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Billet de blog 27 décembre 2021

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Éléments pour une société écologiquement soutenable.

On reproche à certains pays d'arracher le droit de poursuivre leurs exploitations charbonnières et c'est légitime. Nous payons là les années Trump et de climatoscepticisme militant. Cependant, il faut balayer devant nos portes occidentales, devant nos systèmes capitalistes néolibéraux, incapables d'intégrer la nature comme un atout économique de prime importance comme le montre Partha Dasgupta.

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Partha Dasgupta

On reproche à certains pays comme l'Inde et la Chine notamment, de poursuivre et d'arracher le droit de poursuivre leurs exploitations charbonnières et de faire perdurer la production d'électricité par des centrales à charbon au delà du raisonnable. On a raison de le faire. Nous payons ici des années de Trump à la Maison Blanche et de déni du changement climatique. Nous payons aussi le fait que ce déni a fait les affaires de ceux qui profitent largement du système en place. 

Nous savions déjà depuis Marx que ceux qui profitent le font sur l'exploitation des autres et leur paupérisation. Nous savons aussi que ce profit se faisait contre la nature, en la ponctionnant. Nous savons aujourd'hui que ceux qui profitent décident d'à peu près tout dans la société de marché, même de nos consommations en créant des besoins. Ces décisions sur ce qu'on produit, consomme, diffuse et jette, sont prises dans la réalité par un nombre de gens de moins en moins large, concentrant toutes sortes de pouvoirs, de privilèges, de prébendes, laissant aux autres des semblants de démocratie, dont l'essentiel réside dans des élections qui quoiqu'il en sorte, ne remettra pas en cause leurs décisions ni leurs profits. Dès lors, les décisions sont prises non dans l'intérêt général, non dans le sens d'une société soutenable au regard du climat, mais en,  fonction de "leurs" profits. 

Il est donc trompeur de s'en prendre à ces pays, aussi légitime soit la critique. Il faut balayer devant nos portes occidentales, devant nos systèmes capitalistes néolibéraux le plus souvent, qui sont encore à ce jour, incapables d'intégrer la nature comme un atout économique de prime importance. 

Le système capitaliste, l'économie de marché et plus encore la société de marché fonctionnent à la croissance. Sans croissance, pas de marché tel qu'on le connaît. Les notions de croissance,  la "mise en marché" de l'activité humaine, trompe totalement la vision "économique" de ce qu'un pouvoir comme le pouvoir indien, chinois, US, français  croient devoir faire et décide de  faire in fine avec quelques riches industriels, quelques banques qui ont décidé de faire durer leur capitalisation fossile. Ceux qui décident avec les pouvoirs, le financent souvent ainsi qu'ils financent largement l'accession aux fonctions électives les plus hautes comme Julia Cagé l'a largement démontré. 

On  peut d'ailleurs faire une analogie entre la pratique du "conseil de défense" de Macron et celui du "Happy few" qui préside pour tous, de ce qui vaudrait ou non pour l'économie et pour la politique énergétique qu'il conviendrait de mener pour affronter l'adversité de la mutation climatique. Afin de permettre cela, la constitution a été maintes fois bricolée en France afin d'en venir à la multiplication sous Hollande et Valls puis sous Macron de mesures d'exceptions de plus en plus nombreuses, sans réel débat démocratique dans un parlement zombifié .

Ainsi , le pouvoir indien, chinois, français, US etc...  calculent sans prendre en compte les dégâts qu'il commet contre sa population, contre sa jeunesse et contre son avenir, parce qu'il s'en remet à un groupe limité de décideurs , d'acteurs actionnaires, et non producteurs, au lieu de permettre une délibération démocratique et politique élargie à toute la population alors que c'est elle, qui principalement, en première ligne subit et les conséquences climatiques et celles des choix faits par cette oligarchie reconstituée. La caractéristique de ces "assemblées" d'actionnaires décideurs de tout c'est d'être plutôt âgés, les plus jeunes d'entre eux étant le plus souvent des héritiers appelés à reprendre des empires, ou à exercer des fonctions utiles à perpétuer le système. 

Partha Dasgupta (universitaire à Cambridge) vient de publier un ouvrage intéressant reprenant un certain nombre d'idées clés qui en font l'un des chercheurs les plus en pointe du monde sur l'intégration de la nature et de la biodiversité comme atout économique. Partha Dasgupta est connu pour ses travaux à Cambridge visant à intégrer la nature dans la donne économique, sa mise en oeuvre, sa comptabilité, ses bilans. La somme qu'il a déjà publiée est sans aucun doute le travail le plus abouti dans le domaine d'une économie soutenable sur le plan écologique.  

Partha Dasgupta a examiné comment la doxa économique aveugle le rapport à  l'environnement, conduit  nos économies à détruire davantage  la nature. De son côté, et il n'est pas inintéressant de  rapprocher les travaux de Dasgupta, les mettre "en réseau" avec ceux de  Mariana Mazzucato qui y  a étudié et extrait  les  mythes et poncifs recouvrant l'idée d'innovation, de modernité, de croissance chez les néolibéraux et orthodoxes. 

Anne Case et Angus Deaton décrivent quant à elles, les dégâts causés idéologiquement sur les  classes moyennes et modestes, autrefois stables par cette obsession de croissance.

Ensemble en croisant leurs analyses et études, nous pouvons tenter d'approcher ce qui constitue la problématique actuelle d'une marche vers une économie soutenable au regard de la donne "naturelle". 

Dans "The Economics of Biodiversity" , Partha Dasgupta insiste sur la toxicité de l'évaluation de  l'activité humaine seulement menée, au travers des transactions en espèces et sur le désastre qu'elle produit. Il rappelle qu'aucune transaction en dollars ne se fait avec la nature malgré sa maîtrise quasi totale par l'être humain.

La nature n'achète et ne vend pas. Lorsque nous faisons le bilan de toutes les  transactions humaines pour créer le PIB, la nature disparaît du bilan, de la compta alors que  la nature est omniprésente dans ses transactions avec nous, pour assimiler nos déchets, fournir des minerais, des récoltes, la météo et l'air même que nous respirons.

Le point central de Dasgupta est déconcertant de simplicité dans son énonciation  : la biosphère s'épuise parce que notre  demande  dépasse sa capacité de régénération, entraînant le changement climatique, l'extinction de masse, l'eutrophie. Dasgupta bat en brèche le verbiage  statistique et ses bricolages, esquisse une reconstruction de  notre compréhension économique. Il décompose notre demande économique sur la nature en PIB mondial par personne multiplié par la taille de la population mondiale multipliée par la demande de ressources sur la nature par dollar. 

Lorsque la demande dépasse l'offre, le capital de la nature s'épuise et son offre disponible se fait  plus limitée. Une fois que nous incluons la nature dans les mesures économiques, des soustractions de la croissance du PIB mondial sont introduites, mesurant quantitativement notre écart par rapport à une trajectoire durable.

Les économistes commettent deux erreurs opposées avec leurs chiffres : ils sous-estiment l'impact de nos entreprises sur la croissance et surestiment la croissance en omettant de prendre en compte notre déprédation de la nature. Ainsi, avec des mesures correctes, nous devrions nous détourner des entreprises - réduire les incitations au profit et augmenter la réglementation - en faveur du maintien de la biodiversité.

La révision du PIB de Dasgupta révèle trois objectifs politiques clairs.

 Premièrement, ralentir la croissance du PIB privé par personne ; sans forcément la stopper une croissance plus lente est préférable. 

Deuxièmement, encourager une croissance démographique plus lente, en travaillant au développement des droits des  femmes leur accès aux biens et services de planification familiale, accès à l'éducation, aux études, aux responsabilités,  qui font l'objet de très faibles prises en compte dans les plans d'aide au développement. 

Troisièmement, réduire la pression en dollar sur la nature en terme de  PIB grâce à des innovations ciblées sur les avantages sociaux et non sur les profits en dollar. 

Mariana Mazzucato explique quant à elle, comment rendre possible un tel virage paradigmatique  dans Mission Economy dans laquelle elle passe en revue l'ensemble des sources, des processus, des réseaux et des institutions qui constituent le concept d'innovation en économie. Les sociétés de la Silicon Valley, de biotechnologie et pharmaceutiques diffusent une mythologie de l'entrepreneuriat autosuffisant en cachant leur dépendance à l'égard de la recherche et des fonds publics en s'appropriant et en inventant tout un système de droits de propriété intellectuelle appliqué par les gouvernements par le biais de traités commerciaux mondiaux. Ainsi le libre échangisme favorise l'émergence d'un arsenal juridique toxique qui transgresse les règles démocratiques ou les contourne. 

Mariana Mazzucato s'est faite connaître par son insistance à renverser l'idée d'un Etat minimaliste (des libertariens) pour un Etat plus interventionniste, stratège en quelque sorte, servant de boussole pour l'investissement nécessaire pour le développement. 

Plus récemment, Mazzucato a proposé que les gouvernements reçoivent plus de ressources pour nous orienter vers l'innovation en termes de droits et progrès sociaux : le pouvoir et donc  ​​le contribuable  devraient pouvoir prendre une participation en capital dans les résultats de la recherche qu'ils ont financée. De cette façon, soutient-elle, les contribuables peuvent obtenir leur juste retour sur la recherche qu'ils financent. Cela rendrait également visible la valeur du portefeuille global de projets soutenus par le gouvernement et mettrait fin à des normes de réussite très problématiques jamais appliquées au secteur privé.

Avons-nous besoin de richesses et de pouvoirs de plus en plus concentrés sur un petit nombre d'individus et d'institutions ?

1 milliard de dollars, suffisent à garantir plus de 250 ans à raison de 10 000 dollars de dépenses quotidiennes !!! C'est pourtant ce qui caractérise quelques individus qui les cumulent, certainement ceux qui poussent en Inde, en Chine, France, USA  à la prolongation du charbon contre la durabilité d'une nature propice à la vie humaine. Les mêmes décident pour tout le monde, ceux qu'ils condamnent à la pauvreté par leur ponction sur le "stock" et la "production" de la nature. Ceux qui monopolisent le pouvoir de décider sont actuellement ceux qui épuisent le plus la nature, la planète. 

Case et Deaton eux montrent la démolition de l'American Way of life fondée sur l'aisance d'une classe moyenne décimée par la précarité, la relégation, le suicide, le cancer, le diabete l'obésité, la toxicomanie ...C'est donc un paradigme qui s'effondre par son pilier central : la classe dîtes moyenne. Le scandale des opiacés donne raison à Dasgupta, Deaton, Case et Mazzucato : les classes moyennes tenues par l'emploi, le salaire lié au poste de travail, ont financé "l'innovation" et les profits de "Black Rock" et des pharmas pour s'empoisonner littéralement. 

Les "classes moyennes indiennes", chinoise (en plein essor) mais aussi française,  etc...  suivent tragiquement ce chemin en partie finançant à leur dépends, sans mot à dire,  les profits que Modi, Macron et autres permettent en trafiquant le droit par l'exploitation du charbon à perpétuité ... Encore deux minutes Monsieur le bourreau ! 

A ce stade, donc, nous constatons qu'à l'effondrement du paradigme capitaliste, de sa mythologie des "Happy Middle" en harmonie avec le "Happy Few actionnaire" correspond aussi un effondrement démocratique avec une brutalisation des rapports sociaux et des luttes en face, prenant des formes multiples et s'installant dans la durée, en même temps qu'elles regardent à deux fois avant d'aller voter .

Ces mesures défaillantes ruinent l'avenir, privant beaucoup de gens de dignité et permettant aux riches d'exercer une domination exclusive. Il est difficile de trouver une illustration plus frappante de l'observation de Keynes selon laquelle « les hommes pratiques qui se croient tout à fait exempts de toute influence intellectuelle, sont généralement les esclaves d'un économiste défunt" ...

Lorsque Macron prolonge le nucléaire et les pesticides, les  droits des chasseurs, il le fait aussi sur nos deniers, sans nous demander notre avis parce que le régime l'y autorise, tout en détruisant les droits sociaux en nous racontant qu'il s'agit de réforme et de modernisation. Et si le régime ne l'y autorise pas alors soit il passe par des mesures d'exception, qu'il installera ensuite dans la loi, soit par une farce électorale, soit par une fausse concertation, un semblant de débat à l'Assemblée permettant cela. Et lorsqu'il exonère d'impôts, de cotisations, il le fait en faveur de ceux qui décident et ponctionnent au delà du raisonnable la planète .Lorsqu'il vend une industrie ou s'il vendait nos systèmes de retraites, ce serait "en même temps" un financement de plus apporté à des démolisseurs de la planète. 

Ainsi, il suit la trace des pouvoirs US, de Modi, de Merkel et tant d'autres ... effaçant la nature de leurs petits calculs, ne sachant que donner de valeur à ce biotope unique qu'est la terre dont l'épuisement ne rentre pas dans les tableurs... pour le moment ! 

Dès lors,  penser et construire une société écologiquement soutenable passe par une démocratisation poussée, permettant aux gens de s'affranchir et s'émanciper de la mythologie marchande de quelques "happy few" oligarques, où la subsidiarité règne largement, s'étendant jusque là où on produit afin de délibérer en prenant en compte une plus value nouvelle, celle qui est consacrée à la nature. Une société qui mobilise plutôt qu'elle pacifie, et "passifie" ... 

Une société où le premier profit partagé est la préservation des conditions indispensables à la vie ensemble et dans des conditions acceptables. Cette émancipation doit être garantie.

Si Marianna Mazzucato pense à un Etat stratège, interventionniste... on pourra ajouter facilitateur, harmonisateur, à disposition , restant aussi à sa place lorsque la subsidiarité permet au local de fonctionner en intégrant la nature comme atout économique. Un Etat laissant et respectant l'initiative individuelle et collective, un Etat médiateur entre les différentes expressions productrice et démocratiques locales. 

Il n'est pas  inutile alors d'aller voire du côté de Friot, Lordon, Coriat, afin d'affiner avec eux, avec Giraud aussi, l'idée d'un Etat soutenable, communiste ou garant des communs, conférant à chacun le droit au chapitre, la sécurité également nécessaire à l'exercice d'une citoyenneté adossée à un salaire droit politique, adossée aussi à la richesse produite mise en commun soutenable par la nature, où l'Etat permet la singularité, l'initiative aussi pourvu qu'elle soit soutenable socialement et écologiquement. Un Etat n'écrasant pas l'expression des unités démocratiques de base : les communes, les territoires, les assemblées de producteurs salariés dont le salaire est découplé du poste de travail, un travail payé à sa juste valeur et ne dévastant pas l'atout économique qu'est la nature. 

Quelques repères 

Existe-t-il une manière plus respectueuse du climat d'évaluer l'état de nos économies? - Cambridge Ac Econ

Discussion des conclusions de la revue Dasgupta  - Cambridge Ac Econ

Call to transform economics to halt natural world destruction | Faculty of Economics - Cambridge Ac Econ

Biodiversity and Ecosystems - Cambridge Ac Econ

Professor Sir Partha Dasgupta | Faculty of Economics  - Cambridge Ac Econ

Q and A conducted by Brian Doctrow for PNAS (2016)  - Cambridge Ac Econ

Interview conducted by Ingmar Schumacher for MeetTopEnvEcon (2016)  - Cambridge Ac Econ

Interview conducted Alina Fichter for SZ Munich (2016)  - Cambridge Ac Econ

Interview Conducted by Simon Bowmaker of NYU (July 2010).This interview, conducted by Simon Bowmaker of the Stern  - Cambridge Ac Econ

Personal Interview Conducted by Professor Alan Macfarlane FBA (April 2010)  - Cambridge Ac Econ

Modern Economics and its Critics (Published in U. Maki, ed. (2002), Fact and Fiction in Economics: Models, Realism and Social Construction (Cambridge, UK: Cambridge University Press)).

Economic Pathways to Ecological Sustainability: Challenges for the New Millennium (Published in Bioscience, 2000, 50(4), 339-345.)

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