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Billet de blog 15 mars 2011

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Miroirs, mes beaux miroirs !... Théâtres dédoublés de Daniel Mesguich

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Avec l'époque un peu brillante du théâtre du miroir où pointait le jeune Mesguich, déjà pédagogue de la scène, coexistait l'époque plutôt bruyante du groupe Psy & Po auquel collaborait activement Hélène Cixous, chacun, chacune à sa manière aussi soucieux que nous tous de l'amour dans la cité. Différentes, mais pas si lointaines, ces deux histoires devaient se fréquenter, inévitablement, se frotter quelquefois l'une à l'autre et continuer de venir produire encore aujourd'hui de ces étincelantes bambochades qui vous éblouissent trois heures durant sans entracte (mais le sait-on seulement quand on se laisse embarquer dans cet Elseneur de passions contrariées ?... et puis que pourraient donc compter ces quelques trois heures de fulgurances face aux temps traversés par l'écriture et les mythes qu'elle contient, et par tout ce dont nous sommes submergés à travers notre terrifiante actualité ?...).

La fille aux yeux bandés annonce le trouble ; son titre mêle la sensualité aux privations, privation de sens ; et les jeunes comédiens qui l'interprètent en soutiennent avec délices l'éclat et les ombres, les feux et la fumée, bref : les renversements du double et de sa dualité. Les journées de juin portaient à la lumière ce sombre Amelait incapable de véritable tendresse, ses tentations vers la connaissance d'un fantomatique père à re-déconstruire, et ses tentatives toujours inabouties pour s'élever et sombrer encore dans les vertigineuses chausse-trapes du désir jamais réellement accompli. Sous les traits de Julien Campani, le père et spectre n'a évidemment pas d'âge, comme il se doit dans les conventions théâtrales que poursuit l'anachronique équipe cinéma-témoin de Shakespeare. Quant à son insaisissable fils, interprété par un Johann Cuny particulièrement saturnien, il compose avec tous les registres du nom de son personnage, à la fois âme noire flanquée d'une taupe échappée d'un manga SM, et à la fois homme-lait mal léché d'un fidèle et increvable Horatio, son frère juré, ami de lait, il va court vole le monde et se venge d'on ne sait qui, on ne sait quoi ; il saisit la vie et l'abandonne avec une lettre de chair et d'os ; il comprend la vérité et l'ignore enfin aussi facilement qu'il a mis de persévérance à la trouver... il trouve l'amour et y renonce. Face aux mêli-mêlos de cet être bipolaire, sa fiancée Réguine gravit la désescalade : un à un, tous les degrés seront parcourus selon les hauts et les bas des variations de registres où éclate, modulante et sordide, la palette infinitésimale de l’aveuglement amoureux.

La pièce s'extirpe avec violence et délectation du scénario originel pour se déplacer vers des considérations plus actuelles sur le couple dont elle s'efforce de situer les enjeux à travers une forme d'innocence qui ne va pas sans insolence car la morale ne se trouve pas toujours où on croirait pouvoir la trouver. La jeune fille s'offre (c'est devenu un lieu commun) sans pudeur et entièrement à son désir, aux jeux amoureux qu'elle voudra perpétuer et aux plaisirs des yeux fermés quand ils sont partagés à deux. Cependant, dans ce rôle, la ravissante Sterenn Guirriec, Étoile Vérité en breton, sans doute habitée de grands mythes celtiques, élevait son jeu et l’effondrait tour à tour dans les turbulences dont la puissance est rare à vingt ans et qui, paradoxalement, atteint directement l'émotion des spectateurs. Près d'un an plus tard, quelles proportions prendra cette intensité dramatique ?

Psy et Po ?... Il ne faudrait tout de même pas aller s’imaginer du psychologisme là où l'introspection aura surtout pu servir aux acteurs pour transformer les fondamentaux de la fable tragique en réflexion sur la fragilité des rencontres, ou plutôt leur cristallisation, comme on suppose que la fréquentaiton de Stendhal les aura conduits à force de moments statufiés sur scène, sanctifiés, réifiés, totemisés. Psychanalyse et Politique, décidément. La dramaturgie d'Hélène Cixous et la scénographie de Daniel Mesguich partent de la mélancolie d'Hamlet pour explorer d'autres voies de connaissance, d'autres pistes d'enquêtes, de quêtes amoureuses. Ce qui ne va pas, parfois, souvent, par avancées érotiques, et là, il s'agit de cet érotisme instantané et fluide dont on peut ressortir avec la surprise des impressions fugaces, sans doute encore plus irrité contre les discours prétendus épicuriens sur le temps présent, et, dans le même élan, avec l'attention encore plus déterminée à délier ce bandeau de convenances sociales qui nous prive de voir l'autre, si proche, pourtant, qui vient vers nous et dont nous nous trouvons, de fait, responsable de son bonheur, par les sentiments partagés. À partager.

La psyché et la cité sortent du théâtre et de la tragédie pour se répercuter dans les chœurs universels. Narcissique, l’amour ? Mais il n’y a que ça, du narcissique en amour et de l’écho dans les mots, du miroir dans les gestes. Mais attention ! la rencontre le réclame bon teint, l’autre, en face, surtout pour se fréquenter longtemps, dans la durée : il nous le faut grand tain, le miroir d’amour !... Mouvement duel. L’effet-miroir, Miguel Benasayag en expliquait aux élèves les répercussions en chaîne, passant du même à l’autre selon un processus irréversible, chaque élément entrant en relation plus ou moins étroite avec l’ensemble, en tensions ou en complémentarités, ce qui provoque des captations aux réactions infinies, autant sous les ailes de papillon d’Hélène Cixous, bien entendu, que sur les tempêtes shakespaeriennes auxquelles nous a maintenant habitué Daniel Mesguich, qui, par ailleurs, s’est fendu d’autres projets simultanés. Car, voilà, il s’est également engagé dans l’annotation livresque du Que sais-je d’Alain Viala, qui entretient avec le plateau un questionnement philosophique de chaque instant, sur l'acte, la volonté et le désir. Ce qui conduit à un ouvrage d'érudition pratique, duel encore une fois, et engagé dans nos existences, où la distance savante permet de cerner les détails, et où l'implication du terrain autorise à l'envol des imaginaires et des fantaisies. Au long des pages de cet écrit à quatre mains, dialoguent le haut et le bas, la tête et le corps... et l'on peut garder à l'esprit que, dans les conceptions platoniciennes, la dialectique qui assure le lien est métaphorisé par les membres. Les mains et les pieds, citoyens : lecteur et spectateur, assurément. Citoyens ?...

Au sommaire de cet ouvrage dense et... réactif, osera-t-on dire :

1 - Du spectacle

Le songe d'une nuit d'été...

o Le lieu où l'on regarde... o ...une représentation... o ...dans un langage multiple... o ...et in praesentia ... o Le théâtre dans et sur le théâtre

2 - Des lieux

Les Atrides

o Diversité des lieux : aperçus historiques... o Lieux et techniques : la lumière et le son... o Scènes closes et scènes ouvertes : lieux et styles

3 - Des textes

Dom Juan, ou de la complexité des textes de théâtre

o Le dialogue dramatique : une expression stylisée... o Narrateur effacé et point de vue du témoin... o La double énonciation o La représentation

d'une histoire o Les genres o Les conventions des textes de théâtre o La fabrique du texte : publication dynamique et instabilité o Le texte

et la production de l'intérêt dramatique o Le statut de l'auteur dramatique

4 - Des acteurs et des troupes

Le Faust de Goethe et l'aventure collective

o Les acteurs et les personnages ... o Les paradoxes du comédien ... o La profession d'acteur et les troupes ... o Le metteur en scène ... o Autour du metteur en scène o ... Le directeur et les salles

5 - De l'illusion

L'illusion comique

o L'illusion vraisemblable et les unités ... o Illusion et plaisir ludique ...

6 - Des émotions

Mère Courage et ses enfants

o Une longue tradition : mimesis et catharsis o L'« admiration » épique o Esthétique et idéologie

7 - Des institutions et des valeurs

o La longue histoire des institutions théâtrales o Théâtre et censure o Jeu, émotions et valeurs o Hamlet

Épilogue - Des spectateurs

La Fiancée aux yeux bandés, d'Hélène Cixous, par les élèves de la promotion 2009-2010 du CNSAD sous la direction de Daniel Mesguich

À l’Espace Cardin les 27 et 28 avril 2011 à 20h 30

Entrée libre, réservations indispensables au 01 53 24 90 16 ou sur www.cnsad.fr

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Viala-Mesguich : Le Théâtre en regard(s), PUF, 2011

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