Finissons avec les rapports de force des affrontements front contre front, et cherchons plutôt le pivot autour duquel s'axent les moments des forces qui nous animent, chacun, chacune.
Premier exemple : frères abandonnés puis méprisés
En 1989, la loi d'orientation pour l'enseignement, dite Jospin, érigeait en principes premiers la liberté et l'égalité, sans mentionner la fraternité. De fait, la liberté s'est peu à peu confirmée en libéralisme ; quant à l'égalité invoquée, elle n'est restée qu'incantation et vœu pieu, jamais confortée par les faits ni les chiffres. C'est dans ces mêmes années que se sont crispées les positions autour des signes religieux, et que les règlements des établissements scolaires avaient fort à faire pour préserver le principe sacré de la république contre le non prosélyte. En même temps que nous laissions entrer les marques commerciales dans nos établissements, jusque dans nos outils de travail ou nos vêtements, nous refusions les appels contre la peine de mort aux États-unis ou en d'autres lieux, Chine, Iran, Afghanistan, etc., au nom de la neutralité laïciste. En même temps que le rectorat cassait, à la rentrée 2003, un conseil de discipline pour le port d'un bandana, le même rectorat, entravait au même moment une conciliation (amiable, donc) entre les enseignants et les familles autour des deux sœurs Lévy au lycée Wallon d'Aubervilliers. Cette décision administrative, poussée par le ministère était forte du lobby pourtant minoritaire des chefs d'établissements ultra-réactionnaires, et déclenchait ainsi par pure provocation un vif débat dans le pays par medias interposés, ce qui permettait de proposer très rapidement (en janvier 2004) une loi qui, en réalité, était en préparation depuis près d'un an, et qui cherchait à stigmatiser la population musulmane.
Lire à ce sujet Françoise Lorcerie : La politisation du voile : L’affaire en France, en Europe et dans le monde arabe, Paris, l’Harmattan, 2005. Chercheuse CNRS à l’IREMAM (institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman, enseignante à l’IEP (institut d’études politiques) d’Aix-en-Provence, Françoise Lorcerie est l'auteure de l’École et le défi ethnique : éducation et intégration, ESF, 2003. De manière patiemment objective, nuancée et très documentée, Françoise Lorcerie présente les manipulations par les plus hauts responsables de l'État de la politisation de l'affaire du voile... notamment en 2003-2004.
Septembre 2001 marquait ainsi les esprits d'une manière particulièrement sombre et permettait de justifier le buchisme en France même. Nos gouvernants agissent comme dans les dictatures se sentant menacées, prétendant nos institutions en danger à toute occasion, et attaquant tout ce qui, de près ou de loin, pourrait rappeler le "terrorisme", jusqu'aux inculpations de 2009 de militants de Tarnac au nom d'une supposée sécurité de l'État et des citoyens.
Couples !... Le “couple”, c'est le nom donné à un mouvement physique. C'est une mécanique dynamique autour de laquelle tournent les énergies qui produisent de la transmission. Là où les masses sortent de leur inertie par la pression, l'accouplement vient remplacer le rapport de forces, jusqu'alors binaire, par une dialectique sinon moins stérile, du moins mieux féconde, car transférable par mutation interne... Par transformation.
Impossible alors de ne pas penser aux magnifiques intuitions des Métamorphoses d'Ovide.
Stop aux violences faites aux femmes© Ministère des solidarités nationales
Je réclame pour les enfants le droit de choisir et je demande aux adultes de débattre des choix sans faire pression sur les enfants : pas de menace d'exclusion, ni de la maison ni de l'école pour l'enfant qui croit bon de porter un signe : l'enfant peut toujours prendre et varier de modèle à propos des positions pour ou contre que prennent les adultes, sans qu'il puisse avoir jamais rien à craindre pour sa propre scolarité ni pour sa place dans la vie familiale. Je demande cette protection garantie par tous les adultes du pays au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Deuxième exemple : frères négligés puis oubliés
J'entends, je lis beaucoup (trop) de refus d'entendre les autres. Moi qui suis laïque et non-croyant, je suis heurté de voir et d'entendre des propos (ou des actes) très virulents, et particulièrement odieux, inacceptables, contre les musulmans assimilés aux pires extrêmismes. Je demande aux laïques convaincus de la portée politique et philosophique de la laïcité d'accepter tout ce qui est opinion, religieuse ou cultuelle tant qu'il n'y a pas stigmatisation des autres ou mépris. Quand on peut dire sans risque d'être inquiété que les Juifs se considèrent membres d'un peuple élu de Dieu, on peut tout de même entendre (et dire également, pourquoi pas ?) que les Islamistes sont les descendants de la tribu d'Ismaël, la plus pauvre du peuple hébreux et de la terre de Judée, en Palestine, où vivaient les Philistins (les Palestiniens)... Il n'y a pas lieu de faire deux poids deux mesures dans nos enseignements historiques et littéraires, ou même artistiques, avec les relations que chacun voudra bien faire sur notre actualité (ce n'est pas confortable, mais l'ouverture aux autres, par ses incertitudes mêmes est la grandeur de la laïcité, sinon, quoi ?...). Et ce n'est pas faire injure à la laïcité de convenir que chaque population aura eu pu se construire une identité dans le passé selon une mythologie sans doute erronée sur certains plans ou à certains égards, mais justes et valides à d'autres points de vue, et que les mythes, qu'ils soient fondateurs ou historiques, peuvent expliquer les faits culturels et cultuels en partie, mais non en intégralité, sauf à devenir nous-mêmes des intégristes du fait religieux.
Troisième exemple : frères d’expériences à partager
Personne n'est au-dessus de lois, et, donc, de la justice. Quand quelqu'un a payé sa peine par le jugement des tribunaux, nul citoyen ne peut en rajouter. Que Bertrand Cantat ait eu pu commettre une violence qui a conduit à la mort d'une femme qui ne répondait pas à ses attentes, et qu'il ait été condamné pour ça, c'est une chose, mais sa personne ne se réduit tout de même pas à ce seul acte dont il a eu à rendre compte devant les justices des pays concernés, et qui, bien que non pardonnable en soi, ne peut être un préjudice sur d'autres aspects de son existence. Rien ne peut l'empêcher aujourd'hui de reprendre des activités artistiques pour lesquelles son talent ne peut légitimement être remis en cause. Au nom de quoi ceux qui n'ont pas à vivre ou à coucher avec lui appelleraient-ils donc à boycotter les artistes qui ont choisi de travailler avec lui ?... D'ailleurs, je ne considère pas Wajdi Mouawad particulièrement courageux (ni même provocateur, comme j'ai eu pu lire ailleurs) d'avoir choisi de conserver ses liens avec l'artiste : il ne fait qu'utiliser son droit. Ce n'est pas un privilège, tout de même, que de travailler avec qui on veut, et ce n'est pas un crime contre les femmes non plus. C'est une décision d'artiste. Nul ne peut lui contester ce droit. Nul ne peut en rajouter à la loi ni à la justice. La liberté de création se respecte autant que celle de circuler, de travailler ou de s'alimenter. Un point c'est tout. La tolérance et le respect sont là.Tolérer, c'est accepter ce que je serai tenté de refuser.
Respecter, c'est m'interdire ce que je serai tenté d'imposer.
En d'autres termes,
Tolérer, c'est dire OUI là où on pense NON a priori.
Respecter, c'est se dire NON là où l'on préfèrerait OUI a priori.
On me dira donneur de leçons ?.. C'est, surtout, que je vois bien, hélas, la nécessité de rappeler certaines évidences trop souvent oubliées.
Personne n'est le gardien d'aucun temple, ni de celui de la laïcité, ni de celui du féminisme.
Et c'est parce que je me sens laïque et féministe que je refuse ces formes d'amalgames et de stigmatisations que je constate chez ceux dont les idées appartiennent à mes préférences.
En guise de conclusion : Frères d’ailleurs à (re)trouver
L'expérience prouve que le entre-soi sécrète l'endogamie, car, comme le quant-à-soi, il crispe les positions, comme le hors-de-soi, il brutalise l'environnement. Pas d'autres réponses viables possibles, donc, pour vivre, pour vivre ensemble, que les réponses liées à l'exogamie : ce sont des réponses multiformes, que celles du entre-nous, du quant-à-nous, du de-toi-à-moi.
Enfin, je réclame en conséquence que personne ne se présente comme une victime (nous avons dans le camp de gauche des crimes comme Cronstadt ou les procès staliniens ou le mur de Berlin, comme il y a les bûchers de l'Inquisition ou les Conquistadors ou la condamnation de l'IVG ou la stigmatisation des homosexuels ou du SIDA chez les Catholiques, et comme il y a la lapidation de la femme adultère chez les Ayahtollahs, ou le mur de Jérusalem, les Check Point et les représailles militaires contre les territoires palestiniens avec Israël, etc.). Je demande que l'adversaire ne soit pas culpabilisé : c'est le rôle qu'il a choisi d'adopter au nom de principes et de valeurs qui méritent de lui être rappelés pour les lui voir mettre en pratique : le droit de s'exprimer, l'accès aux ressources naturelles, l'égalité de traitement entre tous, le refus des violences, ce sont des terrains qui relèvent des consensus universels. C'est sur eux qu'il faut peser. Et les débats en démocratie s'en porteront mieux.
L’étranger erre en terres habitées : soi, nous, les autres, c’est toujours un nouveau monde à fréquenter.
Jean-Jacques M'µ