
(à Jean-François Chazerans)
Les faits que je vais raconter sont rigoureusement authentiques ; les personnes qui sont concernées par cette histoire sont encore vivantes ; par égard pour les victimes je les nommerai par leurs différents statuts.
C’était un matin, n’importe quand jusqu’à nos jours encore depuis le début du 20e siècle, dans un pays que, parce qu’il y a de la technologie et un certain train de vie confortablement lié à ces mêmes techniques, on se croit stupidement autorisés d’appeler “civilisé”. Ce qui s’était passé cette nuit-là avait empêché l’enfant de dormir. Puis, à l’aube, comme pour une exécution, il y a eu la porte qui s’est ouverte, un habillement sur-le-champ, strict, brusque et qui ne tolérait aucune espèce de discussion. Le père tenait fermement son enfant à la main. De la maison à la voiture et de la voiture à l’école. Durant tout le trajet l’enfant n’avait cessé de pleurer. Le père ne disait pas un mot, il traînait l’enfant, il poussait l’enfant, il bousculait l’enfant. Il grondait.
À l’entrée dans l’école, il laissa son enfant devant le bureau de la direction. Les gamins jouaient autour comme on joue à 10 ans, comme si le plus important dans la vie et dans le monde c’était de réussir la tentative que l’on était en train de jouer, comme si rien d’autre ne pouvait être plus important, comme si rien ne se passait pour l’enfant près d’eux, comme si la puissance ordinaire de leurs rires ne pouvait se laisser ébranler par les pleurs de leur camarade.
Le père était en conciliabule. Quelque temps plus tard il sortit sans un regard, sans un mot, sans même un geste affectueux pour son enfant qui l’attendait pourtant, toujours en pleurs, de planton, devant la porte de la direction.
La directrice sortit à son tour. Elle regarda l’enfant et soupira d’un long souffle, profond, appela une maîtresse et lui dit en montrant l’enfant : « Les classes se feront dehors, vous mettrez ses affaires dans le couloir avec interdiction totale de parler à qui que ce soit.
– En quarantaine ? demanda l’institutrice.
– Oui, pendant quarante jours, personne ne doit lui parler. Au moment des repas, on lui dégagera ses affaires de cours de son bureau pour qu’elle puisse y manger. »
Et ça a duré comme ça. Quarante jours au pensionnat, sans communication avec qui que ce soit.
Mais que s’était-t-il donc passé de si grave ?... Pourquoi une condamnation si sévère contre un enfant d’à peine 7 ans ?...
Est-ce que l’enfant apprenait mal ses leçons ?... Non. Tout allait bien de ce point de vue, les calculs, la lecture, les récitations, l’orthographe...
Est-ce qu’il y avait une méchanceté manifeste de l’enfant contre ses camarades ou contre ses maîtresses d’école ? Non. Rien de cela. Absolument rien.
Est-ce que l’enfant avait commis un délit, un vol, une fugue ?... Pas du tout, l’enfant était très scrupuleux des lois et des règlements. De l’autorité. À peine un peu de bavardage...
Alors quoi ?...
Le père avait dit la sanction, et la directrice l’avait appliquée sans discuter, voilà tout.
Mais pourquoi donc une telle sanction ?... Ne plus avoir de contact avec personne ?!!!... C’était si grave ?... Contagieux ?...
Le père avait seulement dit « Mauvais comportement avec ses parents à la maison. »
Mais quoi ?... Qu’avait donc pu faire de si grave l’enfant en se comportant mal à la maison avec ses parents ?...
Rien. L’enfant n’avait rien fait. Rien.
L’enfant avait vu son père battre sa mère. Rien de plus.
...
Un enfant de 7 ans peut comprendre que c'est l’autorité qui a très largement dépassé toutes les limites en abusant violemment de sa puissance. Et de son pouvoir. Un prof de philo peut également le savoir pertinemment en ce qui concerne la société qu'il doit par vocation analyser devant ses élèves. Le point commun entre les deux c'est qu'ils sentent comme une nécessité vitale de ne rien dire et d'attendre les lendemains meilleurs. Le pouvoir a encore de nombreuses décennies devant lui tant qu'il y aura des gens pour se divertir autour et ne pas trop se poser de questions pendant que d'autres participent de l'opération de bâillonnement massif. Par condamnation, par réclusion, par expulsion.
Dit autrement. Le pouvoir a tout intérêt à isoler tous ceux qui sont témoins de son arbitraire et qui peuvent le dénoncer. Quand il est en place et fragile, le pouvoir accentue ses pressions, ses agressions et ses violences. Tant que personne ne proteste, tant que chacun obéit, le pouvoir domine de sa superbe. Avec les oppositions du type ZAD ou Droit au logement, arrive pour le pouvoir en place le moment d'utiliser sa machine à museler, et alors, à partir du haut de sa hiérachie il va tout entreprendre pour que tous les rouages successifs soient descendus pour renforcer chacune des formes de la sacro-sainte obéissance à son autorité. Pratique imparable et inique, qui sert à écraser systématiquement la plus petite possibilité de révolte ou de protestation. Ainsi, le pouvoir fera-t-il tout le nécessaire et le suffisant pour éviter de se trouver mis lui-même en difficulté et d'avoir à justifier l'injustifiable au regard de quiconque lui poserait de légitimes questions sur son abus. Abus des pouvoirs qui lui ont été conférés, en général par le peuple, et, en particulier, dans la sphère privée, par les mères devant leurs enfants. On ne questionne ni le père abusif et maltraitant ni l'instittution répressive, défaillante et tyrannique.
Les différents ministères de l'Intérieur en fRance depuis Talleyrand jouent ce rôle-là face à tous les gouvernements, chargés d'agir comme la directrice d'école, contre toutes les populations critiques, comme pouvait risquer de l'être l'enfant de 7 ans qui a vu ce qu'il ne fallait pas voir. Barbe Bleue n'est pas dans les contes de fées, Barbe Bleue est dans les commissariats, dans les tribunaux, dans les ministères...
Jean-Jacques M’µ