1. Représailles sanglantes des manifestations pacifistes
2. Naissance de l’armée de libération syrienne
3. Le Congrès du Caire (3 juillet 2012)
4. Appel à constituer un collectif de solidarité à la révolution syrienne
5. La question de l’intervention de l’ONU
1. Représailles sanglantes des manifestations pacifistes
La révolution syrienne a débuté les 15 et 16 mars 2011, par des manifestations organisées à Damas par diverses forces - principalement des Jeunes issus du "Printemps de Damas"- en réclamant des réformes démocratiques :
- suppression de l’État d’urgence
- libération des prisonniers politiques
- pluripartisme
- libertés d’organisation et de la presse
- droit des mères de transmettre leur nationalité à leurs enfants
- droits des paysans expulsés de leurs terres, etc.
Le 18 mars, des milliers d’habitants de Deraa manifestent pour la libération de 10 écoliers arrêtés, et torturés (à mort pour deux d’entre eux) pour avoir écrit : « Le peuple veut la chute du régime » (slogan dans l’ensemble des pays arabes connaissant un mouvement d’insurrection).
Dès le 20 mars, les organisateurs des manifestations à Damas et dans sa région constituent à Douma la première coordination, organe politique de direction du mouvement de protestation pacifiste.
Des relais s’organisent dans le monde entier pour informer l’opinion publique internationale de la révolution syrienne et de la répression à laquelle elle fait face. À Londres, l’Observatoire des droits de l’homme devient le porte-parole du mouvement (face au SRCC de Monajed financé par les forces pro-libérales et interventionnistes de l'OTAN).
Conscients que les réformes les priveraient de leurs privilèges, la famille al Assad et les autres dirigeants effectifs du régime choisissent, dès les premières manifestations :
- d’empêcher le mouvement revendicatif par la terreur (en réprimant dans le sang les manifestations pacifiques) ;
- de stigmatiser le mouvement comme étant le fruit de revendications purement communautaires sunnites, alors qu’en réalité les revendications émanent de l’ensemble de la population civile et de toutes ses composantes, confessionnelles ou non.
C’est ainsi que le régime présente – et parvient même à transformer – le mouvement en guerre civile confessionnelle.
Pour cela, il a mis en œuvre une répression “discriminatoire” :
- dans les régions et les quartiers sunnites de Syrie (notamment de Damas et Deraa), il fait assassiner (tirs à balles réelles), arrêter et torturer des dizaines de manifestants par des centaines de supplétifs (les "chabiha" ou "fantômes") et les services de sécurité.
- dans les régions et quartiers des confessions “minoritaires” (alaouites, chrétiens, druzes, ismaéliens), il se limite les premiers mois à des arrestations sans tirer sur les manifestants.
De ce fait, le bras de fer entre le régime et ses opposants se crée dans les régions sunnites plus rapidement qu’ailleurs.
La ville de Deraa, puis bientôt la ville de Homs, sont assiégées par une armée nationale qui se comporte comme une armée d’occupation et pratique nombre d’exactions qualifiées par le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU de “crimes contre l’humanité”.
Le régime prétend affronter une rébellion armée islamiste.
Alors que durant cette période du printemps 2011, tous les jours, les manifestations :
- appellaient à un État non seulement laïc, mais civil (ni militaire ni confessionnel) et démocratique, pour tous ses citoyens de toutes confessions et langues (sunnites, alaouites, chrétiens, druzes, ismaéliens, kurdes, etc.),
- refusaient de s’armer pour se défendre jusqu’en août 2011 malgré les dizaines de morts à chaque manif (les tireurs du régime laissent sur place leurs armes à la fin de chaque manif après avoir tué des manifestants, mais les manifestants remettent ces armes à l’armée régulière)
- excluaient toute vengeance vis à vis des voisins alaouites (les tueurs des services de sécurité et chabihas auteurs de massacres sont majoritairement alaouites, parfois issus de villages voisins des villages sunnites victimes de massacres).
Après quatre mois de manifestations (pacifistes), et qu’on ait assisté dans la ville de Hama à des manifestations monstres atteignant jusqu’à 450 000 personnes, le régime, par peur de perdre le pouvoir, décide d’enrayer radicalement le mouvement.
Le 31 juillet, à la veille du ramadan, les chars rentrent dans Hama au petit matin, et pilonnent la ville. Partout dans le pays, les membres des coordinations et les figures connues de l’opposition sont arrêtés, et le nombre de tués et d’emprisonnés ne cesse d’augmenter.
Fin juillet 2011 marque ainsi la fin de tout espoir d’une transition politique douce.
2. Naissance de l’armée de libération syrienne
Les désertions des soldats refusant de tirer sur les manifestants augmentent. Ces derniers demandent aux déserteurs de les protéger. Avec le consentement des coordinations, ils sont chargés de “retenir à distance” les forces de sécurité quelques minutes pour laisser passer le cortège sans que les manifestants se fassent tuer.
(Très important !... Pendant ce temps, unilatéralement, le colonel sunnite déserteur Riaad al Assad annonce le 29 juillet 2011 depuis la Turquie la création officielle de l’ASL, Armée syrienne de Libération). Sous ce nom, les brigades autonomes de résistants armés chapeautent d’anciens militaires déserteurs ou de simples civils volontaires (manifestants, prisonniers d’opinion libérés après avoir subi des tortures, habitants des quartiers dont des proches ont été tués par les forces du régime). Leur rôle est de protéger les cortèges de manifestants non armés en accord avec les coordinations des manifestations pacifistes.
Plus la répression s’accentue (par des tirs à plus longue portée “au-dessus des barrages de l’ASL”) plus nombreux sont les déserteurs et civils qui viennent grossir les rangs de “l’Armée Libre de Syrie”.
Des groupes de déserteurs protègent donc ainsi militairement les manifestants pacifiques des villes entières qui peuvent, pour un temps, se déclarer "libérées".
L’armée régulière ne pouvant plus accéder à ces zones, c’est depuis des points éloignés et avec des armes lourdes toujours plus puissantes (tirs de mortier, puis d’obus et de fusées anti-chars) qu’elle poursuit ses raids toujours plus meurtriers.
Incapable de faire cesser la révolte du peuple syrien, le régime applique une politique de contre-insurection qui vise tantôt à déplacer la population par les bombardements des quartiers résistants et les isoler des groupes armés, tantôt à détruire toute forme de protestation en perpétrant des massacres pour intimider les populations et les désolidariser des révolutionnaires. À l’inverse, cette répression barbare étend la contestation. Les victimes des bombardements et des massacres se réfugient dans les zones protégées par l’ASL.
Pour ce faire, au milieu de nombreuses autres exactions, le régime envoie hélicoptères et avions pour bombarder des quartiers résidentiels partout en Syrie, tandis que les groupes de résistants armés de l’ASL s’efforcent de s’emparer des lieux stratégiques et que la population tente de poursuivre, vaille que vaille, sa révolution pacifique.
Bilan établi au 20 août 2012, chiffres SRCC : cette répression a tué plus de 26 592 Syriens et provoqué la “disparition” de plus de 65 000, elle a blessé et mutilé des dizaines de milliers de personnes, déplacé 3 millions de réfugiés en Syrie (hébergés dans d’autres quartiers ou villes du pays) et un demi-million dans les pays voisins. Elle maintient en prison près de 216 000 personnes systématiquement torturées ou soumises aux mauvais traitements.
Mais la répression du régime a aussi unifié le peuple syrien de toutes régions et confessions – excepté quelques bénéficiaires et ceux qui redoutent des vengeances confessionnelles – autour de l’exigence de mettre fin à la dictature (qui ne “négocie” qu’avec ceux qui ne le contestent pas, et réprime dans le sang ceux qui osent exiger leurs droits).
L’ampleur du rejet du régime par les Syriens se mesure à travers les millions de manifestants exigeant son départ (près de 700 manifestations spontanées simultanées durant les dernières semaines d’août 2012 sur 70% du territoire du pays). Desmillions d’habitants organisés soutiennent des dizaines de milliers d’activistes pour assurer les secours aux 3 millions de réfugiés. Les dizaines de milliers de déserteurs et civils combattant pour protéger les manifestants et populations des tirs du régime, sont de plus en plus soutenus par les populations à Damas et à Alep.
Outre leur rejet de la dictature, les acteurs multiples de la révolution (membres des coordinations, opposants “historiques” et plus récents, militants et habitants de tous âges) sont impliqués dans les manifestations, la défense passive, le secours aux blessés et aux réfugiés, l’organisation de la survie quotidienne les jours “avec” et les jours “sans” bombardements du régime. Ils s’accordent sur les objectifs de la révolution et le modèle de société pour lequel des milliers d’entre eux ont perdu leurs biens ou même leur vie : un état civil, démocratique, ni religieux ni militaire, accordant les mêmes droits à tous ses citoyens indépendamment du genre, de la religion, de l’ethnie, de la langue, reconnaissant à tous leurs droits à la liberté d’expression culturelle et politique, l’unité dans la diversité et le respect de l’autre.
3. Le Congrès du Caire (3 juillet 2012)
Au Caire, les forces de la révolution de l’intérieur (différentes coordinations) et de l’extérieur (Conseil national syrien, Organisation de coordination nationale, Organisation générale de la révolution syrienne) se sont mises d’accord sur les principes de la transition après la chute du régime :
- constitution d’un parlement et d’un gouvernement provisoires ;
- rédaction d’une nouvelle constitution et organisation de la justice transitionnelle (prévention des conflits et réconciliation, sanction des responsables et indemnisation des victimes) avec les différentes composantes de la société syrienne qui n’ont pas participé à la répression : révolutionnaires, opposition historique, notables traditionnels, gestionnaires des institutions de l’État.
Les dirigeants de l’ASL ont publié le 20 août 2012 un communiqué démentant les déclarations de certains dirigeants de l’ASL diffusés la semaine précédente par la chaîne satellitaire saoudienne Al Arabiya : non seulement ils ne prévoient pas un gouvernement de transition composé pour moitié de militaires et pour moitié de civils, comme le proposait le communiqué diffusé par Al Arabiya, mais ils s’engagent à se placer sous commandement du pouvoir civil constitué par le consensus et à s’interdire toute fonction politique ou appartenance à un parti.
Les révolutionnaires (coordinations et militants liés à la résistance intérieure) refusent toute intervention étrangère militaire ou politique.
Ils exigent l’arrêt immédiat du financement et du soutien logistique et politique à la dictature syrienne de la Russie, de la Chine, de l’Iran et de ses alliés (gouvernements libanais et irakien, Hezbollah) et dénoncent leur contribution aux crimes de guerre du régime.
Ils accusent les monarchies du Golfe de chercher à faire avorter la révolution et la détourner de son objectif d’État laïc non confessionnel en finançant exclusivement les résistants armés islamistes et encourageant la vengeance confessionnelle.
Ils refusent toute intervention militaire directe occidentale, et condamnent toute intervention financière et politique visant à diviser les Syriens et les priver de leur souveraineté politique.
Conscients que la désintégration de la dictature et la chute de ses dirigeants – par l’accélération des désertions des services de répression, les démissions des responsables, et la mobilisation de la population – va susciter des interventions militaires et politiques multiples pour empêcher la population syrienne de mettre en œuvre une démocratie non confessionnelle, souveraine, assurant à tous ses citoyens les libertés et la justice sociale, ils mettent en garde tous les régimes ou mouvements politiques qui tenteraient de priver la population syrienne de son droit à déterminer souverainement son destin.
Ils appellent les peuples du monde à soutenir leur combat pour la démocratie et la justice en exigeant de leurs gouvernements l’arrêt immédiat des fournitures d’armes et des financements, soit à la dictature, soit à certains groupes armés sans l’accord des instances représentatives de la révolution. Ils les appellent à soutenir politiquement et financièrement leur révolution et leur démocratie, par les instances que le peuple syrien a formées pour conquérir son droit à la liberté, la dignité et la justice.
4. Appel à constituer un collectif de solidarité à la révolution syrienne
Organisations civiles et progressistes de France ne pouvant rester passives devant la situation dramatique en Syrie : nous appelons à un rassemblement large, en soutien aux revendications légitimes du peuple syrien souverain dans sa révolution.
Nous croyons en la capacité du peuple syrien à prendre en main son avenir, à obtenir la satisfaction de ses revendications légitimes à fonder un État de droit qui garantisse les libertés fondamentales : un État civil, démocratique, fondé sur le droit, la justice et une citoyenneté identiques pour tous. À la volonté de domination des puissances étrangères et des dirigeants et bénéficiaires du régime syrien, nous opposons la solidarité civile internationale : notre soutien aux forces qui agissent pour la démocratie, la souveraineté du peuple et la dignité humaine en Syrie, pour la fin d’un régime de dictature incapable d’assurer un avenir à son propre pays.
Nous dénonçons la volonté de la dictature d’escalade de la violence dans cette révolution originellement pacifiste, par ses assassinats croissants des manifestants pacifistes et des habitants, ordonnés à l’armée du régime et ses forces de sécurité. Nous reconnaissons le droit aux déserteurs et citoyens d’avoir constitué une force de résistance armée ("l’armée libre"), pour protéger les manifestants et les habitants des assassinats du régime et décider, en concertation avec les coordinations de la résistance pacifiste, des actions militaires nécessaires pour affaiblir la dictature.
Nous dénonçons les tentatives de certains régimes étrangers de renforcer des partis islamistes et certains groupes islamistes dans l’armée libre, pour diviser le pays entre chiites et sunnites. Nous soutenons les révolutionnaires et la très grande majorité de la population qui résistent courageusement à toutes les provocations de la dictature comme des régimes islamistes pour établir une Syrie laïque, unie, démocratique.
Nous dénonçons l’instrumentalisation de la crise syrienne par les forces impérialistes occidentales, des monarchies du Golfe, russes, chinoises, iraniennes, et israéliennes, dans une volonté de confrontation géopolitique régionale et internationale de grande dimension : une guerre des grandes puissances par procuration.
Nous appelons la France à cesser tout appel à l’intervention militaire ou tout autre intervention portant préjudice au peuple syrien et appelons le président à prendre ses responsabilités. L’influence de la France doit être utilisée dans l’intérêt supérieur du peuple syrien, afin de mettre fin aux atrocités et garantir sa souveraineté en accord avec le droit international.
Nous refusons toute solution basée sur l’ingérence militaire ou politique dans les affaires intérieures syriennes. Nous affirmons que seule une solution politique entre Syriens mettant fin à la dictature peut traduire réellement les aspirations légitimes du peuple syrien et sa volonté de voir les droits humains enfin respectés dans une Syrie garantie dans son intégrité territoriale, souveraine, libre et unie.
Sur la base de ces positions politiques, nous mettrons en place les initiatives qui s’imposent afin de soutenir le peuple syrien dans sa volonté d’émancipation, de droit et de justice.
5. La question de l’intervention de l’ONU
L’hypothèse de travail sur laquelle les acteurs de scènes onusiennes devraient se pencher est celle du déploiement d’une force d’interposition. Même si les conditions à réunir sont loin d’être acquises, l’éventualité d’une force d’interposition entre les deux camps permettrait d’intégrer les récalcitrants du Conseil de sécurité des Nations unies, voire de les impliquer activement dans un cessez-le-feu. Alors, le déploiement d’une force d’interposition constituée d’unités en provenance de l’OTAN, de Russie et de plusieurs pays arabes permettrait de figer le rapport de force, d’obtenir une situation de non-guerre et de non-paix, de négocier le départ du clan Assad, et une nouvelle Constitution assortie de garanties en faveur des nombreuses minorités... Moins séduisante qu’une opération militaire de grand style, cette hypothèse présente l’avantage d’être économe en vies humaines et de lever les hypothèques russe et chinoise. L’urgence commande, car le conflit atteint un point paroxystique avec son contingent d’atrocités, et même si les parties prenantes sont exténuées, le scénario noir d’une “libanisation” de la Syrie pointe aujourd’hui à l’horizon.
Jean-Jacques M’µ