Il y aura de beaux défilés pendant le off... Aujourd'hui, il y aura de beaux discours officiels retransmis : c'est le inn. Depuis ces dernières semaines, la ville des papes frémit de jour en jour de rencontres, d'artistes fébriles qui s'installent et prennent leurs marques, se rappellent au souvenir des saisons passées, tout en se préparant à celle qui commence... Il faut gérer ses maigres moyens financiers, tenir tenir tenir, savoir que la fatigue va jouer, les répétitions, les installations, les désinstallations...
Dans le Figaro d'hier, Fabrice Lucchini demande au festival « moins d'élitisme » et « plus de classiques ». La belle affaire ! revenir aux fondamentaux des premiers Vilar, l'élitisme pour tous ?... Un Vilar que mai 68 aura dépassé, et que la recherche du "non-public" qui a suivi, a progressivement dérivé sur des analyses sociologiques au lieu de répondre à la grande question du théâtre qui est QUE FAIT-ON ?
QUE FAIT DONC LA PAROLE AU THÉÂTRE ?
Que fait la parole de théâtre ?... de quoi se nourrit-elle ?... Des auteurs ?.. Ou des préoccupations de ses spectateurs ?.. Est-ce qu'on devient spectateur comme Simone de Beauvoir disait qu'on devient femme ?.. Par la naissance ?... Est-ce déterminé ou culturel ? éducatif ?... La parole de théâtre est-elle une parole limitée au théâtre ?.. Purement artistique ?... L'art pour l'art et l'esthétique, ce ne serait que ça ?.. Car les dictionnaires de théâtre abondent d'entrées qui renvoient à l'infini leurs expansions aux définitions de l'ESTHÉTIQUE brillamment exposées par nos grands praticiens et théoriciens du théâtre depuis Aristote en passant par Kant, et on n'y conçoit guère l'éthique que comme un produit dérivé (parfois décalé par le théâtre engagé politiquement), mais jamais jamais jamais comme une nécessité de débat entre l'homme et le citoyen, les émotions et la raison, l'intime et le public. Bref, ce qu'on présente sur scène n'est jamais qu'une représentation du débat de nos sociétés, ce qui n'est pas rien, il faut le préciser... Et là... Décidément, le drame du SOFITEL arrive à point nommé !...
QUI FAIT LA PAROLE AU THÉÂTRE ?
La parole de jugement, celle qui nous éclaire sur la justice des hommes, toujours imparfaite, c'est une parole vraie, qui ose tenir tête à la foule et au tyran. Le dire vrai du parrêsiaste cher à Platon et dont traite Michel Foucault dans ses dernières conférences au Collège de France.
Ce qu'on ne voit pas, ce qu'on n'entend pas assez, c'est la nécessité de se fréquenter. Les rencontres suffisent à peine... Juste pour se séduire, s'interpeller, oui, mais il y a le constat, chez tous, que le dialogue continu s'imposerait, au moins dans l'idéal. Est-ce que nous le souhaitons réellement ?... Des exemples ?... Ce qui retient notre attention dans l'actualité. Nous savons la misère qui nous entoure, nous n'ignorons pas que les politiques se soumettent aux règles des dominations actuelles de l'économie affairiste internationale, le FMI, la Banque mondiale, l'OMC ; nous marquons même de la sympathie pour les "révolutions arabes", car, on le sent bien, « quelque chose bouge dans les jeunesses du monde », quelque chose qui pourrait faire trembler les dirigeants de notre vieil Occident qui s'accroche à ses privilèges bancaires et qui (r)assure à très haut prix la protection des plus angoissés, des plus frileux, des plus conservateurs de nos contemporains. La régression n'est pas que financière avec la socialisation des déficits bancaires et la privatisation des découvertes nationales, elle est dans la fermeture des frontières aux immigrés, dans leur pénalisation, dans leur rejet... Elle est dans l'inquiétude de nos énergies, utilisées à mort, et pas qu'à Tchernobyl, et pas qu'à Fukushima, et pas que dans le manque d'autonomie de nos ressources, y compris alimentaires, elle est dans le coût du CO², car là où le gaz à effet de serre est le moins dense, là où il fait meilleur vivre dans la planète, c'est là où il y a croissance démographique exponentielle, là où la population est la plus jeune, là où s'élèvent les voix dites du printemps arabe... Nul doute que nos dirigeants, dans leur grande sagesse, sauront faire taire les voix de l'émancipation, car ils ont des Hamlet à opposer aux manques de solutions politiques des foules amassées en agora dans les places de nos pays...
QUE FAIT AGIR EN NOUS LA PAROLE THÉÂTRALE ?
Il est question de ça dans nos préoccupations quotidiennes (“ça” ?.. la question de ce qui nous reste à faire, des partis à prendre, des positionnements de personnes et d'implications collectives), mais dans nos festivals lancés de longue date par les contrats courant d'un été à l'autre, qui entend-on ?... pour dire quoi ?.. pour faire quoi ?... Des joliesses de styles ?.. Des exercices de séduction ?...
Les auteurs ?... D'où parlent-ils ? à qui ? et pour quoi ?... De simples rencontres, éphémères ?... ou de réelles constructions, ensemble, dans la durée ? dans un espace à réinventer ?...
Face à Jean Vilar, Julian Beck et le Living Theatre n'ont pas vraiment voulu mettre fin à la quête d'identité théâtrale ; ils ont simplement voulu déplacer la question (jusqu'alors posée en seuls termes identitaires, sur la nature des choses), ils ont réclamé plus de pragmatisme en relation directe avec les contemporains, nos frères, en se plaçant sur le terrain politique (éthique, sur la fonction des êtres), du sens, de la portée et de la signification de l’ACTION, du drame (le drâma, en grec ancien, c'est la REPRÉSENTATION, l'exposition sur scène de l'action, de l'agon), il posait la grande question démocratique, des débats de société. Julian Beck demandait aux artistes et à leurs publics :
Dis, que fais-tu, toi que voilà... pour la paix dans le monde ?...
Quelle réponse (en actes) donne-t-on, artiste ou spectateur, tous citoyens, quand on continue d'ignorer ceux que nos systèmes ont appauvris et pénalisés ?
Jean-Jacques M’µ
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