes sur l’ensemble de la question. Les options doivent rester ouvertes d’ici 2025/2030, cependant
Ø La consommation et la production électrique doivent augmenter d’ici 2025, sans doute de 10 à 15% (hausse de la population, transferts d’usages sur l’électricité), cela doit se prolonger sur le long terme, c’est une condition vitale pour la réduction de l’effet de serre.
Ø L’objectif de réduction de 50 % de la part de nucléaire dans l’électricité d’ici 2025(simple magouille politicienne entre « Moi président » et les Verts) est parfaitement intenable (https://alaingrandjean.fr/2016/01/11/50-de-nucleaire-en-france-un-objectif-realiste/) du fait de la quasi impossibilité (technique et financière) d’avoir une alternative renouvelables dans ces délais[10].
Ø Le potentiel nucléaire doit donc être pour l’essentiel maintenu d’ici 2025 et les centrales qui sont dans ce cas de figure prolongées à 50 ans, cependant, il est tout à fait possible que l’ASN, qui doit à la fois rendre une décision globale sur la prolongation puis au cas par cas sur chaque réacteur, mette son veto sur certains. Il est donc probable que la capacité nucléaire soit de fait un peu réduite d’ici 2025.
Ø Aucun réacteur nouveau (hors Flamanville) ne sera mis en service d’ici 2025. Beaucoup d’observateurs considèrent qu’il faut d’abord faire le bilan de l’expérience de la construction des EPR, puis de leur début de fonctionnement, avant éventuellement de définir le concept d’un EPR remanié (qui aurait de fortes chances de ne plus être vraiment un EPR), si on ajoute les délais de construction, on est un peu avant 2030 .La précipitation de la direction d’EDF et de l’ineffable Macron sur ce point (cf dossier anglais) est irresponsable : il s’agit d’impératifs industriels lourds, pas de spéculation à 3 mois.
Ø De ce fait, l’augmentation de la production d’ici 2025 reposera sur les renouvelables et principalement l’éolien, mais dans des proportions moindres que pour un substitut du tiers de la production nucléaire. C’est un objectif ambitieux cependant : sans doute un quadruplement de la puissance éolienne actuelle (une production supplémentaire de 70 TWh, ce qui correspondrait à 33 GW en puissance d’éolien, s’ajoutant aux 10 GW actuels). Dans cette optique la part du nucléaire passerait de 77% à 69%.
4) L’avenir après 2025
Ø Après 2025, il faudra faire des choix plus définitifs : poursuite du développement des renouvelables, associé ou non à la programmation de la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Ces choix seront fonction de la réponse à de multiples incertitudes : acceptation de l’implantation de l’éolien ou du solaire, disponibilités des composants, progrès techniques sur le stockage, progrès sur la sûreté nucléaire évolution de tous les coûts.
Ø Comme tous les processus de changement de mode énergétique, cela sera nécessairement long, il a fallu 60 ans après la mise au point des moteurs Diesel pour que le pétrole supplante le charbon. Les fossiles dominent notre monde depuis bientôt 200 ans, il ne faut pas sous estimer la difficulté à s’en affranchir, ce qui est pourtant vital.
Ø Dans ce contexte, le remplacement total du nucléaire par des renouvelables (par des fossiles évidemment c’est tout autre chose), dans un processus de décarbonation presque complète de l’énergie (et donc obligatoirement de croissance des usages de l’électricité), si cela se révélait possible[11], serait un processus long et difficile, subordonné de toute manière à des technologies qui aujourd’hui n’existent pas.
Tout cela ne peut s’engager que dans un processus de profonde transformation politique et sociale, notamment par la restauration des services publics et la rupture franche avec le néo libéralisme appuyé sur le carcan monétaire et institutionnel européen dont les effets sur ce secteur sont particulièrement désastreux.
Annexe coûts et financements
1) La question des coûts
Elle ne règle pas la question de la pertinence des choix nucléaire, fossiles, renouvelables mais dans beaucoup de ce qui est publié, on est au bord de la falsification, notamment à propos de la relation faite du rapport de la cour des comptes.
Ø Beaucoup opposent le chiffrage EDF à 55 milliards d'euros d'investissement pour le « grand carénage » d’ici 2025 (à la fois prolongation de 40 à 50 ans des réacteurs qui atteignent 40 ans et normes post Fukushima) à celui de la cour des comptes qui aurait dit 100 milliards.
Ø En réalité si on lit le rapport de la cour des comptes https://www.ccomptes.fr/content/download/89505/2121127/version/1/file/04-maintenance-centrales-nucleaires-RPA2016-Tome-1.pdf, on observe que la cour des comptes valide le chiffrage EDF pour 2025, mais le complète jusqu’en 2030 avec un investissement global pour 2030 de 74 milliards auquel s'ajoute une dépense d’exploitation de 26 milliards sur la période, d’où les 100 milliards à l’échéance 2030.
Ø Dans l'optique de cet investissement de 55 milliards d’ici 2025, la cour des comptes évalue le coût du MWh d’ici 2025 entre 60 et 65 €/MWh et autour de 75 €/MWh vers 2030.
Ø et surtout, il s’agit de chiffrer l’alternative[12] : reprenons notre hypothèse type 140 TWH de nucléaire en moins (1/3 de la production) et 140 TWH de renouvelables en plus, en implantant 67 GW d’éolien
o coût au Mw 1500 €, donc un investissement initial de 135 milliards €, s’y ajoute la mise en place en back up de centrales à gaz pour couvrir les périodes sans vent soit un montant de 10 milliards € .Au total un investissement (en omettant les surcoûts réseaux) de 145 milliards.
o sur le coût du MWh, même décalage : 60 à 65 € le MWh nucléaire « prolongé » à 50 ans et pour l’éolien un coût approximatif incluant le coût direct éolien, plus le surcoût réseau, et le coût du gaz en back up de 108 €/MWh à 127 €/MWh[13] .
o Si on ne fait pas le grand carénage pour un tiers des centrales et qu’on les ferme, il faudra bien le faire pour les autres, sauf à mépriser toute norme de sécurité.
Le constat est clair : dans l’alternative prolonger les centrales à 50 ans ou les remplacer par des renouvelables, contrairement à ce que l'on croirait, le premier choix est plus avantageux… sur le plan financier.
2) Les financements
Ils sont de toute manière et dans toutes les hypothèses très élevés, en effet, il faut
Ø Financer les investissements pour le nucléaire ou pour les renouvelables, ou un mix des deux (cf infra)
Ø Commencer l’isolation de l’habitat et du tertiaire
Ø Développer les transports en commun et le ferroutage
Ø Développer les pompes à chaleur
Ø Tous ces investissements représentent une dépense en capital considérable, et dont la rentabilité pour la société sera seulement à moyen terme .De ce point de vue, le nucléaire comme les renouvelables ont la même caractéristique : investissement lourd en capital fixe, dépenses de fonctionnement limitées, tout le contraire des fossiles (coût capital faible mais coût combustible élevé). Environ la moitié du coût renvoie au coût du capital (frais financiers et dividendes), sur un taux d’actualisation de 8 %.Si ce taux passait à 0%, la dépense chuterait de moitié aussi bien pour un réacteur nucléaire que pour un parc éolien[14].
Ø Deux questions impératives se dégagent alors
· Le financement par la banque centrale. On peut toujours attendre que la BCE le fasse : dans le carcan institutionnel existant, c’est une illusion complète.
· La mondialisation associée au libre échange qui donne un avantage comparatif aux énergies fossiles au détriment des pays qui veulent passer à des énergies décarbonées.
Retrouver notre souveraineté monétaire, comme la capacité de réguler nos échanges est donc une condition clé de toute transition véritable. Ceux qui s’accrochent à l’Europe telle qu’elle est qui verrouille toute évolution sur ces deux points ou pire qui préconisent une Europe fédérale n’assument pas ces enjeux.
NB :
Quantité d’énergie :
1MWh =1000 kWh ; 1GWh=1 million de KWh ;1 TWh = 1 milliard de kWh .
Puissance : 1MW =1000 kW ; 1GW=1 million de kW
[1] L’éolien semble au total présenter une intermittence moindre que le photovoltaïque, et a une production bien supérieure en hiver, quand les besoins sont les plus importants
[2] La dernière centrale solaire au sol affiche un taux de rachat à 105€/MWh , mais le prix de l’intégré sur bâti reste bien supérieur, autour de 250 €/ MWh sur pavillon individuel. Logique : le prix du panneau baisse mais le reste (le raccordement, l’implantation sur un toit) non.
[3] pour l’indium, indispensable pour les panneaux photovoltaïques, les ressources sont d’une vingtaine d’années et la Chine en a 70 %
[4] Station de pompage turbinage .en heure creuse, on pompe l’eau à partir d’un bassin aval pour la remonter au bassin amont, en pointe, on turbine l’eau pour obtenir de l’électricité comme sur un barrage ordinaire
[5] Réacteur américain General Electric non qualifié aux Usa
[6] Sur la question des déchets et du démantèlement, l’addition finale avancée est de l’ordre de 50 milliards pour le tout, en principe provisionnés. C’est beaucoup et peu, ces montants sont peut-être sous évalués mais pour la production d’un parc pendant au moins 40 ans, cela ne peut jouer que sur quelques % de la valeur de la production. A relever aussi que ces dépenses, à l’inverse de l’investissement s’étaleront sur plusieurs dizaines d’années. Sur le démantèlement, les chiffres les plus fantaisistes circulent, mais sur ce type de centrale, cela s’est fait déjà fait aux Usa : autour de 500 millions de dollars, soit 450 millions €
[7] Votée par le Ps et les Verts
[8] Tepco qui a creusé une falaise de 40 m de haut pour installer ses réacteurs au ras de l’eau dans une zone où le risque Tsunami était notoire , qui a ignoré les études sur la recrudescence du risque sismique 10 ans avant la catastrophe, tout cela pour les dividendes.
[9] Le Monde publie un article sur « 600 000 français habitent à côté d’une centrale nucléaire » mais il ne titrera jamais sur « combien d’allemands habitent à côté d’une centrale à charbon ou d’une mine de lignite ? »
[10] cela impliquerait en 2025 un potentiel éolien total autour de 77 GW (10 actuels +67 nouveaux), donc une multiplication par 7 et la mise en service d’ici 2025 de 6 ou 7 GW par an ; Le rythme actuel de croissance est de 1 GW par an
[11] voir à ce propos http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2015/11/ademe-un-mix-%C3%A9lectrique-100-enr.html
[12] Déjà la CSPE, prélevée sur nos factures d’électricité, destinée à soutenir l’éolien et le photovoltaïque, s’élève à plus de 6 milliards par an (pour 5 % environ de la production électrique globale).
[13] ce calcul a été fait sur la base d’un éolien à 82 € du MWh (hypothèse haute tarif actuel )et à 65 € (hypothèse basse d’une baisse des tarifs) ,en intégrant le coût de l’intermittence notamment le coût du gaz en secours, le surcoût réseau est évalué à 30 € du Mwh sur la base du différentiel actuel Allemagne France .
[14] https://alaingrandjean.fr/2012/06/25/le-capital-contre-la-transition-energetique/