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Billet de blog 21 août 2023

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#MusicToo : ceci n'est pas une publication judiciaire. (C'est une invitation)

Le cofondateur de l'initiative @musictoofrance raconte comment les hommes mis en cause ces dernières années répondent par le harcèlement judiciaire. Et comment il décide d'organiser une riposte militante et musicale afin de visibiliser ce sujet et financer les frais de justice. Rendez-vous est pris pour le 30 août au Hasard Ludique (Paris).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je m’appelle Jean-Michel Aubry Journet, je travaille dans l’industrie musicale depuis 12 ans et depuis plus d'un an je suis poursuivi en diffamation par un de mes confrères managers d’artistes. A l'origine de cette poursuite, une publication sur le compte instagram @musictoofrance – un collectif que j’ai cofondé en juillet 2020 avec l’autrice et militante Rose Lamy (connue notamment pour son compte @preparez_vous_pour_la_bagarre ).

Nous avons créé @musictoofrance pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles (VSS) dans l’industrie musicale. Une campagne de récolte de témoignages et de communication - suivie de nombreuses enquêtes et articles (cf. revue de presse) - a donc vu le jour de juillet 2020 à octobre 2021, grâce à notre engagement bénévole en période de covid19, d'annulation des festivals et de redéfinition des rapports professionnels. La rédaction de Médiapart, entre autres, nous a épaulé et a produit un corpus d'enquêtes sous le dossier #MusicToo : L'industrie musicale auscultée dont le tout premier article en rétrospective porte sur l'accusation de Patrick Bruel par 4 femmes en 2019. Une édition de A l'Air Libre était consacrée au sujet en février 2021, à la veille des Victoires de la Musique.

En juin 2021, @musictoofrance reprend sur Instagram plusieurs extraits du premier volet d’une enquête de la journaliste Armelle Parion, parue le même jour dans Mediacités Toulouse. Cette enquête met en cause un homme et ses agissements supposés auprès de plusieurs femmes du milieu musical. La publication de ces extraits me sera reprochée un an plus tard, en juin 2022 par une lettre de la juge d’instruction suite à une plainte contre X déposée au tribunal d'Albi. 

Au pénal, la responsabilité est individuelle, même pour une action collective. Je suis alors mis personnellement en examen en juillet 2022, étant considéré comme « directeur de la publication » supposé du « site instagram ». En février 2023, je n’ai donc pas d’autre choix que de faire le voyage vers Albi pour défendre la méthode de @musictoofrance (cf. notre manifeste et nos communiqués) et la nécessité d’initiatives comme la nôtre dans la vague de libération de la parole enclenchée depuis octobre 2017 avec #MeToo.

Prêt à rencontrer pour la première fois le plaignant, j’apprends au début de l’audience par la voix de son avocat qu'il est absent et qu'il « est passé à autre chose et ne souhaite plus s’exprimer sur le sujet » pour plus tard me reprocher notamment « une animosité personnelle » et même d’être « un militant wokiste qui détruit des vies ». Rien que ça. Il demande une indemnisation de 5 000€ et une publication judiciaire sur le compte @musictoofrance.

Son client a donc choisi de ne pas comparaitre à l’audience pour défendre son honneur et sa considération (c’est la formule consacrée lors des procès en diffamation), laissant seul face à nous cet avocat qui nous demandait si on ne pouvait pas simplement dire que son client était « un gros nul » « au comportement adolescent » qui « cache sa calvitie sous une casquette et son embonpoint sous des t-shirts de rock ». Cette défense nous laissa bouché bée, tant moi qui n'ai jamais rencontré cette personne, que Julia, l’autre prévenue.

Car à cette audience du 23 février, j’ai rencontré Julia H., une jeune graphiste talentueuse qui a croisé la route du plaignant et avait témoigné de son vécu et de sa compassion envers les femmes de l'article, en commentaire, sous la publication @musictoofrance. Elle a également été mise en examen pour complicité de diffamation. Fort heureusement, Julia et moi sommes relaxés par le jugement prononcé le 20 avril.

Le tribunal a ainsi tranché que :

« Ce collectif s’inscrit dans le mouvement contemporain de libération de la parole de victimes de violences.

Le sujet traité présente donc un intérêt général majeur. »

Mais aussi que « Le soutien aux victimes relève de l’intention de poursuivre un objectif légitime, de sorte que ce critère [la bonne foi] est satisfait ». Il en sera considéré de même pour les autres critères :  le sérieux de l’enquête, l’absence d’animosité et la prudence et la mesure dans l’expression.

Le plaignant sera débouté de ses demandes de dommages-intérêts et de sa demande au titre de l’aide juridictionnelle provisoire.

Malgré la demande que nous avions faite, Julia et moi n’avons pas obtenu du tribunal le remboursement de nos frais de justice, ou mieux, que le caractère abusif des poursuites soit retenu, ouvrant lieu à une indemnisation salutaire. Nous cumulons à date 7 274€ de dépenses pour ce dossier. Ces dépenses n’incluent pas les impacts collatéraux personnels et professionnels profonds d’une telle procédure : nos frais médicaux, nos baisses de revenus professionnels, notre perte de confiance en nos compétences, en nos voix, en notre légitimité. Le plus difficile dans le processus judiciaire me semble être l’attente, le doute, l’incertitude qui vient s’immiscer dans tous les aspects de nos vies. C'est ce que j'explique également, en vidéo sur mon compte instagram personnel.

Comme si cette épreuve ne suffisait pas, le plaignant a décidé quelques jours après le rendu de jugement de faire appel de la décision, sur le plan civil nous menant à nouveau au tribunal le 11 septembre prochain, avec l'impossibilité de tourner la page et l’obligation de dépenser quelques milliers d’euros supplémentaires pour nous défendre et lui faire face avec nos avocat.es - au tribunal d’appel de Toulouse (à 14h, si vous voulez venir assister à l'audience).

Il attaque par ailleurs en diffamation une jeune femme à Marseille (audience le 29 septembre prochain) et 6 autres à Toulouse (dont la date d'audience n'est pas encore connue).

Notre relaxe au pénal est définitive mais cette nouvelle audience, au civil, nous obligera à dérouler à nouveau nos argumentaires, nos identités, nos vécus, pour débattre du souhait du plaignant d'être indemnisé.

Ce billet n’est pas une publication judiciaire mais il me tient à cœur car lors de la première audience en février 2023, l’avocat du plaignant réclamait que le tribunal ordonne qu’une publication judiciaire soit faite sur notre compte à plus de 10 000 abonnés. Alors aujourd'hui, cette publication me semble nécessaire pour dire ce que nous avons réussi avec @musictoofrance : parler des comportements violents, dénoncer des personnes qui doivent répondre de leurs actes ou de leurs paroles, protéger l'anonymat des victimes, ne dénoncer qu'à la suite d'enquêtes de presse. Nous ne parlons pas assez publiquement de ces procès, de ces intimidations, de ces harcèlements sous couvert d'un certain usage du droit et de la force judiciaire. Une fois les plaintes en diffamation annoncées (Brion, Joxe, Hulot, Darmanin, PPDA...) que deviennent les personnes (le plus souvent des femmes) attaquées? Comment sont-elles soutenues, juridiquement, financièrement, psychologiquement ?

Car pendant tout le temps de la procédure, les plaignants, eux, peuvent se lover dans un confortable silence, ou bien souvent se prévaloir auprès de leur entourage personnel ou professionnel des dépôts de plaintes et des mises en examens (systématiques dans les cas de diffamation), démontrant que le système judiciaire irait bel et bien dans leur sens, à eux, les "vraies" victimes.

A la #DoublePeine pour les victimes de VSS devant faire face à une police encore mal formée au moment de déposer leurs plaintes s'ajoute donc la #TriplePeine de se voir poursuivies en diffamation.

Nous sommes sincèrement abattu.es par la poursuite des hostilités judiciaires avec l'appel déposé par le plaignant, par l’absurdité qu’il soit même possible de faire appel d’une décision alors qu'en première instance le plaignant ne se présente pas au tribunal, impose que 3 juges, une greffière, une procureure de la République, 4 avocats, deux prévenu.es se déplacent et travaillent pendant 5 heures un après-midi de février, entre un meurtre et un conflit de voisinage.

Abattu.es ans pour autant nous avouer vaincu.es. C’est tout le paradoxe.
Alors comme on se sent toujours plus fort.es à plusieurs, Julia et moi avons mis en place une cagnotte, et désormais un crowfunding incluant la prévente pour une soirée musicale et militante à Paris le 30 août prochain. Sur scène se succèderont une vingtaine d’artistes mais aussi des journalistes, des militant.es et des autrices qui se sont penché.es ces dernières années sur le sujet du sexisme, du machisme, des violences et discriminations dans la musique. Nous l'avons appelée #MusicTogether pour transformer le stigmate et l'isolement de hashtags comme #MeToo et #MusicToo en un événement en chair et en os, en émotion et en partage. 

Ceci est une invitation, à recréer ensemble des espaces de célébration, à refuser les injonctions au silence ou les intimidations nous incitant à l'inaction. 

Illustration 1
Visuel de la soirée #MusicTogether © Julia Honnet

Car nous sommes et devons être de plus en plus nombreuses et nombreux à nous mobiliser face à la multiplication de ces procès baillons dans l'industrie musicale, et ailleurs. Je pense notamment à celui de l'artiste Spleen, perdu en appel face à Julia D en avril dernier et dont l'audience (à laquelle j'ai pu assister) était parfaitement lunaire, telle que racontée par Pauline Grand d'Esnon pour l'Obs

Je pense aussi à Chloé Briot - chanteuse lyrique dont le témoignage glaçant est à l'origine de la prise de conscience d'une partie de l'industrie (notamment la Ministre de la Culture de 2020, Roselyne Bachelot) - dont la plainte a été classée sans suite et qui vient de comparaître au tribunal de Besançon pour dénonciation calomnieuse, poursuivie par le chanteur qu'elle avait pourtant pris le soin de ne jamais nommer dans ses interventions médiatiques.

Je pense aussi à Isabelle Perraud, activiste du collectif @paye_tonpinard récemment condamnée en première instance à indemniser l'homme dénoncé sur leur compte à hauteur de 29 000€, et ce malgré les témoignages de plusieurs femmes.

Je connais également des femmes que ces attaques judiciaires intimident profondément et qui craignent de s'exprimer publiquement sur ce qu'elles vivent. Celles qui attendent une décision, celles qui attendent une date d'audience, celles qui redoutent la violence virile du système judiciaire et la reviviscence traumatique imposée par leur témoignage, celles qui tentent de vivre leur vie normalement mais tremblent à la réception de chaque courrier recommandé.

Alors si vous voulez aider, militer, changer le système, participer, assister à la soirée du 30 août, faire un don, envoyer un message de sympathie, partager l'initiative à vos connaissances, vous pourrez nous retrouver sur la page de notre levée de fonds/billetterie KissKissBankBank et sur l'événement Facebook de la soirée. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.