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Billet de blog 2 novembre 2025

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Tanzanie : la révolte dans un contexte d'exploitation néocolonial et impérialiste.

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On ne peut pas comprendre les événements en Tanzanie sans évoquer de façon sérieuse, l'exploitation du pays, l'extractivisme et ses groupes de pression, qui contribuent à financer la mise au pas du pays. Evidemment, le rôle de la Chine est largement évoqué. Mais l'UE, le Royaume Uni, ne sont pas en reste. La Tanzanie est un terrain de confrontation brutale, des influences et du pillage impérialiste, qui s'y jouent.

L'UE investit massivement en Tanzanie avec 990 millions d'euros promis via sa stratégie Global Gateway présentée comme alternative à la Belt and Road Initiative chinoise.

Elle finance l'eau potable, l'électricité rurale, les villes intelligentes à Mwanza et Tanga, l'interconnexion électrique avec la Zambie et l'Ouganda. Le Parlement européen condamne publiquement la fraude électorale, exige la libération de l'opposant Tundu Lissu et exprime son soutien aux manifestations de la Gen Z.

Mais pendant que le Parlement dénonce la dictature, la Commission européenne débloque 425 millions d'euros en mai 2025 pour le gouvernement Hassan exactement au moment où la répression s'intensifie.  l'UE ne peut se permettre de perdre la Tanzanie face à la Chine, mais aussi, face au Royaume Uni. Elle a besoin de la "stabilité" autoritaire pour faire fonctionner ses projets d'infrastructures énergétiques qui facilitent l'extraction minière dans la Copperbelt zambienne. Pour le dire clairement, elle a besoin d'un régime qui fait marcher au pas les Tanzaniens. 

Les condamnations parlementaires servent uniquement à préserver l'illusion des "valeurs démocratique de l'UE" auprès de l'opinion publique. L'UE a déjà sanctionné la Tanzanie après la répression des Maasai, mais uniquement pour 20 millions sur des centaines de millions engagés. Ces sanctions symboliques préservent l'apparence morale sans compromettre les intérêts géostratégiques. L'UE finance l'électrification de villages tanzaniens pour améliorer son image tout en ne remettant jamais en cause le modèle où les minerais critiques partent vers l'Europe plutôt que de nourrir une industrialisation africaine.

Le Royaume-Uni domine l'économie tanzanienne avec 36% des investissements directs étrangers, devant la Chine et les États-Unis réunis. Le commerce britanno-tanzanien atteint 735 millions de livres au premier trimestre 2025 en hausse de 11,9%. Londres vise à débloquer un milliard de livres d'investissements garantis par l'État d'ici 2030 via le Mutual Prosperity Partnership. British International Investment et Standard Chartered Bank signent en mai 2025 un programme de financement commercial de 100 millions de dollars censé faciliter 450 millions de dollars en transactions. Pendant ce temps, le Foreign Office britannique condamne mollement la répression avec le Canada et la Norvège, citant des rapports crédibles de nombreux morts. Mais aucune sanction concrète ne suit. Londres finance massivement le secteur minier tanzanien qui exporte les minerais critiques, habillant cette extraction dans un discours sur le changement climatique et l'agriculture résiliente. Le UK-Tanzania Green Growth Facility débloque l'exportation des cultures tanzaniennes à haute valeur vers les marchés mondiaux. La rhétorique verte masque la réalité : sécuriser l'accès britannique aux cultures d'exportation et aux minerais, pas le développement endogène africain. Cette domination britannique héritée de l'époque coloniale n'a jamais été remise en cause depuis l'indépendance en 1961. Les élites tanzaniennes formées à Oxford et Cambridge, les structures juridiques copiées du droit britannique, la langue anglaise comme lingua franca administrative maintiennent la Tanzanie dans l'orbite post-coloniale britannique. Le Commonwealth offre le cadre institutionnel de cette domination invisible.

Le rôle néocolonial britannique réside dans son réseau offshore qui extrait les richesses tanzaniennes en totale invisibilité. Maurice, Singapour et les Îles Vierges britanniques apparaissent parmi les douze premières sources d'investissements en Tanzanie. Ce ne sont pas des pays mais des juridictions offshore britanniques servant de coquilles vides pour acheminer des capitaux.

Le commerce entre Singapour et l'Afrique a bondi de 54% entre 2020 et 2024 atteignant 14,3 milliards de dollars. Singapour est un ancien comptoir britannique devenu indépendant en 1965 qui a conservé toutes les structures juridiques et financières de la City de Londres. Maurice est devenue une destination pour les riches évitant l'impôt avec discrétion. KPMG a fourni des conseils sur les moyens pour une entreprise d'extraire les profits de Tanzanie en prêtant de l'argent depuis Maurice, permettant de payer 3% d'impôt à Maurice au lieu de 30% en Tanzanie. Au moins 45 hommes d'affaires tanzaniens ont été exposés par les Panama Papers incluant le magnat Rostam Aziz et le député du CCM Abdul-Aziz Mohamed Abood. L'élite tanzanienne du CCM utilise massivement Maurice et les paradis fiscaux britanniques pour évader l'impôt et extraire les richesses du pays. Les trois premiers paradis fiscaux corporatifs mondiaux sont les Îles Vierges britanniques, les Bermudes et les Îles Caïmans, tous territoires britanniques d'outre-mer que Londres contrôle via la nomination des gouverneurs et le pouvoir de suspendre leurs constitutions.

De nombreuses compagnies chinoises investissant en Afrique utilisent les BVI et les Îles Caïmans pour domicilier leurs entités. La Chine construit le rail TAZARA mais les profits transitent par des structures offshore britanniques. Le Royaume-Uni capte les flux financiers via son réseau offshore sans avoir besoin de construire lui-même les infrastructures. Cette collaboration sino-britannique fonctionne comme une division du travail néocoloniale parfaitement optimisée. La Chine apporte les infrastructures lourdes, la technologie, les ingénieurs et la visibilité publique qui attire toute la critique. Le Royaume-Uni fournit les structures juridiques offshore, les services bancaires via Standard Chartered, la respectabilité financière et l'invisibilité totale. Les élites tanzaniennes du CCM profitent des deux : infrastructures chinoises qui leur donnent une légitimité développementaliste, comptes offshore britanniques qui leur permettent d'extraire leur part.

Les paradis fiscaux coûtent collectivement aux gouvernements entre 500 et 600 milliards de dollars par an en pertes de revenus fiscaux, et les économies à faible revenu perdent environ 200 milliards de dollars, plus que les 150 milliards qu'elles reçoivent annuellement en aide au développement. La Tanzanie perd donc plus d'argent via l'évasion fiscale organisée par le système offshore britannique qu'elle n'en reçoit en aide. Londres donne 100 millions en aide humanitaire d'une main pendant que l'autre extrait 500 millions via Maurice et les BVI. La Gen Z tanzanienne manifeste contre le CCM et l'impérialisme chinois mais ne voit pas le système offshore britannique qui extrait silencieusement bien plus.

Les 700 morts dans les rues protègent ce système triangulaire Chine-UK-CCM où chacun a besoin de la stabilité autoritaire pour continuer d'extraire. Le Royaume-Uni a simplement modernisé le colonialisme au lieu de l'abandonner. Les matières premières tanzaniennes partaient vers Liverpool sur des bateaux britanniques pendant l'ère coloniale. Aujourd'hui elles partent vers Shanghai sur des trains chinois mais les profits transitent par des banques britanniques à Port-Louis et Singapour avant d'arriver à Londres.

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