Rompre avec l’austérité pour sortir de la crise , c’est la seule alternative possible . Cela remet en cause tout un système, et exige d’identifier les obstacles. Avec quelle stratégie pour que la France , en Europe, puisse mettre en oeuvre une politique de progrès
I la crise, un système, et des écueils
1)prendre la mesure de la crise
En ce qui me concerne, combattre la politique économique et sociale d’austérité est une nécessité absolue. Cette politique, derrière des habillages rhétoriques risibles (le « sérieux budgétaire » opposé à l’austérité) nous enfonce dans une dépression de longue durée dont on voit de moins en moins la sortie. Les réformes libérales qui, en lien étroit avec un cadre européen de plus en plus oppresseur, prolongent et amplifient celles de Sarkozy gênèrent déjà une situation sociale très dégradée, mais qui n’est rien par rapport à tout ce qui se profile
Nous sommes menacés par un effondrement social, économique et politique : dans un contexte certes différent, notamment sur le plan international, la référence aux années trente n’est pas surfaite.
Il faut absolument prendre la mesure de la gravité de la crise, présente et surtout à venir.
Or la réponse politique à cette situation n’est absolument pas à la hauteur : le Front de Gauche est le seul qui avance une réponse véritable de relance par la demande (salaires, prestations sociales, investissements publics) mais malgré le bien fondé de ces propositions son audience n’est pas à la hauteur, loin de là,et l’électorat socialiste se réfugie dans l’abstention après avoir fait le constat de la réalité de la politique de Hollande au profit exclusif des dominants.
Les réactions à la politique menée oscillent entre la déception, la colère, le rejet mais sans que se dessine massivement la conscience claire d’une alternative possible.
C’est un handicap majeur pour toute issue politique positive mais aussi pour une montée du mouvement social à la hauteur des enjeux.
2) un système mortifère mais cohérent et puissant :une rupture indispensable
Il y a une appréhension forte devant une rupture qui devra être effectivement une rupture radicale : il n’y a plus de solution moyenne un peu mieux ou un peu moins mal que la situation présente. Les fondements historiques de la social démocratie sont épuisés dans la mesure où il n’ y a plus de « grain à moudre » du fait du triomphe du capitalisme libéral et de sa cupidité sans limite : il n’y a plus de compromis social durable à l’intérieur de ce système
Parce que nous sommes essentiellement confrontés à un système, et pas à la malveillance d’individus. Ce système est destructeur, il mène au désastre mais il a une grande cohérence interne. La quasi totalité des décideurs économiques et politiques s’y conforment à la fois en raison de connivences d’intérêt fortes, d’une manière de pensée où pour eux il n’y pas d’autres façons de fonctionner, mais aussi et surtout parce que le système a des forces de rappel très fortes pour remettre dans le droit chemin ceux qui s’en écarteraient :
- le mécanisme du crédit qui met les états et au delà l’économie entière à la merci de la finance,
- les mouvements de capitaux et la spéculation,
- la possibilité qu’ont les multinationales, en déplaçant la production d’un pays à l’autre d’exercer un chantage permanent sur l’emploi et l’activité,
- toute une réglementation européenne qui ossifie les logiques libérales
- et le rôle « éminent » de gardiens du temple des multinationales d’organismes non élus : en France la Cour des comptes (qui vient de proposer 28 milliards de coupes budgétaires supplémentaires), le Conseil constitutionnel , toujours prêt à défendre les riches , et pour l’Europe la Commission avec l’ineffable Barroso toujours prêt à parler en dernier ressort au nom des peuples , la Bce, la Cour de Justice.
Il est illusoire d’imaginer que l’on fera bouger de l’intérieur ce système. La rupture, est incontournable, mais il reste à définir les voies de cette rupture : comment se libère t-on du système, de cette pieuvre libérale ?
3)des écueils à ne pas négliger
Donc, imaginons un vrai gouvernement de gauche appuyé par un vaste mouvement populaire et le suffrage universel (la révolution citoyenne) qui pousse à l’augmentation des salaires , qui crée des emplois publics , qui relance l’économie par des investissements publics , par une politique de crédit ciblée sur des secteurs prioritaires pour les besoins de la population, que se passe t il ?
- L’objectif, comme en 1936, comme à la Libération, est que le progrès social , la dépense publique relancent une production ciblée sur les besoins . la hausse des ventes permettant aux entreprises d’absorber la hausse des salaires et les encourageant à embaucher et à investir. mais ce résultat vertueux n’a rien d’automatique.
Du fait même de la hausse des salaires et de son impact sur la concurrence, la relance de la demande peut accélérer les importations et donc au final relancer …l’économie allemande ou chinoise. C’est ce qui s’est passé en 1981/83. Les multi nationales peuvent très bien, en jouant sur les différentiels de coût accroître la production de leurs filiales à l’étranger et freiner la production (et l’emploi)en France, par intérêt et par sabotage. L’accentuation du déficit extérieur, donc de l’endettement extérieur, fragiliserait rapidement l’expérience, soumise à des pressions insurmontables.
- Très clairement, le choix de la relance signifie qu’on laisse filer les déficits qui ne pourront être surmontés qu’ultérieurement grâce à la croissance : croire que les marchés vont benoîtement prêter de l’argent à bas taux à un état qui mène une politique contraire à tous leurs desiderata est naïf, il faut s’attendre à une explosion des taux et à une fuite des capitaux.
Comment réussir une politique de progrès en France dans le cadre européen, voire mondial. ?
II Deux stratégies en débat dans la vraie gauche
1) changer l’Europe ?
- Pour beaucoup (et c’est la position officielle du Front de Gauche) il est possible d’exiger et d’obtenir par la pression une réorientation complète de la politique européenne : alignements des droits sociaux vers le haut partout en Europe,prêts massifs de la BCE aux états , amorce d’un protectionnisme européen , baisse de l’euro par rapport au dollar, au yuan…
La France aurait le poids suffisant pour imposer cela à toute l’Europe et d’abord à l’Allemagne.
- Il me semble que c’est une illusion grave qui fait une impasse sur la position de l’Allemagne, pourtant analysée avec brio par Jean-Luc Mélenchon .L’Allemagne(= les milieux dirigeants mais avec un rapport de forces qui leur est très favorable), du fait de son vieillissement démographique privilégie la rente, elle a intérêt à un euro fort qui rentabilise un maximum ses ventes de biens d’équipement dans le monde entier. Je n’imagine pas l’Allemagne acceptant une politique allant à l’encontre de toutes ses priorités. avec de surcroît des transferts financiers massifs vers l’Europe du Sud , condition indispensable à l’harmonisation sociale et économique.
- Et l’Allemagne n’est pas seulement Merkel , c’est Schröder qui a inauguré la destruction des acquis sociaux au début des années 2000 .Si le Spd revient au pouvoir (en grande coalition avec la Csu ?) , la politique allemande ne changera pas.
- Jens Weidmann, président de la Bundesbank « En union monétaire, les rachats sur les marchés secondaires ne devraient pas être utilisés pour faire baisser les primes de risques des divers pays, sauf à menacer, entre autres choses, d’annuler le rôle disciplinaire des marchés de taux et d’écarter les pays de la voie de la responsabilité financière »
En résumé, la zone euro s’est construite selon les desiderata allemands (banque centrale indépendante, euro fort, orthodoxie budgétaire), qui sont malheureusement enracinés pour des raisons historiques dans la culture politique allemande. L’Allemagne n’ y renoncera pas et elle a tous les moyens de bloquer une transformation progressiste de l’Europe tant qu’elle peut s’appuyer sur le cadre institutionnel et juridique européen qui sanctuarise les dogmes libéraux.
Pour reconstruire une Europe qui prenne enfin en compte l’intérêt des peuples, la rupture de facto avec le système de l’Europe technocratique et libérale est incontournable.
2)se redonner une autonomie de décision par une souveraineté retrouvée
Cette orientation est d’ailleurs esquissée par le Front de Gauche en prônant une politique de « désobéissance » vis-à-vis des traités, notamment en faisant appel à la Banque de France pour la création monétaire si (ce qui est plus que probable) la BCE refuse. Mais de fait envisager ces initiatives (que j’approuve) c’est sortir des traités européens et dans le cas évoqué, sortir de l’euro.
Pour retrouver une véritable liberté de mouvement, et se donner les moyens de développer en France une politique de progrès social et économique, qui soit en même temps un point d’appui pour une transformation progressiste en Europe, il n’ y a pas de mesure miracle mais la nécessite de la cohérence.
a)un protectionnisme raisonné pour se protéger vis-à-vis du dumping social à l’extérieur de l’Europe mais aussi à l’intérieur .il ne s’agirait pas d’autarcie, de fermeture des frontières mais de maîtriser les flux de marchandises avec l’objectif d’équilibrer à moyen terme les échanges. Des accords bilatéraux pourraient être passés sur cette base avec les autres pays, avec une priorité sur les produits encore fabriqués en France ou sur ceux dont on peut relancer la production. Le réajustement des parités monétaires serait aussi un outil indispensable au rééquilibrage des échanges
b)deux raisons essentielles pour remettre en cause la monnaie unique
- la vraie gauche critique l’indépendance de la Bce mais il faudrait alors qu’elle dépende d’un état européen démocratique qui n’existe pas et n’existera pas : voir II4.Pour financer la dette , il sera indispensable d’avoir recours à la Banque de France qui peut pourvoir au crédit à un coût très faible ou nul, ce qui fait ainsi pression sur les prêteurs éventuels.
- l’ajustement des parités monétaires est aussi incontournable pour tenir compte des évolutions différentes de la productivité .Avec la monnaie unique, c’est impossible. Pour y parvenir, il faut revenir à des monnaies nationales, réunies si c’est possible dans une monnaie commune pour les échanges en dehors de la zone euro. La grande différence est qu’avec une monnaie unique les parités fixées au moment de la mise en place de l’euro sont éternelles , alors qu’avec une monnaie commune , on peut , et c’est nécessaire, réviser ces parités (réévaluer le mark , dévaluer la lire, etc)
La solution serait donc une sortie négociée de la monnaie unique soit vers une monnaie commune soit vers plusieurs zones nord et sud.
La création monétaire et la réévaluation des parités intra-euro aboutiraient aussi à un euro (ou à un franc) proche de la parité dollar (actuellement 1 €= 1.3 dollar, ce qui étouffe toute croissance)
On pourrait ainsi concilier des choix et des besoins opposés, entre le choix allemand d’une monnaie forte et le besoin français, espagnol … d’une monnaie faible avec recours à la création monétaire par la banque centrale.
Le résultat serait une dévaluation du franc et plus encore des monnaies de l’Europe du sud et au contraire une réévaluation du mark, ce qui serait un élément fort du rééquilibrage des balances commerciales.
3) le choix de la coopération entre les peuples, à l’inverse du repli nationaliste
- le cadre européen actuel ne connaît comme règle que le dumping social et pousse à l’affrontement entre les peuples dans une course mortifère au moins-disant social
- le cadre d’une monnaie commune ou d’un retour aux monnaies nationales permettrait aux peuples de fonctionner selon leurs choix et leurs besoins. Si le peuple allemand fait le choix de l’orthodoxie budgétaire et d’une monnaie forte, d’autres , comme la France peuvent , en fonction de leurs besoins faire le choix inverse. Les uns n’ont pas à imposer leur volonté aux autres et réciproquement : c’est qui génère le conflit.
- se libérer du carcan européen signifie mettre en place une autre forme d’Europe sur la base de la coopération volontaire entre tous les pays ou entre certains selon les cas pour développer en commun de grands projets industriels comme Airbus ou de grandes infrastructures.
- La sortie négociée de l’euro vers une monnaie commune n’est pas une fin en soi ni un argument miracle. Tout cela doit être articulé à une grande politique sociale (salaires, prestations sociales), à une politique industrielle, à la maîtrise des mouvements financiers (contrôle des changes) et à la lutte sans merci contre la fraude fiscale.
- une intervention forte de l’état, à l’inverse des dogmes libéraux,sera essentielle : aide ciblée à l’investissement, relance des services publics et de l’investissement public, politique du crédit (pôle bancaire public).
- Mais l’intervention active des travailleurs sera décisive dans le processus économique dans chaque entreprise grâce à de nouveaux droits: interdiction des licenciements boursiers, nouveaux droits d’information et d’intervention sur la situation de l’entreprise….
Il est donc clair que les perspectives envisagées ici ne permettent pas la moindre confusion avec ceux qu’on appelle les souverainistes de droite, et leur démagogie verbale (pour le FN en particulier).
La sortie de crise exige de retrouver notre souveraineté pour se dégager de l’emprise délétère du grand capital et du système institutionnel qui le sert et pour retrouver avec les peuples européens une véritable solidarité, et de véritables convergences.
Les dirigeants de l’Europe opposent les peuples entre eux, le Fn également sous une autre forme : la perspective commune pour ces gens là est qui écrasera qui ?et qui poussera le plus loin le dumping social ?
Au contraire , pour la vraie gauche , le fait que le peuple français trouve une voie de progrès construite avec les citoyens est un point d’appui pour tous les peuples qui souffrent en Europe, en aucun cas la tentative de regler la crise sur leur dos
Les deux stratégies exposées (transformer l’euro ou sortir de l’euro) ont toutes les deux pour ambition de se donner les moyens d’une politique de progrès en France, point d’appui pour une dynamique de progrès en Europe. Je pense pour ma part que la rupture avec des institutions européennes bureaucratiques est un point de passage obligé pour construire autre chose.
J’ai exposé pourquoi sur le court terme (mise en œuvre d’une politique de gauche pour sortir de la crise) mais cela s’applique aussi au long terme.
4) Un état fédéral européen démocratique ? un objet illusoire
- Certains, tout en critiquant la nature technocratique de l’Europe actuelle et sa politique libérale pensent cependant qu’on ne peut revenir sur les abandons de souveraineté et que la solution se situerait d’emblée au niveau européen où une Europe devenue démocratique pourrait mettre en œuvre une toute autre politique. de relance , d’investissements publics et de progrès social
- Pour le court terme, je crois avoir démontré plus haut que c’était une illusion, en fonction du rapport de forces actuel. Mais c’est aussi le cas pour des raisons plus profondes sur le moyen terme et le long terme.
- Un état démocratique européen suppose a priori l’existence d’une volonté commune, d’un peuple européen. Et c’est normalement une condition vitale pour une monnaie unique tant la monnaie est un attribut essentiel de la souveraineté.
- Or, il y a des peuples européens avec des différences considérables dans leur histoire, leur culture, leur niveau de développement, leur démographie.Un tel ensemble fédéral aussi hétérogène, pour être durable, devrait réduire rapidement les inégalités entre les nations par des transferts financiers importants (c’est ainsi qu’un état national fonctionne : la région Ile de France , par exemple, pourvoit en partie aux besoins de la Corrèze ou de la Lozère) des pays de l’Europe du nord vers l’Europe du sud .L’Allemagne devrait y contribuer pour 10 % de son PIB : le peuple allemand peut il l’accepter ? Des transferts plus modestes sont sans doute envisageables mais ils ne rééquilibreront pas l’Europe.
L’expérience des ensembles multinationaux ayant existé au XXème siècle est aussi éloquente : tous se sont constitués par la force et la conquête territoriale avec plus ou moins un ou des peuples dominants et des peuples soumis.
L’exemple le plus typique est celui de l’Empire Russe, résultat à l’origine de conquêtes de la Russie et surnommé la prison des peuples et devenu ensuite l’Union soviétique. L’unité de l’ensemble a été sauvé en 1917/1922 par la victoire bolchevique dans la guerre civile,
L’Union Soviétique a ensuite maintenu son unité par un système centralisé et resté jusqu’au bout autoritaire.
Quand l’usage de la force n’a plus été possible pour maîtriser les mouvements centrifuges , l’ensemble a implosé , notamment parce que les républiques les plus riches (pays baltes et surtout Russie) ont , dans un contexte de crise refusé de continuer à payer pour la périphérie.
On retrouve le même phénomène pour l’empire austro-hongrois, l’empire ottoman, la Yougoslavie.
Aucun ensemble multinational ne s’est jamais constitué de manière démocratique et par la volonté des peuples.
Bien loin de favoriser le rapprochement des peuples qui doit rester notre objectif, les politiques libérales européennes poussent des états existants vers l’éclatement , les régions les plus riches étant tentées de « larguer » les plus pauvres : exemple la Catalogne avec l’Espagne.