Notre soirée s’est achevée sur la lecture de plusieurs poèmes de la Brésilienne catholique Cecília Meireles (1901-1964), publiée en français après sa mort par Seghers. Une voix qui parle du vent et des mouvements qui transportent les êtres. Sur la Toile quelques tentatives susbsistent pour traduire quelques-uns de ses vers les plus fameux, et rendre l’essentiel d’une poésie tournée vers les éléments du monde dont les raisons échappent à l’entendement, qu’il faudra enrober de mots et de mots pour tenter de retenir le flot de trop douloureuses effusions :
http://www.antoniomiranda.com.br/poesie_bresilienne/cecilia_meireles.html
FUTUR
Il faut qu’il y ait enfin une heure claire
quand reposent les corps résignés sous les pierres
comme des masques enfouis dans le sol.
Parmi les Racine, peut-être voit-on les yeux fermés,
comme jamais on ne peut voir sur terre,
aveuglés que nous sommes par tant de lumière.
On demandera : “ Mais c’était cela, ton silence ?”
On demandera : “ Mais c’était ainsi, ton cœur ?”
Hélas, nous ne serons que d’inutiles images couchées dans l’argile,
toutes pareillement solitaires, silencieuses,
la tête reposant sur le souvenir.
(Mar Absoluto)
Terre mère
Mais auparavant dans la soirée nous avons voulu évoquer les poètes les plus novateurs possibles, et nous avons croisé quelques chants créoles de l’ex conseillère régionale du PS, Eugénie Rézaire, née en 1950, conservatrice de bibliothèque et présidente de l’association Léon Gontran Damas (1912-1978) : « Qui se souviendra du pays de Guyanne... victime de ses promesses et malade de son passé truqué » (Pirogue pour des temps à venir, Imprimerie Amandiers, 1987)
Cette écriture qui interpelle et ne laisse pas l’esprit en repos repose, à n’en pas douter, sur de nombreuses lectures, notamment anglophones, interrogeant le sort des oubliés et des sans droits ignorés de la chose publique.
À nos amis sensibles aux textes francophones, les copains et copines d’IDLE NO MORE fRAnce ont rappelé la nécessité minimale des publications bilingues pour ne surtout pas oublier la langue des origines, par opposition à celle, tout administrative et sociale, de l’occupant colonisateur depuis des siècles d’oppression et de relégation.
Jamais plus inactive
C’est que les pistes enflammées des marrons des Caraïbes, ont pour échos estompés les voix apaisées des peuples du Québec qui semblent leur répondent par des courants plus fluides et tranquilles, moins turbulents, moins insolents. Un chemin qu’avait auparavant ouvert Joséphine Bacon, née en 1947, elle-même récompensée pour son recueil Bâtons à message, publié à quatre main avec José Acquelin chez Mémoire d’encrier en 2010, dans la suite des dialogues poétiques au Québec.
« Quand une parole est offerte,
elle ne meurt jamais.
Ceux qui viendront
l’entendront.
Menutakuaki aimun,
apu nita nipumakak.
Tshika petamuat
nikan tshe takushiniht. »
— Joséphine Bacon : Le mur mitoyen, dans Bâtons à message/Tshissinuashitakana
À comparer avec les poétesses des Caraïbes, il apparaît d’évidence que la vie autarcique en réserve aura eu pu préserver d’une certaine manière la quasi quiétude qui ressort des habitants indigènes du Grand Nord. Alors que dans l’enfer policier des grandes villes, ou dans l’enfermement affolant des îles, c’est au contraire la mélancolie qui s’est imposée en mode d’expression presque permanente pour résister à la violence ambiante et exprimer l’aspiration à vivre malgré tout.
Chaque deux ans, au début septembre, se tient à Paris le festival Poètes autochtones. C’est à de pareilles occasions que les littératures des minorités peuvent faire connaître leurs conditions d’existence en interpellant radios, télévisions et universités...
On peut également remarquer que la reconnaissance de la poète innue Rita Mestokosho, née en 1967, par un Nobel comme Jean-Marie Gustave Le Clézio qui a préfacé ses œuvres, coïncide avec la mort d’Aimé Césaire en 2008. Rita Mestokosho pour sa part, confond sa parole avec la revendication de la relation à la terre-mère :
« Mais, c’est uniquement sous un feu de rocher
À l’abri d’un hiver froid et solitaire
Que j’ai entendu les battements de la terre
Et c’est là que j’ai appris à écouter. »
(Rita Mestokosho: Sous un feu de rocher,dans Née de la pluie et de la terre, édition Bruno Doucey, 2014, avec des photographies de Patricia Lefèvre.)
Nous pouvons nous faire une idée de ce qui se joue auprès des peuples autochtones dans Défis autochtones, qui présentent les positions et propos de Rita Mestokocho et de ses amis pour une culture innue libérée des accaparements de terre http://urfolk.se/wp-content/uploads/2013/09/Rita-1.pdf
"How I see life, grandmother - Eshi uapataman nukum - Comment je perçois la vie, grand-mère", éditions Beijbom Books, Suède, 2011
Insurgées
C’est du côté de l’exil, pourtant, qu’ABC’éditions a saisi l’écriture de deux femmes venues du Chili et installées en Espagne, que la traduction en français permettait de présenter à des lecteurs militants.
Avec Marichiweu ! Marlene Feeley, née en 1970 à Valparaiso, évoque la terrible condition de celles qui sont condamnées à travailler pour des salaires de misère aux fins de tenir leur foyer et donner si peu que ce soit à manger à leurs enfants. Dans une lettre émouvante au sous-commandant Marcos, elle dénonce le fait que
Rien à faire
Je ne peux tomber malade
pas même d’une grippe
sous peine de mettre à bas
toute l’économie de ma maisonnée
No hacer
No puedo caer presa de una gripe
Pueda ser que toda la economía de mi casa
se venga abajo
Il y a là toute la démesure de ces pouvoirs arrivés au nom de la gauche et qui appliquent les lois les plus scélérates de la dictature contre les peuples qui manifestent pour l'obtention de droit pourtant reconnus par la Constitution. Les Mapuches souffrent au Chili des mesures antiterroristes que Pinochet réservait à ses opposants politiques.
Quant à Silvia Cueva-Morales, née en 1962 à Santiago du Chili d’une famille ouvrière, et déjà publiée de longue date en anglais et en espagnol, elle manifeste une sorte de nostalgie d’un paradis perdu dans l’enfance d’avant le coup d’État pinochétiste et l’horreur qui en a suivi avec les discours lénifiants des églises et des nations asservies aux ordres capitalistes, ce qui aboutit à cette impression de dislocation :
Mon corps – une carte
disséquée en
latitudes
altitudes
différentes attitudes
degrés...
Degrés de douleur
d’amour ?..
(Silvia Cuevas-Morales : Pienso, luego estorbo... / Je pense, donc j’oublie..., chez ABC’éditions, le 8 mars 2014)
Et les peuples dans tout ça ?
Pourquoi donc serait-ce chez les femmes seules que la douceur du corps s’opposerait à ce point aux aspérités criantes de nos sociétés avides de chairs humaines ? Nos cités peuvent retentir pourtant d’infinies douceurs qui la traversent quand, comme au fond des forêts, des montagnes et de la mer, le froid ou la chaleur retentissent en les amortissant des battements de cœurs où chacun de nous aura eu pu naître, vive et se préparer à mourir. Voilà des siècles maintenant que la traversée des mers et des océans est venue s’abîmer dans les rues des villes sonores, contre les façades de maisons lugubres aux portes fermées, aux fenêtres barrées d’aciers, pointant aujourd’hui leurs caméras de vigilance à tous les coins des rues où l’on consomme... quoi donc ?... La vie avalée. Les femmes en allées. Les enfants perdus sans foi ni loi.
Jean-Jacques M’µ