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Billet de blog 11 juillet 2015

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États d’âmes féministes : « JE VAIS LA TUER »

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Alors je lui ai dit “Je vais te buter”, comme ça. Je lui ai dit “Puisque tu me bousilles la vie ici, je ne veux plus te revoir dans le coin, je te donne une semaine pour quitter la région, sinon je te tue. J'ai les armes avec moi. Je viens et j'en finis avec le mal que tu me fais.

Le gars nous a dit ça et nous n'avons rien dit. Nous l'avons écouté sans moufter. Nous étions trois, trois hommes à l'entendre parler de menaces directes contre sa compagne qui lui fait vivre un enfer, et nous lui avons laissé dire ces phrases au milieu de tout un long récit de piteuses misères et de calamités fréquentes sur sa longue et triste existence avec elle, manifestement manipulatrice, perverse, égoïste... ok, ok, ok. Nous ne l'avons pas contredit, nous ne nous sommes pas opposés à ces propos ; c'est à peine si on l'a un peu discuté, si l'on a continué de chercher à maintenir les liens entre nous, relancé la discussion, posé quelques vagues questions pour demander des précisions. Nous l'avons entendu dire ça, et le répéter, « QUITTE LE PAYS SINON JE VAIS TE TUER », sans réagir, au milieu de tout le reste, une longue série d'anecdotes douloureuses et poignantes, pas si éloignées de ce que nous avons eu pu rencontrer çà et là dans nos propres vies. Un copain de lutte, on ne peut pas s'en désolidariser, alors on l'encourage, on lui dit Tiens bon, surtout, ne te laisse pas aller !... – « Aller à quoi », d'ailleurs ?... On ne peut que partager avec lui. Après tout, bien considéré, il y a eu entre nous tant de causes communes, tant de galères, tant de difficultés à dépasser. Et puis, voilà, simplement, il était là, il avait mal, il n'était pas bien, il souffrait. À quoi bon ressortir nos principes face aux réalités d'un des nôtres aussi malheureux que nous avons eu pu l'être. – Ciao, l'ami, ne te laisse pas abattre, surtout.

Ne te laisse pas abattre !

Une nuit à me demander qui abatt(r)ait qui ?

Récapitulons.

Si une femme avait été là, avec nous, ce genre de propos aurait-il pu se proférer avec autant de complaisance ?

Si une des femmes que j'aime et que j'apprécie savait que je suis resté sans réagir, m'aurait-elle conservé sa confiance ?

On ne peut pas s'en tenir aux seuls mots, essaie-t-on de se convaincre, pour se disculper de cette démission de la vigilance, il y a de fortes chances qu'il n'y aura pas passage à l'acte, n'empêche ! il y a eu tout de même ces mots inacceptables, de véritables menaces réitérées et rendues publiques, nous rendant complices de fait d'un crime annoncé.

Qu'attend-il de cette annonce ?

Que nous poussions l'ex-compagne à la sortie du pays ?

Renoncer à ce principe élémentaire consistant à admettre que « Personne ne peut imposer une conduite à quiconque ». Soit !. Le respect ni la tolérance ne peuvent s'invoquer pour infliger à l'autre une situation, un comportement, un état de fait. Mais... Bon, laissons.

Cependant, si c'est bien violent pour lui, en effet, d'avoir à se trouver dans le même espace de vie que celle qui lui a fait tant de mal, c'est une violence personnelle, avec laquelle il doit faire, comme font tous ceux qui ont à supporter au milieu des êtres qu'ils aiment et qu'ils fréquentent le voisinage obligé de délateurs, de médisants, voire d'assassins de leurs propres familles (combien de pays, comme l'Espagne que je connais, ou le Portugal, le Midi de la France, l'Italie... ou, plus récemment, le Rwanda, l'ex-Yougoslavie, sont composés de gens qui grandissent et vieillissent au milieu des meurtriers de leurs parents ?... combien ?...).

Bref. C'est un parti à prendre : ou bien on accepte ce type d'environnement, qui est ultra violent dans sa quotidienneté, dans sa banalisation, où le Bonjour est rituellement adressé au salaud avec l'aval de la société ambiante, ou bien on le fuit. Mais on ne peut pas obliger l'autre, on ne peut pas davantage obliger les copains d'obliger l'autre, on ne peut pas faire de nos copains qui militent pour l'égalité des droits de fonctionner comme des potentats locaux, comme des caciques qui donnent ou non aux sujets (femmes) le droit de rester ou l'obligation de partir.

Autre chose : j'en ai parlé aussi à des mecs, et...

J'ai raconté mon mal être à d'autres amis, le lendemain, j'avais tellement envie, aussi, tellement besoin de me libérer de ce fardeau trop lourd pour moi, d'écrire aux copains pour leur dire que nous nous étions laissés entraîner dans les vapeurs de la misogynie ancrée par nos éducations respectives ; et que notre amitié doit pouvoir être capable d'empêcher le copain de poursuivre dans ses élans, autant l'acte de rejet qu'il revendique au nom de sa propre peine que la menace de mort, ces deux gangrènes qui lui sont venues en tête comme une malédiction dont il doit se prémunir, se préserver, se défendre avant tout, avant elle-même.

J'espérais que des hommes m'aideraient à trouver les mots, la démarche utile et nécessaire pour calmer le jeu, comme on dit, pour sortir de la dramatisation de l'affaire, pour rétablir un semblant de retour à un minimum de tenue sociale, pacifique, la plus apaisée possible. On m'a répondu très gentiment sous le leitmotif : « Y'aura pas de casse, ça ne nous regarde pas, ça ne sert à rien d'intervenir, il se passera ce qu'il se passera, ce ne sont pas nos affaires ! »

Mais jusqu'où l'irresponsabilisation, la déresponsabilisation, l'irresponsabilié de chacun permettent-il à un système éprouvé depuis des siècles et des sièces de poursuivre la violence inéluctable contre une femme ?... Soit la virer d'ici avec la complicité des gens du coin par une convergence de pressions inacceptables, soit la virer du registre des vivants ?... Va-t-on jouer le jeu de tous les patriarcats ?...

Est-ce ainsi que les hommes vivent ?...

Léo Ferré - Est-ce ainsi que les hommes vivent ? (Alhambra 1961) © roidesrats

Jean-Jacques M’µ

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