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Billet de blog 1 octobre 2023

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Est-ce bien la rentrée des classes ?

Que deviennent les sciences économiques et sociales dans l’enseignement en France?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Que deviennent les sciences économiques et sociales dans l’enseignement en France? Comme il y avait longtemps que je n’avais pas mis le nez dans les programmes de lycée, pour m’en rendre compte, j’ai lu un manuel au hasard, celui de chez Bordas (2019). Un beau livre : des photos, de la couleur, du cours, des exercices, de la méthodologie… Et pour le contenu : en tous points, « conforme au programme 2019 » : de la science économique, de la sociologie et science politique, et même des « regards croisés ». À quoi ce programme officiel de l’Éducation nationale est-il lui même conforme ? Ce qui suit n’est en rien hostile à l’éditeur et aux nombreux auteurs que d’ailleurs je ne connais pas. Mais ce programme décliné en manuel « conforme » n’est-il pas conformiste ? Par ailleurs, qu’en est-il à l’Université, puisque le baccalauréat, dont font partie pour certains élèves les SES, est toujours le sésame pour y entrer ? Deux lectures ici qui se suivent, partielles et donc partiales…

Les SES au lycée

Tout commence par le marché, et même par le marché concurrentiel car celui-ci « s’auto-régule et maximise le gain à l’échange » (Bordas, 2019, p. 22-23). On attend un exemple de ce type de marché, comme le manuel n’en donne pas, on se risque à aller voir le marché financier : s’autorégule-t-il et maximise-t-il le bien-être collectif ?

Les SES réduites à de la microéconomie ?

Ce qu’il y a de bien avec la microéconomie à la Mankiew et Taylor, c’est qu’on peut dessiner de jolis graphiques et faire se croiser dans le bon sens des courbes de demande (qui vont vers le bas) et d’offre (vers le haut) pour trouver l’équilibre. C’est la loi de l’offre et la demande.

L’élève saura-t-il ou se doutera-t-il que cette « loi » n’existe pas ? Dans la mesure où les différents marchés réagissent les uns sur les autres, rien n’assure que la baisse du revenu réel (le pouvoir d’achat) consécutive à la hausse du prix d’un bien n’aura pas pour effet d’en accroître la demande (au lieu de la diminuer) au détriment des autres biens qui ne se substitueront pas ainsi au premier. Si les prix des biens de première nécessité augmentent, les catégories pauvres de la population restreindront leur demande de biens superflus pour consacrer leur maigre revenu aux denrées essentielles, compensant même leur impossibilité d’accéder aux biens superflus par une augmentation absolue de leur consommation de biens de première nécessité. Lorsque l’effet de substitution l’emporte sur l’effet de revenu, l’équilibre général est stable ; dans le cas contraire, la flexibilité des prix ne fait pas converger le système vers l’équilibre[1].

Est-ce trop difficile pour un élève de première ? Cela ne l’est pas davantage que la microéconomie néoclassique sur le surplus du consommateur et le surplus du producteur ou bien sur la courbe de coût marginal qui coupe celle du coût moyen en son milieu (p. 27).

Soyons justes avec ce manuel : le marché a besoin d’institutions pour fonctionner, dit-il (p. 16). Mais comment le marché s’inscrit-il dans le temps et dans l’espace ? Est-il intemporel et universel ? Dans quelle économie prend-il sa place ? À moins que marché et économie soient synonymes ? L’élève ne posera pas ces questions car on l’aura perdu dès le premier chapitre entre courbes, équilibre, optimalité, élasticité, lois… Et le mot capitalisme ne sera pas prononcé. En revanche, on sera subjugué par le graphique « comment une taxe affecte le bien-être » (p. 25), qui prépare la délégitimation de l’action de l’État. Quant au profit, défini trivialement comme la différence entre recette et coût, on ne saura pas d’où il vient. D’ailleurs, un schéma ultérieur (doc. 3 p. 82) démentira la définition simpliste précédente puisque l’épargne de l’entreprise ne sera pas comptée dans le profit. Il fallait oser.

On pourra passer au chapitre 2 avec des « accroches » aussi parlantes que : « Pourquoi le PSG gagne-t-il facilement ses matchs en Ligue 1 mais plus difficilement en Ligue des champions ? », mais sans réponse. Et des questions savantes : « Le saviez-vous ? Les économistes nomment "perte sèche" la baisse du surplus total lorsqu’on passe d’une situation de concurrence à une situation de monopole » (p. 39). J’aurais donné un exemple : perte sèche de temps quand je lis un livre biaisé et donc fallacieux. On ne perd pas son temps en apprenant une telle science...

Fallacieux ou abscons ? J’ai relu deux fois le document 4 de la p. 59, consacré à « Les effets de la mise en place d’une taxe sur les externalités négatives ». Sans doute incompréhensible pour un élève moyen et surtout aiguillant en erreur par l’affirmation : « Les économistes ont créé des outils pour aider les décideurs politiques à calculer ce coût [le coût marginal externe] ». C’est faux, ils n’ont créé que des subterfuges parce que, par définition, il n’existe pas de prix de marché des externalités.

Les définitions des biens publics et des biens communs sont très orthodoxes. Pour les premiers on donne la définition habituelle que l’on doit à Samuelson, mais sans dire qu’elle est très contestable parce qu’elle postule une qualité intrinsèque naturelle de tels biens alors que leur qualité est socialement construite ; quant aux biens communs, comme il n’y a pas de propriété, alors, en filigrane, on nous promet leur « extinction » (p. 68), c’est leur fameuse tragédie à la Hardin…

Marché des fonds prêtables : est-ce compatible avec une économie monétaire ?

Le chapitre sur le financement de l’économie vaut le détour car il existe « le marché des fonds prêtables » (p. 78), et on a envie de poser la question du cancre : où commencent le beau circuit de l’économie dessiné p. 77 et celui de la p. 89 ? Parce que, dans ces schémas, le sens des flèches entre dépôts (sous-entendu des épargnants) –> intermédiaires financiers –> prêts (sous-entendu aux entreprises) dément l’affirmation pourtant affichée selon laquelle « les crédits font les dépôts » (p. 101).

L’élève studieux et qui croit tout ce qu’il lit ira vers le baccalauréat en étant persuadé que quelqu’un a un jour démontré l’existence de l’effet d’éviction de l’investissement privé par l’investissement public (p. 86-87). Jusqu’où le bourrage de crâne ira-t-il ? Jusqu’à proposer l’exercice 2 p. 90 voulant démontrer que la politique de relance se retourne contre elle et est donc toujours inefficace dès lors que les « dépenses publiques se heurtent à des effets contradictoires » (p. 86-87). Il y a du Hayek, du Friedman et du Laffer là-dessous. On pourrait proposer un jeu de piste : ces trois noms ne figurant pas dans l’index, cherchez où se cache leur influence dans le manuel. Mais non, suis-je bête, on ne peut rien trouver puisque rien ne suggère que l’action de relance peut être autre que celle indiquée. On pourra par contre tester le jeu proposé dans le document 4 de la p. 63 pour « comprendre le financement d’un bien public ». J’ai beau battre les cartes dans tous les sens, le raisonnement rationnel auquel sont invités les joueurs conduit immanquablement à une solution individuelle et personne ne choisira un financement collectif. Ce n’est même plus le dilemme du prisonnier. Pourtant, le manuel conclut comme « essentiel » que « les biens collectifs peuvent être difficilement financés par l’initiative privée » (p. 68).

Après le chapitre sur le financement, vient celui sur la monnaie. Donc cela signifie-t-il qu’on peut parler de financement de l’économie avant d’étudier la monnaie ? Qu’on peut envisager ce financement sans voir que nous sommes dans une économie monétaire de production ? L’absence du mot, et donc de la réalité historique, du capitalisme, va se faire sentir…

Que pensera l’élève du taux d’intérêt manié par la banque centrale après lui avoir expliqué qu’il était fonction de l’état du « marché des fonds prêtables » (p. 88) ?

Le dossier sur les monnaies « alternatives » explique qu’elles sont créées par des agents privés (p. 102-103). Répondent à cette appellation selon le manuel les monnaies locales et les crypto-monnaies. Mais une monnaie locale est-elle alternative ou complémentaire puisque, pour en « créer » une, il faut l’échanger contre des euros ? D’autre part, le bitcoin est-il vraiment une monnaie ?

Épistémologie au point zéro

Au bout de cinq chapitres portant sur l’économie, l’envie est de revenir au « Préambule du cycle terminal » du programme officiel qui figure au début du manuel (p. 4-5). On lit : « Les professeurs insistent sur l’exigence de neutralité axiologique. Les sciences sociales s’appuient sur des faits établis, des argumentations rigoureuses, des théories validées et non pas sur des valeurs. L’objet de l’enseignement des sciences économiques et sociales est le fruit des travaux scientifiques, transposés à l’apprentissage scolaire. Il doit aider les élèves à distinguer les démarches et savoirs scientifiques de ce qui relève de la croyance ou du dogme, et à participer ainsi au débat public de façon éclairée ; il contribue à leur formation civique. » On doit supposer une bonne dose d’humour ou de cynisme aux rédacteurs de ce préambule. À moins que ce ne soit que de l’ignorance crasse. La neutralité axiologique du marché, une trouvaille !

La sociologie sans classes

La deuxième moitié du manuel porte sur la sociologie et la science politique. Un gros morceau est consacré à la socialisation, en distinguant socialisation primaire, essentiellement dans la famille pendant l’enfance, et socialisation secondaire, « poursuivie à l’âge adulte » (p. 122). Le manuel invite l’élève à « proposer une définition de la notion de reproduction sociale » à partir de deux séries de photos, celles de Raymond Aron et Dominique Schnapper d’un côté, et celles de Jacques Dutronc, Françoise Hardy et Thomas Dutronc de l’autre (p. 124). Le manuel ne définit pas la reproduction sociale et demande aux élèves de le faire sur la base d’une reproduction au sein d’un microcosme universitaire ou artistique. On voit alors la conséquence de l’absence des classes sociales dans tout le manuel, de leur réalité et du mot même, en conformité avec le programme officiel. Le capitalisme n’existait pas, les classes sociales non plus. Mais les groupes sociaux existent. La définition d’un groupe social, pour ne pas avoir à prononcer le mot « classe », est rigolote : « ensemble d’individus unis de façon durable, avec des valeurs communes, des liens plus ou moins intenses, une situation sociale identique et/ou des activités communes et une conscience plus ou moins forte d’appartenir à ce groupe » (p. 139). On frémit, la conscience de classe affleure ! Mais non, on aurait été obligé de prononcer le nom de Marx une fois en 290 pages… Pourtant, l’origine sociale des admis à Polytechnique pourrait faire réfléchir (p. 124), ainsi que celle des admis au baccalauréat ou des étudiants (p. 131), même s’il n’est question que de catégories socio-professionnelles. Si la reproduction des inégalités sociales, notamment à l’école, est bien documentée, on cherche en vain la moindre référence aux sociologues de l’éducation, même en dissonance les uns avec les autres : Bourdieu, Passeron, Boudon, Dubet…

Le paradoxe est alors de faire réfléchir les élèves à « Comment devient-on "transclasse" ? » (p. 127). Les classes n’existent pas mais on peut les quitter.

Dès lors, ce que le manuel appelle les « trajectoires individuelles » expliquées par la pluralité des socialisations secondaires est un fourre-tout où l’on ne discerne plus rien. Les attentats du 13 novembre 2015 ont des conséquences mises au compte de la socialisation. La socialisation est également convoquée pour expliquer les changements de métier et de domaine professionnel, sans tenir compte de la structure des emplois offerts par l’économie (p. 127-128).

Comme l’un des objectifs du programme est la maîtrise des outils statistiques, le graphique 1 de la p. 148 sur l’« Évolution des formes de contrat de travail » aurait pu être l’occasion d’aborder la différence entre flux et stock. Or, il est très vraisemblable que ce graphique soit faux : il dit s’agir de l’évolution des formes de contrats de travail entre 1982 et 2017 et de montrer que les CDI représentent en 2017 environ 40 %, des contrats, alors que cette part est de 88 %[2]. En fait, le graphique veut sans doute représenter les parts respectives des contrats concernant les nouvelles embauches.

La science politique plus ouverte

Suit dans ce manuel un chapitre constitué par trois dossiers sur la déviance pour illustrer le rôle joué par les processus sociaux. Ce chapitre est intéressant et on sent bien que les sociologues qui ont rédigé ce chapitre sont beaucoup moins marqués par l’orthodoxie existant dans leur discipline que le sont les économistes qui ont eu la charge de rédiger les premiers chapitres du manuel. Un indice de cette ouverture est donné par les références convoquées : notamment Howard Becker (décédé récemment), Erwing Goffman, qui ont beaucoup travaillé sur les processus d’étiquetage et de stigmatisation.

Deux chapitres sont ensuite consacrés au vote politique. L’un décrypte le rôle joué par les sondages d’opinion dans la formation et la connaissance de l’opinion publique. La méthodologie des sondages est simplement mais clairement expliquée. L’élève devrait ainsi comprendre que l’opinion publique est construite. Le second chapitre essaie d’expliquer le vote, « affaire individuelle ou collective ? » (p. 196 et suiv.). Et là, une petite surprise, une interrogation sur le « vote de classe » (p. 204), mais c’est sans doute une histoire ancienne… Les auteurs ne manqueront pas de lire le dernier ouvrage de Piketty et Cagé… À force de répéter que les notions de gauche et de droite sont dépassées, cela s’imprime dans la dénommée opinion publique. Mais le dernier dossier du chapitre fait heureusement la part des choses puisque « les variables sociales restent pertinentes pour expliquer le vote » (p. 208-209).

La protection sociale entre aléa moral et asymétrie d’information ?

Deux chapitres sous la dénomination « Regards croisés » terminent le manuel. Le premier porte sur la l’assurance et la protection sociale. Il est introduit par la notion de risques sociaux, comme celui du chômage, dont la perception varie dans le temps et dont l’importance dépend de la catégorie sociale. Un petit texte explique ce qu’est « l’aversion au risque » (p. 221). Mais on se demande si la protection en matière de santé est bien le meilleur exemple où peut exister un aléa moral (p. 227). C’est d’ailleurs cocasse que l’aléa moral soit défini comme la « situation dans laquelle, lorsque deux agents sont liés par un contrat, l’un des deux peut léser l’autre en raison de l’asymétrie d’information qui existe entre eux », et que l’asymétrie d’information soit une « situation dans laquelle un des deux acteurs d’un marché dispose d’une meilleure information que l’autre. Cette asymétrie d’information peut entraîner l’aléa moral et la sélection adverse » (p. 282). Or la protection sociale – a fortiori la Sécurité sociale –  ne met pas les assurés en concurrence sur un marché. Et si on consulte la définition de la sélection adverse, on raisonne à l’intérieur de la même boucle : « situation dans laquelle les agents victimes d’asymétrie d’information peuvent être conduits à prendre des décisions contraires à ce qu’ils recherchaient initialement » (p. 285).

Y a-t-il du travail dans une entreprise ?

Le dernier chapitre du manuel en est son point d’orgue : « Comment les entreprises sont-elles organisées et gouvernées ? » (p. 236). On revient aux fondamentaux de l’approche dominante. Statut de l’entreprise et de l’entrepreneur, entrepreneur innovateur ou pas, autorité, hiérarchie, gouvernance. Certes, figure un dossier sur « L’entreprise entre coopération et conflits ». Un premier document présente les principaux éléments de la réforme intervenue en 2017 sur les instances représentatives du personnel (p. 248). Et l’élève doit répondre à la question : « Déduire, à votre avis, quel est l’objectif de cette réforme ? ». Sans aucune indication du contexte de cette réforme, des rapports de force à ce moment-là dans la société, cette question est malhonnête, surtout après avoir suggéré que le remplacement des anciennes instances représentatives par de nouvelles qui remplissent « des fonctions qui n’ont pas disparu ». Aussi, l’examen, en fin de dossier, des conflits du travail doit se dérouler sans avoir dit un mot du travail, à part dans un court document sur les plateformes (p. 245).

Bouquet final du point d’orgue : « la firme n’est pas exempte de conflits entre toutes les parties prenantes. Les plus connus, car les plus spectaculaires, sont les conflits du travail. Mais cela peut se traduire par d’autres types de conflits ou de divergences d’intérêt entre parties prenantes, par exemple entre actionnaires et salariés » (p. 251, je souligne). Que doit comprendre l’élève, que la divergence d’intérêt entre actionnaires et salariés ne relève pas des conflits du travail et de son exploitation ?

Au total, ce manuel destiné aux élèves de première est dans sa partie économique une recopie des hypothèses, raisonnements et préconisations de l’école néoclassique dans sa vision la plus archaïque, même pas relativisée par le relâchement de certaines hypothèses que les néoclassiques les plus ouverts acceptent. Lorsque quelques lignes (p. 76) sur la macroéconomie sont vues au travers du prisme microéconomique (agents à capacité de financement et agents à besoin de financement), on atteint le degré zéro de l’épistémologie et on passe sous la ligne de flottaison en matière théorique et heuristique.

La partie sociologie de ce manuel est moins biaisée et obscurantiste, et donc plus ouverte à la pluralité des approches en sciences sociales.

Redisons que la critique essentielle porte sur la conception du programme de sciences économiques et sociales en vigueur aujourd’hui qui exprime la victoire du Medef et de son ancêtre le CNPF qui, dès la création de cet enseignement de SES à la fin des années 1960, sont partie en guerre contre lui et ont en grande partie gagné.

Les SES à l’université

Les étudiants sont-ils mieux lotis à l’Université que les élèves au lycée ? Si l’on suit le travail d’épluchage méthodique des programmes d’économie dans les universités françaises réalisé par Sophie Jallais, Florence Jany-Catrice et Athur Jatteau, « De l’absence de pluralisme dans les licences d’économie-gestion »[3], le bilan est mauvais : non seulement le pluralisme est rarement respecté, mais les questions écologiques et sociales sont quasiment absentes des cursus de licence d’économie-gestion. Les auteurs concluent en disant que « les économistes ont plusieurs trains de retard ». Quant à la frontière entre l’économie telle qu’elle est enseignée et les autres sciences sociales, elle semble toujours aussi hermétique.

Heureusement, en cette rentrée, l’Association française d’économie politique (AFEP) publie un Grand manuel d’économie politique (Dunod, 2023), dirigé par Yann Guy, Anaïs Henneguelle et Emmanuelle Puissant, rassemblant plus d’une soixantaine d’auteurs et une quarantaine de relecteurs. Présenté et accueilli avec enthousiasme lors du congrès de l’AFEP en juillet 2023, il entend apporter une nouvelle manière d’aborder l’économie « en la considérant comme une science ancrée dans un contexte social, historique et politique » (4e de couverture).

Objectif : le pluralisme

D’emblée, les auteurs fixent leur objectif et le cahier des charges de ce manuel. Il s’agit d’opposer à l’« économie standard, ou mainstream, ou orthodoxe, dont les fondements théoriques se trouvent dans l’école néoclassique », l’« économie politique, ou institutionnaliste, ou hétérodoxe » (p. 1), « ou encore [la] socioéconomie » (p. 2). Fort justement, ils expriment leur refus « de l’approche standard qui passe par une abstraction, dans laquelle l’individu est extrait de la société ou encore des rapports sociaux de production, pour le représenter comme un agent optimisateur » (p. 3).

Une première question vient à l’esprit à propos de cette introduction du manuel : économie politique, institutionnalisme, hétérodoxie sont-ils synonymes ? Ces trois termes ne se situent pas sur le même plan. L’économie politique est un moment de l’histoire de la pensée économique, datée (environ milieu du XVIIIe siècle-milieu du XIXe siècle) et subdivisée en plusieurs courants (l’Écossais Smith et l’Anglais Ricardo ne disent pas la même chose, et surtout ils s’opposent en plusieurs points à Malthus et Say). L’institutionnalisme est une école à part entière avant d’y voir un point commun avec une branche de l’économie politique, tout en s’en écartant nettement sur les questions du travail et de la valeur mises au premier plan par l’économie politique de Smith et Ricardo. Enfin, le terme d’hétérodoxie est sans contenu, il ne peut être tenu pour équivalent au contenu des courants précédents. Progressivement, on voit apparaître la raison de cet assemblage sémantique présenté comme interchangeable : en réalité, ce Grand manuel d’économie politique se situe au sein du courant institutionnaliste né pendant le XXe siècle, sous l’impulsion notamment de Veblen, Commons et Mitchell, et remis à l’honneur aujourd’hui par ce qu’on appelle parfois le néoinstitutionnalisme et dont on retrouve l’influence, notamment en France, dans les écoles des conventions et de la Régulation, pour situer le rôle joué par les institutions dans l’évolution des sociétés.

Comme ce choix théorique n’est pas explicitement exprimé, sinon par l’affirmation que le rôle des institutions est un point commun de toutes les approches hétérodoxes, le caractère pluraliste de ce manuel revendiqué par les auteurs n’est pas aussi évident qu’ils l’affirment puisque, si toutes les hétérodoxies attribuent un rôle important aux institutions, elles ne se rangent pas toutes derrière la bannière du courant dit institutionnaliste. De nombreux exemples apparaîtront au fil de l’ouvrage. Donnons-en un présent dans l’introduction : à lire celle-ci, on ne sait pas d’où vient le concept de rapports sociaux de production, sur lequel prend appui le manuel, comme indiqué ci-dessus ; sa paternité semblerait être rapprochée de (sinon attribuée à) Polanyi (p. 3), alors que ce concept vient de la critique de l’économie politique par Marx[4]. On éprouve alors une gêne occasionnée par la définition floue et trop générale de l’économie politique qui est donnée dans le manuel[5].

À quoi sert l’histoire de la pensée ?

Le corps du manuel est divisé en douze parties et sa première qualité est de dresser un panorama, sinon exhaustif car c’est impossible, du moins très large des questions qui se posent pour comprendre la société (et pas seulement les rouages économiques), son évolution et les problèmes que celle-ci engendre.

La première partie porte sur l’histoire de la pensée économique et va des mercantilistes et physiocrates aux classiques et à Marx, aux marginalistes et historicistes (curieusement rapprochés dans un chapitre, alors qu’ils s’opposent en presque tous les points), au keynésianisme et à l’après-Keynes. Cette manière de débuter par l’histoire de la pensée économique est conforme à pratiquement tous les manuels utilisés à l’Université et présente la même caractéristique: tous les concepts forgés par ces courants historiques sont pratiquement oubliés dans la suite des ouvrages. Dans celui-ci, les fameux rapports sociaux de production et le capitalisme sont quasiment absents et il faut attendre les pages 600 et suivantes pour en retrouver plus explicitement les termes.

L’économie institutionnelle, colonne vertébrale du manuel

Après cette première partie débute celle qui va structurer et orienter l’ensemble du manuel : l’économie institutionnaliste. Saluons cette présentation dont les étudiants pourront tirer profit, notamment sur des approches peu souvent abordées, la mésoéconomie qui s’intéresse aux systèmes productifs inscrits dans des territoires et la microéconomie institutionnaliste qui regarde l’organisation des entreprises. Mais attention aux biais introduits : alors que le concept de classes sociales est absent (sauf à propos des physiocrates, (p. 19, pour disparaître ensuite) et ne figure même pas dans l’index[6], le chapitre sur l’institutionnalisme nous dit que le changement des règles correspond à un changement des rapports de force entre groupes sociaux » (p. 76), et que « les conflits sont un des moteurs de l’histoire » (p. 77). Diable ! Seraient-ce les institutionnalistes qui auraient écrit le Manifeste de 1848 ? Présenter l’analyse de l’inflation et des conflits de répartition comme née de l’institutionnalisme et du post-keynésianisme est quand même un raccourci : ne vaudrait-il pas mieux dire que ces courants ont remis à l’honneur une vieille idée de l’économie politique classique anglaise et bien sûr de sa « critique » ?

La troisième partie, intitulée « Économie politique des entreprises et des organisations », présente d’abord l’approche microéconomique néoclassique du producteur (qui n’a rien à voir avec l’économie politique), puis les théories de la firme qui relâchent certaines hypothèses du modèle standard sur la concurrence ou sur la rationalité.

Suivent deux chapitres sur les services et l’économie sociale et solidaire (ESS). Dans chacun d’eux, on s’écarte progressivement de la problématique néoclassique. Le manuel soulève plusieurs questions importantes. Comment s’explique la tertiarisation des économies, déjà ancienne mais renouvelée à l’âge des plateformes ? Les services sont-ils productifs ? Depuis longtemps, la réponse est positive pour les services marchands, mais le manuel ne dit mot des services non marchands qui occupent environ un cinquième du PIB : sont-ils productifs[7] ? Il y aurait pourtant eu là une belle occasion de s’écarter de toutes les palettes de toutes les orthodoxies. Autre question intéressante : « L’ESS est-elle soluble dans le marché ? » parce qu’il existe une tension entre les valeurs fondatrices de l’ESS et la logique marchande de la rentabilité » (p. 179).

La macroéconomie sans la dynamique du capitalisme ?

La quatrième partie est consacrée à la macroéconomie. Elle débute par un chapitre sur la comptabilité nationale très bien fait. Toutes les discussions et controverses sur la courbe de Phillips sont ensuite présentées dans un chapitre dédié, avant, dans le suivant, d’examiner la relation à double sens entre croissance et répartition des revenus. À ce sujet, l’étudiant trouvera une présentation étonnante des approches kaleckienne et marxiste, la première selon laquelle « la baisse de la part salariale entraîne un ralentissement de la croissance et une hausse du chômage », alors que « les conséquences sont inverses pour les auteurs marxistes selon qui la croissance est tirée par les profits » (p. 227). Or, d’une part, les conséquences de la baisse des salaires sont vues exactement de la même manière par les deux approches (c’est d’ailleurs ce que dit le manuel deux pages précédentes, p. 225), et, d’autre part, ce point est à distinguer de celui qui examine le retour, après une crise, de la croissance, tirée par les salaires ou bien par les profits, ce en quoi le manuel a raison de distinguer les approches. Mais, plus fondamentalement, il y aurait eu intérêt à distinguer les dynamiques de court terme, conjoncturelles, de la dynamique générale de l’accumulation du capital à moyen et long terme. À cet égard, la mise en cohérence des transformations techniques et de celles des rapports de production, dans chacune des révolutions industrielles depuis deux siècles, analysée par un auteur comme Ernest Mandel allant plus loin que la mise en évidence des cycles de Kondratiev, et reprise par Michel Husson, n’est jamais évoquée. Cela eût été une manière de concrétiser « l’économie politique enracinée dans des rapports sociaux de production », telle que le dit le manuel.

Et cette absence de la dynamique du capitalisme dans ce manuel va se faire cruellement sentir dans le chapitre « Le capitalisme est-il stable ou instable ? ». Certes, il est rappelé en quelques mots que l’on doit des choses aux classiques et à Marx (p. 232), mais on ne saura pas en quoi les concepts d’accumulation, de suraccumulation, de surproduction peuvent servir à comprendre les « deux grandes crises » répertoriées : 1929 et 2007. Ces concepts sont brièvement évoqués dans la première partie sur l’histoire de la pensée économique mais disparaissent ensuite. Ce qui est dit de la crise de 1929 est tellement succinct que c’est négligeable et celle de 2007 n’est vue qu’à travers le prisme financier, sans aucune relation avec les difficultés du système productif à faire produire de la valeur. Bien sûr, la crise financière mérite d’être présentée, mais elle ne permet pas de répondre au cahier des charges fixé pour le manuel : le pluralisme des idées[8]. Bref, le capitalisme est instable, Keynes, Minsky et Harrod ont raison, mais son évolution cyclique ne renvoie-t-elle pas aux intuitions de l’économie politique et de sa critique ?

Rendre à César…

On arrive à la cinquième partie du manuel « Monnaie, banques, politique monétaire », suivie de la sixième sur « Financiarisation, Finance internationale ». Nous sommes sans doute au cœur du manuel et de son choix théorique et épistémologique. Donc avec ses qualités et ses manques ou ses biais, dont les germes sont justement dans cette « économie politique » proclamée mais vite oubliée. D’abord, les entreprises n’« achètent » pas le travail (p. 242) mais la force de travail. Ensuite, amalgamer les classiques Smith, Ricardo et Marx sur la monnaie (p. 245) est un raccourci qui frise le contresens. Marx n’a jamais cessé d’associer sa vision du système productif réel au fait que le capitalisme est une économie dans laquelle la transformation de la monnaie en argent-capital est le but même du système, donc aux antipodes de l’idée de monnaie neutre, sans quoi il n’aurait pu fustiger la loi des débouchés de Say[9]. Les choses ne sont que partiellement rétablies sur le rôle de la monnaie, car il est annoncé que les « institutionnalistes » (sans que l’on sache si le terme renvoie au courant éponyme ou bien au point commun qui unirait tous les hétérodoxes) s’opposent sur la définition de la valeur, mais on ne nous propose qu’une version de la valeur, celle fondée sur l’échangeabilité et la liquidité : on ne saura alors jamais pourquoi et comment par exemple une douzaine d’œufs vaut 4 euros et un smartphone 400 euros ? Cela tiendrait-il à une différence d’échangeabilité ou de liquidité ? En filigrane apparaît donc la thèse de Lordon et Orléan que le premier a synthétisé en invoquant Spinoza : « ce n’est pas tant la valeur, préexistante et objectivement établie, qui attire à elle le désir que le désir qui, investissant les objets, les constitue en valeur »[10]. Après Spinoza, Condillac reprendra cette idée qui servira plus tard de base à la théorie néoclassique : « Une chose n’a pas de valeur parce qu’elle coûte, comme on le suppose, elle coûte parce qu’elle a une valeur. »[11]. Alors, certes, le manuel explique que la valeur ne naît pas « d’une relation subjective à une valeur d’usage », mais qu’elle est « une réalité communautaire » (p. 249), mais pourquoi ne peut-on aller jusqu’à dire que la valeur des marchandises nécessite pour être réalisée d’obtenir une validation sociale par l’échange marchand ? C’eût été une façon de mettre une passerelle entre le « saut de la marchandise » de Marx et la réalisation des « anticipations des entrepreneurs » de Keynes. En réalité, la majorité des écoles hétérodoxes aujourd’hui (sauf les régulationnistes de la première heure) n’ont pas de théorie de la valeur et certains auteurs revendiquent même un rejet de toute théorie de la valeur ; ils ont simplement une théorie de l’institution monnaie qui permet à la valeur de se « réaliser » sur le marché.

La présentation de la théorie monétaire moderne est bienvenue mais elle aurait pu en dire les limites, notamment sa mise en œuvre, réservée aux États vraiment souverains, qui comporte le risque d’une centralisation du pouvoir entre les mains de ces États. Et les économistes adhérant à cette théorie ne sont pas les seuls à envisager que les dépenses de transition écologique soient financées directement par la banque centrale.

Les étudiants trouveront dans les chapitres sur la création monétaire et sur la politique monétaire une bonne synthèse de l’état des savoirs et des controverses au sujet des politiques conventionnelles et non conventionnelles. Idem sur les questions que posent l’apparition et le développement de monnaies ou pseudo-monnaies numériques. Peut-être est-il dommage que l’instabilité inhérente aux marchés financiers soit comparée à l’équilibre et la stabilité régnant sur les marchés de biens et de services (p. 312). Que l’on cite un seul marché où règne la concurrence pure et parfaite et sur lequel il n’y a pas la moindre influence régulatrice… Et puis, est-ce bien certain que « la financiarisation de l’économie a dénaturé la raison d’être de la sphère financière, à savoir financer l’économie réelle tout en satisfaisant les intérêts des détenteurs d’épargne » (p. 319) ? Dans cette vision, il n’y a pas de place pour l’idée de « capital fictif » et la « déconnexion » entre sphère réelle et sphère financière est surdéterminée et ne peut rien dire sur le fait que la finance capitaliste ne peut s’exonérer de la loi de la valeur : seul le travail crée de la valeur, et le profit monétaire – tiré de la réalisation sur le marché de la plus-value provenant du surtravail – est réparti parmi la classe capitaliste au prorata du capital engagé, la capitalisation boursière n’étant jamais que l’anticipation d’une plus-value future, un à-valoir sur la valeur future. Cette absence est d’autant plus regrettable que le chapitre sur l’architecture financière internationale et sa réforme indispensable est clair et synthétique.

De l’État à l’international

La septième partie sur « L’État et économie publique » est une bonne synthèse de l’approche keynésienne face au dogme néoclassique. Dommage que le chapitre sur les finances publiques commence par une phrase incompréhensible après une autre parfaitement exacte : « Les dépenses de production publique contribuent à la richesse nationale créée durant l’année. Les dépenses de transferts ne sont pas quant à elles un prélèvement sur la production nationale. » (p. 353, je souligne). C’est un prélèvement sur quoi alors ?[12] Manifestement, il y a confusion entre un raisonnement sur les transferts et un autre sur les dépenses publiques qui, prises globalement, ne sont pas comptabilisées de façon homogène à la mesure de la richesse par le PIB. L’évolution de la gestion de la propriété publique et des services publics à l’ère néolibérale est en revanche très bien documentée.

On aurait pu voir la huitième partie sur « L’économie internationale » suivre ou précéder celle sur la finance, elle vient après celle sur l’économie publique. Ce n’est pas gênant au final. Ce qui est plus étonnant, c’est que la théorie du développement présentée oublie les discussions concernant l’échange inégal ou l’accumulation à l’échelle mondiale avec la division centre/périphérie et le développement inégal : les travaux d’Emmanuel et d’Amin sont ignorés, le nom de Prebisch[13] n’est pas mentionné. Dommage aussi qu’il soit reproché à Ricardo d’avoir été « incapable d’expliquer les fondements de l’existence de spécialisation pour chaque pays » (p. 411). Il eût mieux valu expliquer que les théoriciens modernes du libre-échange ont oublié l’hypothèse de Ricardo, vraie à son époque, de la faible circulation des capitaux dans le monde.

La soutenabilité malmenée

La partie 9 « Environnement et développement durable » était attendue compte tenu de la gravité de la crise écologique. Le premier chapitre réédite l’erreur du début du manuel parce que l’économie politique en tant que courant historique ne dit rien et ne pouvait rien dire sur l’environnement, sauf, comme Say, qu’on n’avait pas à s’en occuper puisque la nature était soi-disant inépuisable. Si le manuel rend compte de la distinction soutenabilité forte/faible, de l’hypothèse néoclassique de substituabilité et de l’incommensurabilité des « valeurs », on ne saura pas d’où viennent ces observations critiques, d’autant que même la dénommée économie écologique est très floue sur ces questions[14]. Et si le nom de Sachs est bien mis à l’honneur comme précurseur du développent soutenable par l’écodéveloppement, sans doute étant allé plus loin que le rapport Brundtland ultérieur, on ne trouvera pas les noms susceptibles de relier la dégradation écologique et le capitalisme productiviste : notamment Bookchin, Marglin, Gorz, celui-ci premier auteur français dans les années 1970 à avoir articulé la crise écologique et la suraccumulation du capital, et Passet, pionnier de l’emboîtement des sphères de l’économie, de la société et de la biosphère en « coévolution », dans un ouvrage prémonitoire de 1979 L’économique et le vivant, ainsi que ceux qui ont mis en cause les rapports sociaux de production capitalistes, ces rapports si bien mentionnés au début du manuel.

La faille est particulièrement manifeste dans le chapitre concernant la « valeur environnementale ». En se référant à une « socio-économie écologique » (p. 459), il est affirmé que « l’économie politique, elle, inscrit l’environnement dans un large jeu d’institutions, en le ré-encastrant dans les relations humains-nature » (p. 471). Toujours la confusion récurrente sur la prétendue économie politique, et qui fait silence sur le fait que la notion de valeur économique intrinsèque de la nature, invoquée par tous les économistes néoclassiques de l’environnement, est un non-sens. On embrouille le lecteur, à l’instar de ce que racontent toutes les instances internationale, sur la « valeur de la nature », la « valeur de l’eau »[15], la « valeur économique totale », les « évaluations multicritères », etc., avec un « cadre conceptuel de la valeur relationnelle » (p. 474). Au final, on ignore 2500 ans de pensée philosophique et épistémologique d’irréductibilité entre la valeur (d’ordre économique) et la valeur d’usage aux contours multiples, posée par Aristote, point de départ de l’économie politique classique de Smith et Ricardo, reformulée par la critique de Marx et renouvelée aujourd’hui par quelques auteurs marxistes écologiques[16]. Les lecteurs du manuel n’en sauront rien, c’est-à-dire ni plus ni moins que les nombreux auteurs abondamment cités sur le développement durable mais qui n’ont eux-mêmes rien découvert ou théorisé et méconnaissent Charbonneau, Ellul, Anders, Weil, Illich, Jonas, etc.

Bien entendu, la pluralité des valeurs d’usage, des représentations et des « valeurs » est à prendre en considération, à condition que cela ne consiste pas à les mettre sur un pied d’égalité, et donc de postuler la commensurabilité (après avoir dit le contraire) d’éléments qui, les uns, appartiennent à la sphère étroite de l’économie, et les autres à une sphère qui englobe et dépasse celle-ci. Bref, richesse et valeur sont confondues, en total désaccord précisément avec l’économie politique, et ce qui est inestimable est ramené à une valeur monétaire. Le comble de cette confusion étant de vouloir donner un prix à la vie.

En n’excluant pas tout un courant de l’écologie critique, en particulier sur ce point nodal de la valeur, les chapitres fort bienvenus de la santé, de la responsabilité sociétale des entreprises, les communs[17] auraient pris un sens encore plus grand. Le chapitre sur les transitions et la décroissance sont également bienvenus, mais là encore, les références sont étonnantes. Le concept de métabolisme humains-nature vient du chimiste allemand Liebig au XIXe siècle, repris abondamment par Marx, et qui plus tard sera intégré dans la problématique issue de Georgescu-Roegen avec la transposition de la loi de l’entropie à l’économie, loi que le manuel présente bien (p. 510). Le projet de décroissance est alors examiné, sans citer Latouche, mais il n’est pas certain que tous ses partisans expriment la même radicalité de rupture avec le capitalisme. De même, il n’est pas sûr qu’il y ait une continuité entre la thèse de l’anthropocène et la critique du capitalisme (p. 513), dès lors que anthropocène et capitalocène sont souvent présentés par leurs concepteurs comme opposés. Enfin, la prise de conscience de l’atteinte au vivant et à ses conditions de reproduction conduit beaucoup d’anthropologues et de philosophes aujourd’hui à remettre en cause le rapport de l’être humain à la nature, ainsi que la dichotomie culture/nature, allant donc au-delà même d’une socio-économie critique : Descola, Latour, Audier, Charbonnier, Morizot, notamment, disent des choses qu’il conviendrait d’intégrer, même si c’est de façon critique, dans une perspective de soutenabilité sociale et écologique.

Les indicateurs de mesure du bien-être, imparfaitement corrélés avec ceux de la richesse monétaire sont déjà anciens, que ce soit l’indicateur de développement humain (encadré p. 429-430) ou un indicateur de progrès qualitatif, évoqué par le biais d’un indicateur de progrès véritable (p. 515).

Où est le travail derrières les politiques menées en son nom ?

Le travail et l’emploi constituent l’avant-dernier chapitre thématique (hors méthodologie) du manuel. Ce pourrait être un paradoxe pour un manuel se présentant sous l’appellation « économie politique » que de terminer par le travail alors que pour l’économie politique, tout commence par et tout se ramène à du travail. Mais ne tombons pas dans un a priori, prenons cela comme un point d’orgue, ce qui serait une manière de revenir à l’essentiel. Le premier chapitre de cette partie est conforme au fil conducteur de ce manuel : l’institutionnalisme est fondateur de « l’économie du travail ». Entre Smith et Ely (dont j’avoue humblement avoir découvert le nom), il n’y a rien ni personne. Selon le manuel, les « problèmes du travail » ne sont découverts qu’à la fin du XIXe siècle et au XXe siècle : comme si Buret, Engels, Villermé, et dans la littérature Dickens, Zola, London, n’avaient pas existé. Ne persiflons pas : ladite économie du travail est très intéressante à étudier mais n’a pas grand-chose à voir avec l’économie politique[18]. « La relation d’emploi n’est pas une relation marchande mais une relation de subordination » parce que « le marché du travail n’est pas un marché » p. 535) ; subordination sans aucun doute, mais la force de travail s’échange quand même. Heureusement, en deux lignes, l’auteur du premier chapitre de méthodologie réintroduira à la toute fin du livre, en une phrase, les classes sociales, grands absentes de ce manuel prétendument d’économie politique : « Le rapport salarial produit deux classes en lutte : celle des propriétaires des moyens de production, les capitalistes, et celle des salariés, qui n’ont d’autre moyen de survivre que de travailler » (p. 639).

Les chapitres sur les indicateurs d’emploi et sur les politiques publiques d’emploi sont très utiles parce ils présentent clairement les éléments techniques permettant d’avoir une vue d’ensemble des situations d’emploi ou de non-emploi. Il en est de même pour le chapitre consacré au travail et aux salaires des femmes et des hommes, mais s’il est certain que les femmes sont concentrées dans des emplois moins valorisés, il reste à comprendre pourquoi « ces emplois sont moins valorisés » (p. 566) ? Parce qu’ils sont exercés par les femmes ? Mais alors le raisonnement risque de devenir circulaire.

Le chapitre « Numérique, emploi, travail » a un premier mérite d’examiner pour la première fois dans ce manuel la nature du travail et de l’emploi, ce dernier désignant « la relation spécifique entre un travail et une organisation donnée » (p. 567). Son second mérite est de faire le tri entre les fausses prédictions sur la fin du travail et l’évolution qu’il connaît sous l’influence de la numérisation de la société.

La onzième partie sur l’économie des inégalités se place dans la perspective d’inégalités multidimensionnelles avec une « approche intersectionnelle » (p. 576)[19]. Leur analyse connaît un regain d’intérêt, ne serait-ce que parce que les données abondent aujourd’hui. Une autre raison de ce regain serait que l’analyse traditionnelle (marxiste !) de la répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail « s’en tient essentiellement à la répartition primaire qui, certes importante, n’en masque pas moins les effets de la répartition secondaire » (p. 576). La répartition primaire qui masquerait les effets de la répartition secondaire ? On a un peu de mal à comprendre car si l’on peut voir celle-ci, c’est par comparaison avec la première. D’ailleurs, l’affirmation est quasiment démentie quelques pages plus loin : « La manière dont est répartie la valeur ajoutée entre le capital et le travail contribue aux inégalités » (p. 617).

Cela dit, le premier chapitre de cette partie fournit de bonnes indications sur la mesure des inégalités. Les tables de mobilité sociale permettent d’analyser la reproduction sociale, mais toujours sans évoquer l’existence ou non de classes sociales, occultées derrière les catégories socioprofessionnelles. Le manuel prend soin de distinguer « inégalité et injustice » parce que « la seconde renvoie à des critères moraux spécifiques à chaque société et à chaque individu » (p. 575). Mais cela aurait pu être l’occasion de donner à voir aux étudiants un aperçu de l’immense débat impulsé par la théorie de la justice de Rawls, dont le nom n’est cité que très brièvement sans aucune présentation (p. 601).

Si le chapitre sur la protection sociale est éminemment utile, pourquoi le conclure en disant que « la protection sociale permet de faire face à ce que les économistes appellent des défaillances du marché » (p. 616) ? D’abord, quels économistes ? Ensuite, défaillances du marché auxquelles il faut remédier ou choix collectif pour répondre à des besoins sociaux hors de l’emprise du marché parfaitement apte et avide de s’en emparer ?

Dans la lutte contre les inégalités, objet du dernier chapitre de cette partie, l’accent est mis sur l’importance des prestations sociale en nature (à travers notamment les services publics) à côté des prestations monétaires.

Méthodologies

La dernière partie sur les méthodologies est partagée en cinq chapitres. Le premier revient sur les différences entre l’approche néoclassique dominante en économie et « l’économie dite institutionnelle » (p. 631). Il confirme l’orientation générale du manuel : opposée « aux modèles hors sol ne prenant pas appui sur des situations réelles » (p. 635), l’économie institutionnaliste fait de l’économie une science sociale et une science historique. « Ce sont les cadres institutionnels dans lesquels les acteurs se trouvent pris, cadres variables selon les époques et les formes du capitalisme, qui donnent la clef d’intelligibilité des actions individuelles, et non pas un principe de rationalité posé a priori. » (p. 638). La figure de Durkheim est convoquée, à juste titre. Mais on est en droit de se demander si le rôle joué par les institutions est véritablement discriminant pour partager la discipline économique. En effet, nombre d’économistes néoclassiques sont prêts aujourd’hui à relâcher leurs hypothèses de base et à reconnaître ce rôle des instituions. D’ailleurs, ne sont-ils pas les premiers à souligner l’importance des règles entourant la propriété privée dans le développement économique ? Aussi, la difficulté que nous avons signalée dés le début de notre lecture est intacte : la synonymie entre économie politique, institutionnalisme et hétérodoxie est intenable, parce que la notion d’institutionnalisme est utilisée dans ce manuel pour prétendre dégager une colonne vertébrale à toutes les hétérodoxies alors qu’en réalité c’est la vision du courant dénommé institutionnaliste que le manuel privilégie, sans grand rapport avec l’économie politique, du moins avec plusieurs de ses traits fondamentaux (sur le travail et la structuration de la société en classes sociales).

En revanche, il existe une question discriminatoire qui partage réellement l’économie politique (incluant sa critique) et toutes les autres écoles théoriques (néoclassique et institutionnaliste incluses), c’est la question de la valeur fondée sur le travail et socialement validée. Et l’auteur de ce premier chapitre méthodologique a beau dire que « dans la perspective néoclassique, la valeur d’un bien a pour fondement les préférences individuelles données et invariantes » – ce qui est exact –, alors que dans « la conception défendue par l’économie institutionnaliste, il s’agit de partir des rapports sociaux et non des individus », la question de la hauteur à laquelle se fixe la valeur n’est pas résolue, au-delà du cadre institutionnel dans lequel elle sera exprimée. Keynes (invoquons-le puisque Marx est assez tabou) avait parfaitement souligné dans la Théorie générale (Payot, 1969, p. 223) qu’il fallait distinguer le travail, « seul facteur de production », et « le cadre déterminé où ce facteur opère ». Donc, on ne peut se contenter d’une théorie d’une valeur qui se fixerait à un certain niveau par mimétisme à l’instar de ce qui se passe sur les marchés financiers, ou d’une valeur qui serait la somme d’entités incommensurables, ou encore d’une valeur qui agrègerait des conditions sociales et matérielles de production et des valeurs éthiques et culturelles[20]. Ledit courant institutionnaliste n’a pas de théorie de la valeur qui soit en mesure (si l’on ose dire) de relier le rapport social entre travail et capital dans lequel émerge la valeur et la grandeur de celle-ci qui est validée sur le marché. Et les aphorismes spinozistes ne peuvent que rejoindre le rivage néoclassique « à l’insu du plein gré » de ses locuteurs. Bref, macroéconomiquement, il n’y a pas de valeur ajoutée qui ne provienne du travail. Le Grand manuel d’économie politique ignore les démonstrations modernes de Sraffa, Pasinetti, Okishio, Morishima[21], qui auraient pourtant pu trouver grâce dans une lecture d’« économie politique institutionnaliste ».

Le manuel se termine pas quatre chapitres techniques qui présentent en quelques pages les méthodes quantitatives, tant statistiques qu’économétriques (avec une bonne mise à distance d’une corrélation vis-à-vis d’une causalité), les méthodes qualitatives fondées sur des enquêtes de terrain, et une réflexion sur l’évaluation comme « lieu de débats entre les sciences sociales » (p. 676). Quittant un peu l’interaction entre toutes les sciences sociales, le dernier chapitre réfléchit sur « la place des chiffres en économie ». Il montre qu’ils reposent toujours sur des conventions de mesure. Bien sûr, le traditionnel procès du PIB est mené, et on n’évite pas les erreurs comme celle qui affirme qu’« une marée noire participe à la croissance économique » (p. 680), alors que ce n’est pas la marée noire mais la réparation de ses dégâts, si on les répare, qui est comptée dans le PIB. Le PIB ne peut pas compter autre chose que les productions monétaires et donc les revenus qui en sont issus. Pourrait-on déduire du PIB les variations de stocks consécutives à la dégradation écologique ? Cette tentative se heurterait au fait qu’il faudrait soustraire des valeurs monétaires qui n’existent pas ; et si l’on donnait des prix fictifs à ces destructions de stocks, on ne pourrait les fixer que par le biais d’un éventuel coût de réparation ou de reconstitution, ce qui reviendrait à soustraire du PIB ce que l’on vient d’y ajouter, avec comme ultime conséquence de rompre l’égalité entre l’agrégat produit et l’agrégat revenu.

Heureusement, on dispose d’autres indicateurs pour mesurer les stocks mais qu’il faut rendre davantage publics. « Des économistes et des historiens soutiennent qu’il a fallu, pour avoir beaucoup de PIB et de croissance, en particulier dans les années du fordisme (1945-1075), puiser dans les stocks de richesse que les économistes nomment le capital (économique, naturel, humain) et que les sociologues nomment le patrimoine » (p. 681, je souligne). Cette affirmation est troublante : qui a jamais nié qu’il fallait accéder à des ressources naturelles, et pas seulement pendant le fordisme ? quelle différence entre capital et patrimoine si les deux termes renvoient à la propriété ? dans quelle sociologie cette distinction est-elle faite ?

Plus intéressante parce que moins convenue est la discussion sur l’indice des prix à la consommation qui permet de montrer en quoi l’établissement d’une norme pour définir et calculer un indicateur est éminemment politique.

En conclusion, il faut saluer la parution de ce Grand manuel. Il couvre un très large éventail de problèmes qu’étudieront les étudiants de licence d’économie. Ceux-ci y découvriront toute la richesse du courant institutionnaliste. Mais ce manuel répond-il au cahier des charges annoncé : est-il aussi pluraliste qu’il le prétend ? N’est-il pas même sur certains points en porte-à-faux avec une problématique critique, en particulier sur la question de la crise écologique, où le rapprochement avec certains thèmes de l’économie standard de l’environnement est manifeste, dont le plus grave est sans doute d’avaliser l’idée qu’on pourrait mesurer la « valeur économique totale » de la nature, aux antipodes d’une économie politique écologique critique.

Ce relatif échec à construire un « manuel d’économie politique » aujourd’hui est sans doute lié à la difficulté en soi de cette tâche. Elle est aggravée si l’on n’a pas au départ fait le bilan de l’économie politique qui nous vient du XVIIIe siècle et du XIXe siècle : la structuration de la société capitaliste en classes était bien perçue, l’enjeu de l’organisation du travail et de la répartition de son produit aussi. Il manquait à cette économie politique une épistémologie rompant avec la croyance en des lois économiques naturelles et universelles. Mais à peine quelques décennies plus tard, cette vision « naturaliste » était radicalement réfutée. Hélas, la désormais nommée « science économique » plongeait rapidement dans un tunnel dont elle n’est jamais vraiment sortie. Et c’est le mérite des institutionnalistes contemporains d’avoir remis de la lumière dans cette obscurité. Attention cependant à ne pas être aveuglé au point de s’imaginer redécouvrir la lune. Mais, ce serait peut-être un peu de poésie portée au cœur d’une « science lugubre », selon les mots de Carlyle et de Marglin. Lugubre notamment parce que, en omettant les classes, on rend invisibles les classes populaires, n’est-ce pas ce qui sous-tend toute la construction de l’homo œconomicus, bien éloignée de l’économie politique ? À quand la rentrée des classes dans les sciences économiques et sociales ?

[1] Les spécialistes parlent ainsi du théorème dit de Sonnenschein, Mantel et Debreu.

[2] Dares Analyses, « CDI, CDD, Comment évoluent les embauches et les ruptures depuis 25 ans ? », n° 26, juin 2018, https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/2018-026v2.pdf.

[3] AOC, 13 septembre 2023, https://aoc.media/analyse/2023/09/13/de-labsence-de-pluralisme-dans-les-licences-deconomie-gestion.

[4] D’ailleurs, les rapports sociaux féodaux sont absents du premier chapitre parlant de l’économie ayant précédé l’époque moderne. C’est étonnant puisque le manuel voulait prendre en compte les rapports sociaux de production.

[5] Si l’on regarde l’économie politique de Smith et Ricardo, deux éléments la distingue des autres courants de l’économie politique : la valeur-travail et la répartition des revenus issus du travail entre les classes sociales, d’où partira Marx. En revanche, si l’on regarde l’ensemble des courants de l’économie politique classique, ils partagent l’idée de lois économiques naturelles et celle de la neutralité de la monnaie qui aboutit à la loi des débouchés (sauf Malthus), que Marx rejettera. Tout cela ne plaide pas en faveur d’une synonymie entre tous les termes tenus pour équivalents par le Grand manuel d’économie politique.

[6] Soyons précis : le mot « classes sociales » apparaît dans un encadré p. 85 pour dire que « le néo-institutionnalisme de Coase et de Williamson s’intéresse peu aux classes sociales ». Mais qui s’y intéresse ? Le mot est aussi glissé dans un début de phrase p. 349. Et il revient une dernière fois à la fin du manuel (p. 639).

[7] Voir entre autres Nicolas Carnot et Étienne Debauche, « Dans quelle mesure, les administrations publiques contribuent-elles à la production nationale ? », 3 décembre 2021, https://blog.insee.fr/dans-quelle-mesure-les-administrations-publiques-contribuent-elles-a-la-production-nationale.

[8] Il faudra attendre la dixième partie et son chapitre 6 sur le numérique et le travail dans pour rencontrer l’évolution de la progression de la productivité du travail.

[9] Voir deux ouvrages : l’un déjà ancien, Suzanne de Brunhoff, La monnaie chez Marx, Paris, Éditions sociales, 1967 ; l’autre récent, Laurent Baronian, Money and Capital, A critique of Monetary Thought, the Dollar and Post-Capitalism ,Oxon, New York, Routledge Frontiers of Political Economy, 2023.

[10] Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude, Marx et Spinoza, La Fabrique, 2010, p. 149.

[11] Étienne Bonnot de Condillac, Le commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre, 1776, http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Commerce_et_le_gouvernement_consid%C3%A9r%C3%A9s_relativement_l%E2%80%99un_%C3%A0_l%E2%80%99autre/Premi%C3%A8re_Partie/Section_1, p. 31 ; à noter que Condillac assure plus loin que : « Comme on juge que les choses n’ont point de valeur quand on a supposé qu’elles ne coûtent rien, on juge qu’elles ne coûtent rien quand elles ne coûtent point d’argent. Nous avons bien de la peine à voir la lumière. Tâchons de mettre de la précision dans nos idées. Quoiqu’on ne donne point d’argent pour se procurer une chose, elle coûte, si elle coûte un travail. Or, qu’est-ce qu’un travail ? C’est une action ou une suite d’actions, dans le dessein d’en tirer un avantage. On peut agir sans travailler : c’est le cas des gens désœuvrés qui agissent sans rien faire. Travailler, c’est donc agir pour se procurer une chose dont on a besoin. Un homme de journée, que j’occupe dans mon jardin, agit pour gagner le salaire que je lui ai promis ; et il faut remarquer que son travail commence au premier coup de bêche : car, s’il ne commençoit pas au premier, on ne sauroit plus dire où il commence » (p. 32).

[12] Heureusement, le manuel rétablit que « l’ensemble des ces ressources [de la protection sociale] représente environ 860 milliards d’euros en 2021, soit à peu près un tiers du PIB français » (p. 610).

[13] Pour ne pas être injuste, je précise qu’en quelques lignes (p. 430) le manuel mentionne « les stratégies d’industrialisation par substitution des importation (ISI), élaborées en Amérique latine dans le cadre de la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL) des Nations unies ».

[14] Voir Ali Douai et Gabriel Plumecocq, L’économie écologique, La Découverte, Repères, 2017.

[15] Un exemple parmi les plus représentatifs est le rapport de l’ONU, « Rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2021 : la valeur de l’eau », mars 2021, https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000375725.

[16] Altvater, Burkett, Foster, Moore, entre autres…

[17] Je suis cité (p. 503) sur un point sur lequel je n’ai aucun rôle fondateur.

[18] Voir le livre de Laurant Cordonnier, Pas de pitié pour les gueux, Sur les théories du chômage (Raisons d’agir, 2000), et celui de Michel Husson, Portrait du pauvre en habit de vaurien, Eugénisme et darwinisme social (Page 2, Syllepse, 2023) dans lequel il montre les ambiguïtés des époux Webb.

[19] En plusieurs endroits, le manuel adopte l’écriture inclusive, ce qui le met en accord avec son approche intersectionnelle. Mais il y a des cas qui frisent le contresens. Par exemple, pour définir les revenus mixtes, il est dit : « quand on ne peut distinguer si les revenus proviennent du travail ou du capital, comme ceux d’une menuisière » (p. 580). J’ai cherché combien il y avait de menuisières en France : selon l’Observatoire des métiers du BTP, 1,6 % de la profession de menuiserie est constitué de menuisières ; même si le pourcentage progresse, peut-on dire qu’il est inclusif ? Un autre exemple est tout aussi perturbant : « Le rapport marchand divise le groupe en productrices isolées » (p. 639).

[20] Le summum de la confusion sur la valeur, à cause de la polysémie de ce concept, est peut-être donné par Nathalie Heinich, Des valeurs, Une approche sociologique, Gallimard, 2017, où l’auteure applique à la valeur des marchandises la thèse institutionnaliste, totalement évanescente quand il s’agit de comprendre pourquoi un smartphone vaut 400 euros et une voiture électrique 100 fois plus.

[21] Michio Morishima, Marx’s Economics, Cambridge, Cambridge University Press, 1973, p. 53 : « L’exploitation des travailleurs par les capitalistes est nécessaire et suffisante pour qu’existe un ensemble prix-salaire rapportant des profits positifs, autrement dit pour que la conservation de l’économie capitaliste soit possible ».

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