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Billet de blog 21 juillet 2023

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Une démarche constituante pour quelle société ?

La question de la nécessité d'un moment constituant, tend à progresser dans une partie importante de l'intelligentsia et de la "classe politique" tant à gauche qu'à droite. A l'occasion de la publication d'un entretien entre Raquel Garrido et Marcangeli par Médiapart, Fabien Escalona et Pauline Graulle, quelques réflexions préalables.

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Raquel Garrido est la première chez LFI à avoir perçu la nature spécifique du mouvement historique en cours, et de celle, singulière,  de l'évolution d'un régime qui sous Macron prend ses distances avec la démocratie et se fascise, c'est-à-dire, sans être encore, fasciste, en épouse les formes, et se radicalise à droite, avec Darmanin au centre de la gestion des "mouvements sociaux, spirituels" militarisant la société, avec une pratique du pouvoir, démolissant in fine, l'État, en lui substituant des organismes externalisés, parmi une multitude de "hochets" institutionnels, (voire la nomination de Guirous) constituant un halo propres à occulter au contrôle démocratique l'action concrète de l'édifice macronien. Le consentement à tout cela, est également pensé au travers de dispositifs militarisant comme le SNU, comme la contrepartie conçue sous forme de dette sociale due par les bénéficiaires du RSA. 

Barbara Stiegler, "nouvelle" chez LFI, pose par ailleurs, la question de la nature du régime actuel et pose la question de la dictature, avec cette réflexion importante  : la bourgeoisie ne propose qu'une forme de démocratie, en tant que classe en soi, alors que la dictature, prend des formes extrêmement diverses, et n'est définie in fine, que par contradiction à la démocratie, au-delà des travaux par exemple, de Poulantzas sur les fascismes, et la dictature. 

La réflexion est donc digne d'intérêt et de respect en soi. 

Barbara Stiegler, pose quant à elle, la question même de la forme démocratique, en évoquant la démocratie athénienne. Et en cela, elle pose la question de l'État. 

Et il semble bien, en l'occurrence, que le questionnement de Raquel Garrido, s'apparente à un réveil en sursaut, d'un endormissement "systémique", produit de l'embourgeoisement démocratique, dont une part importante de la petite bourgeoisie, est atteinte, par son positionnement quant à l'organisation du travail bourgeois.

Avant de se poser la question du "constituant", de la forme du "cratos", il faut d'abord se poser la question de sa fonction POUR le démos et non SUR le démos. En d'autres termes, la prise de conscience de l'existence historique, de l'ère de l'anthropocène et du capitalocène nous impose, de réfléchir d'abord et en même temps que d'en définir la Loi Fondamentale, le type de société qu nous voulons, la plus pertinente qui soit, pour en finir avec les destructions effroyables du capitalocène. 

Le mérite de Raquel Garrido, contre vents et marées à LFI, sans démocratie interne permettant de débattre ses positions, comme celles de Stiegler, consiste à poser clairement la question de la nature du moment que nous vivons. Elle appuie, ce faisant, là où ça fait mal, c'est-à-dire, sur la soumission de fait, au calendrier bourgeois, de l'État Macron, sur un des aspects du déni petit bourgeois d'un déboulé fascisant sur la société. 

L'assassinat de Nahel ne fait que confirmer, le déboulé autoritaire déjà lisible lors du COVID avec une fascisation du débat, soit, l'interdiction de douter, de questionner, l'exigence de transparence. Une exigence qui existera aussi dans la problématique climatique complexe qui se pose à nous. Une fascisation que l'on pouvait déjà lire sur l'UE (référendum de 2005) ou sur l'Euro. Notre classe politique et notre intelligentsia s'est très peu emparée, de la question de la violence européenne qui s'abattait sur Chypre en 2013, ou à Athènes deux ans plus tard, comme elle préféra fermer les yeux sur le carnage qu'engendre la politique migratoire de l'UE, en Méditerranée, en Manche et sur le continent. 

Dans un contexte répressif, voire carcéral (le confinement en fut un par la répression qui l'accompagnait, la généralisation du contrôle électronique également) cette réflexion est rendue illégale, voire clandestine, et explique, certains recours au biais de l'I.A, qui serait productrice d'une réalité imposée et standard, à laquelle l'obligation de se soumettre, de se subordonner serait assortie. 

Il importe donc, avant de penser le référendum, d'organiser le débat dans la société et non parmi une élite, dont l'appartenance à une classe sociale dominante, biaise le regard social.

Et cette tâche, de mettre en débat la société, de lui reconnaître, la capacité, la "qualification" de délibérer (c'est la qualification que reconnaît dès 1789, le "Tous les Hommes naissent libres et égaux en droits...") c'est la vocation de la gauche, qui en ne le faisant pas, non seulement manque à tous ses devoirs, mais encore, laisse la bourgeoisie, "s'en charger" à sa place. Ceci constitue une abdication devant elle, de sa souveraineté, et délégitimer les aspirations des classes populaires, à devenir souveraines. 

Pour reprendre les propos de Gramsci, alors que la classe bourgeoise, opère une guerre de mouvement vers la fascisation de la société, la gauche, cantonne et condamne, les classes populaires à l'abstention, dans une guerre de position, sur une ligne Maginot politicienne et idéologique, que constitue la matrice dégradée de la social démocratie. Macron, comme l'agression de l'UE à Chypre (2013), comme celle d'Athènes (2015) sont apparentées non à un sursaut démocratique, mais bien comme le fit remarquer Varoufakis à l'époque, à Prague 68 - avec des chars financiers et bancaires - , ou encore, le coup d'État de 67, dit des colonels en Grèce. Il ne s'agit bien sûr, pas de les assimiler, mais de les apparenter, tant leurs effets ont eu des conséquences dramatiques pour la démocratie et contre les populations. 

Poser le problème ainsi, est fondamental alors que la fin du capitalocène doit s'organiser pour des raisons vitales, et que son extinction repose sur la maîtrise de la production matérielle et humaine, comme préalable à la fin de l'accumulation capitaliste, l'accumulation étant inhérente à "l'ADN" du capitalisme, et moteur du capitalocène. 

État ? ou pas État ? et si État quelle forme de l'État ? c'est ce qui doit être pensé comme préalable à toute démarche constituante, car une fois qu'État est choisi, alors, ce choix devient dans toute l'Histoire, un carcan, matrice intellectuelle, générateurs d'aliénation par des habitus "encadrés" enfermés, induisant la reproduction jusqu'à la folie (Einstein) de modes d'organisations mortifères. Les écrits de Lordon sont utiles à cette réflexion-là. 

Est-ce à l'État que nous abdiquons par le vote la fonction de maîtriser la production et de définir nos besoins ? Ou bien, est-ce à d'autres formes qu'il convient de définir, inspirées pourquoi pas de la démocratie athénienne comme Barbara Stiegler, le propose, ou encore à des formes démocratiques héritées de la Commune de Paris comme Kohei Saito le pense dans ses écrits les plus récents, ou encore, des assemblées dans les entreprises, décidant ou non de produire, comme Friot le théorise ? Michael Löwy, lui-même, tend à les rejoindre à en croire certains de ses derniers propos. 

Et en cela, nous assistons, (enfin), à une certaine jonction, des tendances populaires, présente chez les Gilets Jaunes, dans le Hirak, dans les Printemps arabes, notamment au Liban, à Hong Kong et ailleurs, et l'intelligentsia elle, même s'éveillant peu à peu après une longue torpeur (avec des exceptions bien-sûr) à cette mise en question de l'organisation sociale, et de l'État lui-même. 

Rappelons ici, que les travaux des paléontologues et paléogénéticiens indiquent que l'obsession de Sapiens à la reproduction à l'identique... par rapport à Néandertal qui ne cessait d'innover (les dépôts sapiens se caractérisent par l'accumulation d'objets et d'outils semblables, identiques, alors que Néandertal, non). Harari pose un certain nombre de postulats également qui doivent servir de données, à une réflexion anthropologique d'ensemble.

Quelle société voulons-nous ? C'est-à-dire, quelle organisation est-elle la plus pertinente à affronter et subir le changement climatique tout en restant l'Humanité ? 

Et si l'État, qui garantit le recouvrement aux créanciers des dettes des débiteurs n'étaient plus pertinents, parce que l'abolition de la dette, le rend superflu et obsolescent, par la nécessité de réduire et éteindre la dette contractée auprès de la nature, non par un biais moral, mais par la nécessité physique posée par les neuf limites planétaires dont la plupart ont été franchies allègrement ? 

Marcangeli est conservateur. Garrido ouvre les yeux de pas mal de cadres LFI et la dernière intervention de Mélenchon à Bruxelles, marque, enfin, un coin dans la pensée déroulée au cœur de la matrice dirigeante insoumise, quant à la pertinence d'attendre sagement son tour en 2027, sans aucune garantie que ce tour viendra. 

C'est probablement ce qui a manqué au Chili, pour le moment. Il ne suffit pas de rejeter l'existant pour constituer. Il faut aussi désaliéner la société, l'émanciper, pour le faire, et cela nécessite du débat. Nous n'avons pas besoin d'une "normalisation" comme le dénonçait Foucault dans son Histoire de la Folie à l'âge classique (qu'on assimile cet âge à l'ère des lumières… ), mais d'une réelle marche vers l'émancipation. 

Avant de constituer, ne faut-il pas s'auto-organiser collectivement tout en débattant et délibérant ?

Pour ma part, la réponse est oui. 

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