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Billet de blog 8 octobre 2025

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2 ans de complicité du monde académique français dans le génocide à Gaza

Mais que s'est-il passé dans le monde académique depuis 2 ans de génocide pour faire cesser le génocide du peuple palestinien ? Pas grand chose de la part des institutions de la recherche qui manient à merveille le "deux poids, deux mesures" si l'on compare la situation avec l'agression russe sur l'Ukraine.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nombre d’universités encore debout dans la bande de Gaza : 0 (sur 12 en octobre 2023)
Nombre d’organismes publics de recherche ayant coupé ses liens avec Israël (sur 26) : 0
Montant alloué par le Conseil Européen de la Recherche à la recherche israélienne : 1,625 Md €

Le strict minimum inexistant : le boycott universitaire.

La France a ratifié la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948). Cela l’engage à :

  1. Agir activement pour empêcher la commission d’un génocide.

  2. S’assurer que la France ne fournit ni aide, ni assistance, directe ou indirecte, à des actes qui pourraient être considérés comme relevant du génocide.

  3. Adopter des mesures concrètes pour s’assurer que les acteurs publics et privés français ne sont pas impliqués dans des actions qui pourraient encourager ou faciliter le génocide.1

L’arrêt des collaborations scientifique, aussi appelé boycott universitaire, n’est qu’une simple application du droit international. Ce n’est nullement une forme de « pressions politiques et idéologiques » comme l’affirme une pitoyable et indigne tribune parue dans le Monde et signée par 500 personnes2.

Mais où est en alors le processus de rupture de lien avec les institutions universitaires israélienne ?

Un « deux poids, deux mesures » en comparaison avec l’agression russe

Le 3 février 2022, soit une semaine après l’agression russe envers le peuple ukrainien, le CNRS publie un communiqué : « Le CNRS condamne avec la plus grande fermeté l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il assure l’Ukraine de son total soutien et de son entière solidarité. Il n’est pas acceptable qu’au 21e siècle, un tel conflit puisse voir le jour, au sein même de l’Europe.

La science n’a pas de frontières mais les valeurs que toutes les communautés scientifiques portent et partagent ne peuvent tolérer cette guerre. Le CNRS se félicite de la prise de position courageuse de plusieurs centaines de scientifiques russes qui se sont élevés contre cette agression.

Le CNRS apportera toute forme d’aide et de soutien aux chercheurs et chercheuses ukrainiens et est prêt à accueillir celles et ceux qui le souhaiteraient. Il s’associe notamment à la procédure mise en place dans le cadre du programme Pause qui ouvre un appel spécial d’aide en urgence aux chercheurs et chercheuses ukrainiens en danger, grâce à un fonds d'urgence octroyé par le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.

Le CNRS suspend toutes nouvelles formes de collaborations scientifiques avec la Russie et annule tous les événements scientifiques à venir impliquant la Russie. Les chercheurs russes qui travaillent dans des laboratoires français peuvent poursuivre leurs activités.

Le CNRS restera mobilisé aussi longtemps que la situation l’exigera.»

Quelle position a été prise par le CNRS et plus généralement les organismes publics de recherche concernant l’agression de l’armée d’occupation israélienne contre le peuple palestinien ? Aucune.

Qu’ont fait les directions des organismes publics de recherche de la tribune signée par plus de 500 universitaires3, interpellant leurs directions pour condamner les violations multiples du droit international commis par l’État d’Israël et appelant leurs directions à suspendre toute collaboration ou événement scientifique avec les institutions israéliennes ? Ils l’ont ignoré.

Y a-t-il un programme d’accueil d’universitaires et étudiant·es palestinien·nes dont les universités ont été détruites par l’armée d’occupation israélienne ? Il n’y a aucun programme nationale spécifique pour l’accueil des universitaires gazaoui·es, mais iels peuvent bénéficier du programme PAUSE. En revanche, l’État français a suspendu pendant l’été4 la délivrance de visas et donc l’accueil des étudiant·es et universitaires...

La science a bel et bien des frontières : celle de l’occident, malgré ses prétendues valeurs, son universalisme et ses belles paroles sur les droits humains. La science, tout comme bien d’autres domaines, perds ses valeurs dès qu’elle touche aux intérêts de l’impérialisme français. Autant dire que, contrairement à un mythe largement répandu, ses valeurs sont également à géométrie variable.

Des poursuites de collaboration en dépit d’une collaboration avec le complexe militaro-industriel de l’État sioniste

A l’échelle européenne, Israël bénéficie du programme européen de recherche (Conseil Européen de la Recherche, European Research Council). C’est le 8ème pays le plus financé avec 1,625 milliards d’euros et le 1er en prorata de sa population. Aucune sanction n’a été prise concernant ses financements.

Pire encore que la poursuite des collaborations engagées, certaines institutions continuent à légitimer l’état génocidaire israélien en incitant ses chercheur·ses à monter des projets avec ce dernier. C’est le cas de l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique) où l’on trouve dans l’appel à projet 2026 « équipes associées »5 ceci :

« L’ensemble des partenaires académiques israéliens est éligible au programme « Équipes Associées ». Les projets dans le domaine de l’intelligence artificielle sont particulièrement encouragés dans le cadre de l’appel 2026. »

Pourtant les exemples d’utilisation de l’IA par l’armée génocidaire israélienne sont prouvés et posent de sérieuses questions éthiques. « Where's daddy ? » et « Lavender » sont des outils au service de crimes de guerre6,7 Israël a également développé une IA prédictive au service de sa politique d'apartheid8. Les entreprises israéliennes de l'armement profitent ensuite du laboratoire géant qu'est la Palestine et les Palestinien·ne·s pour tester leurs armes, qui deviennent "combat-proven" (mention que l’on trouve par exemple sur le site de Rafael, 3ème armateur israélien). On relèvera aussi les propos cyniques et inhumains du ministre de la Défense Israël Katz, qui qualifie la hausse des ventes d'armes israéliennes en 2024 comme « un accomplissement exceptionnel dans une année marquée par la guerre ». Il a affirmé que ces résultats sont « le fruit direct des succès de Tsahal face au Hamas, au Hezbollah, aux Houthis, et au régime iranien », ajoutant : « Le monde reconnaît la force israélienne et veut s’y associer.».9 Le rôle des universités israéliennes dans le complexe militaro-industriel israélien, fondé sur l'étroite collaboration entre universités, start-ups et entreprises high tech à la pointe de la technologie, est clairement établi. On pourra se référer à l’ouvrage Towers of Ivory and Steel:How Israeli Universities Deny Palestinian Freedom de Maya Wind et les arguments ainsi que les partenariats France-Israël sont aussi résumés sur le site : www.academiccomplicity.fr

Des tentatives de fin de collaboration infructueuses

Rares sont les mobilisations dans les universités françaises qui ont mené à l’arrêt des collaborations avec les institutions de l’État génocidaire israélien. On peut noter le vote d’une motion à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) l’engageant à cesser tout partenariat avec des universités israéliennes après une forte mobilisation à la fois étudiante et du personnel.

Mais ce n’est pas le cas de la majorité des universités françaises. A Strasbourg, l’Institut d’Études Politique a finalement rétabli son partenariat avec l’université Reichman malgré la mobilisation des étudiant·es et d’une partie du personnel.10 A l’Université Grenoble Alpes, le conseil d’administration11 a rejeté la suspension des coopérations avec l’État génocidaire israélien. Cette liste est bien évidemment non exhaustive tant la complicité des universités françaises, par leur inaction, est la norme. On pourra consulter cette carte pour plus de liens.

Pourtant, à l’international, des universités ont d'ores et déjà rompu tout lien avec l’État génocidaire israélien : l’université de Johannesburg (dès 2011) ou encore 76 universités espagnoles12. Ceci montre donc que tout est une question de volonté politique. Il s’agit là d’une preuve de plus que l’université française est très loin d’être gangrenée par islamo-gauchisme… Qui peut encore utiliser cet argument ridicule alors que le milieu académique français est incapable de rompre ses liens avec un État génocidaire qui massacre des personnes pour la grande majorité musulmanes ?

Une mobilisation des universitaires loin d’être à la hauteur d’un génocide dont notre pays est complice

Vous vous rappelez de l’appel de 1000 scientifiques à la rébellion face à l’inaction climatique paru dans Le Monde13 ?

Aucune tribune de scientifiques français n’a à ce jour atteint ce nombre de signatures pour un appel à une mobilisation aussi radicale mais légitime au vu de la complicité de la France dans le génocide du peuple palestinien. Aucune heure de grève ou rassemblement coordonné en solidarité avec les universitaires de Palestine, comme pour le mouvement « Stand Up for Science », n’a eu lieu en 2 ans de génocide.

A l’exception de la Coordination universitaire contre la colonisation en Palestine, qui s’inscrit pleinement dans la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), rares sont les collectifs universitaires à s’être pleinement saisi de la complicité du monde académique français dans la colonisation de la Palestine.

3 objets sont pour moi symboliques d’une mobilisation des universitaires loin d’être à la hauteur.

Le premier est la mobilisation « Stand Up for Science » : la situation des chercheur·se·s états-uniens, pourtant très privilégiés, a beaucoup plus mobilisé que celle des chercheur·se·s gazaoui·es. Ces dernier· ont pourtant aussi vu des attaques sans précédemment à leurs libertés académiques : leurs universités ont été bombardées, détruites et anéanties par l’armée d’occupation israélienne.

Le deuxième est un texte de l’Atécopol (Atelier d’écologie politique) de Toulouse, faisant suite à la suspension d’un enseignant de la Toulouse School of Economics (TSE) pour ses propos jugés « polémiques » sur le génocide du peuple palestinien, est pour moi la parfaite illustration du manque de politisation universitaire sur la colonisation de la Palestine14. Au lieu de défendre au mieux l’intervention du collègue de TSE, malgré les quelques débats que suscitent son argumentation, et d’apporter un plein soutien au peuple palestinien et aux universitaires premières victimes d’un scolasticide, l’Atecopol de Toulouse opère un refus d’obstacle en choisissant l’angle de la liberté académique. Les nombreux euphémismes comme « la situation à Gaza », « la situation israëlo-palestinienne », « situation humanitaire au Proche-Orient » traduisent une peur, un inconfort d’utiliser pleinement cette liberté académique, d’employer le terme de génocide et donc de parler de l’état génocidaire d’Israël, de ses pratiques impérialistes et du soutien de nos gouvernements occidentaux qui n’ont pas encore tiré les leçons de la colonisation et de la Shoah.

Le troisième est le récent appel à la mobilisation du 18 septembre de l’ESR15, où l’on ne trouve aucune revendication liée à la Palestine… Cela montre que la Palestine n’est pas un sujet incontournable d’une mobilisation alors qu’au même moment, les bombardements dans Gaza-City et la famine s’intensifiaient.

A titre personnel, je considère que, considérant de ses privilèges, le milieu universitaire français n’a pas apporté sa pleine solidarité, pourtant érigée comme valeur de la recherche scientifique, aux collègues gazaoui·es victime d’un scolasticide et d’un génocide perpétré par l’État colonial israélien.

J’espère que des leçons seront tirées de cette séquences et que les directions des instituts de recherche finiront un jour devant une juridiction compétente pour juger de leur implication dans le génocide en cours.

Finissons par une citation d’Aimé Césaire plus que d’actualité :

« Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.

Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.
Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. 

Le fait est que la civilisation dite « européenne », la civilisation « occidentale », telle que l’ont façonnée deux siècles de régime bourgeois, est incapable de résoudre les deux problèmes majeurs auxquels son existence a donné naissance : le problème du prolétariat et le problème colonial ; que, déférée à la barre de la « raison » comme à la barre de la « conscience », cette Europe-là est impuissante à se justifier ; et que, de plus en plus, elle se réfugie dans une hypocrisie d’autant plus odieuse qu’elle a de moins en moins de chance de tromper.

L’Europe est indéfendable. » 16

Notes :

1 https://jurdi.fr/ressources/jurdi-obligation-prevenir-genocide-lettre-et-annexe-a-pr/

2 https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/09/15/un-collectif-de-500-personnes-interpelle-france-universites-et-le-ministere-de-l-enseignement-superieur-il-est-imperatif-de-condamner-le-principe-de-boycott-academique_6641273_3232.html

3 https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/050225/500-scientifiques-interpellent-leurs-directions-sur-les-violations-du-droit-internatio

4 https://www.ouest-france.fr/monde/gaza/question-du-jour-la-france-a-t-elle-raison-de-suspendre-laccueil-des-personnes-evacuees-de-gaza-4100c8ae-6edc-11f0-98d0-ec518692189f

5 https://www.inria.fr/fr/appel-projets-equipes-associees-partenariats-internationaux-2026

6 Gaza : des dizaines de milliers de cibles identifiées par l’IA pour l’armée israélienne : https://www.lemonde.fr/international/article/2024/04/05/gaza-des-dizaines-de-milliers-de-cibles-identifiees-par-l-ia-pour-l-armee-israelienne_6226102_3210.html

7 https://www.humanite.fr/monde/armee-israelienne/lavender-lintelligence-artificielle-qui-dirige-les-bombardements-israeliens-a-gaza

8 « Toutes les cinq minutes, ils prédiront qui sera le prochain terroriste » : Israël développe son propre ChatGPT pour espionner et trier les Palestiniens : https://www.humanite.fr/monde/armee-israelienne/toutes-les-cinq-minutes-ils-prediront-qui-sera-le-prochain-terroriste-israel-developpe-son-propre-chatgpt-pour-espionner-et-trier-les-palestiniens

9 https://israelvalley.com/2025/06/06/avant-le-salon-du-bourget-des-annonces-dexportations-darmes-disrael-le-ministre-de-la-defense-israel-euphorique/

10 https://ujfp.org/iep-strasbourg-un-partenariat-contre-lethique-valide-par-procuration/

11« Motion proposée par la FSU » du 3 juillet 2025, https://www.univ-grenoble-alpes.fr/deliberations/deliberations-du-conseil-d-administration-2024-2025-1639379.kjsp?RH=1634807964239

12 https://bdsmovement.net/news/76-universities-spain-suspend-ties-with-complicit-israeli-universities

13 https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/20/l-appel-de-1-000-scientifiques-face-a-la-crise-ecologique-la-rebellion-est-necessaire_6030145_3232.html

14 https://blogs.mediapart.fr/atelier-decologie-politique-de-toulouse/blog/170924/les-accusations-contre-l-enseignant-de-tse-sont-une-grave-degradation-d

15 https://cgt.fercsup.net/info-luttes/article/intersyndicale-esr-toutes-et-tous-en-greve-et-dans-les-manifestations-le-18

16 Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1950

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