Chronique inspirée par le conte d’Andersen, Les habits neufs de l’empereur (1837)
En ce temps-là, vivait un président qui aimait plus que tout couvrir les oripeaux du conservatisme d’un voile qui avait pour qualités de rendre neuf le vieux, de donner pour réforme une régression, d’habiller en « Renaissance » ce qui mourait. Un peu comme le stigmatisaient Orwell dans 1984 : « La guerre, c’est la paix. La liberté c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force », et Camus dans Sur une philosophie de l’expression : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde ». Le président était ainsi devenu un maître des figures de style comme l’antiphrase ou l’oxymore : de gauche et de droite, en même temps…
Il nomma successivement sept premiers ministres, le plus récent deux fois de suite en quelques jours. Il leur confia la tâche d’appliquer sa Révolution, définie dans un livre éponyme, pour doter la France d’un collier néolibéral inamovible, tel un carcan moyenâgeux.
Ces premiers ministres furent dépêchés pour annoncer les bonnes nouvelles et les mettre en pratique. L’offre signifiait donner plus à ceux qui ont beaucoup et moins à ceux qui ont peu. La start-up nation supposait de supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune et de trouver un emploi en traversant la rue. Une fois la rue traversée sans succès, l’assurance chômage fut rabougrie à trois reprises.
Très vite, l’heure de la réforme des retraites vint. Une première tentative voulut introduire une retraite à points. Sous le label de « retraite universelle », elle entérinait les parcours professionnels semés d’embûches, d’interruptions et de précarité, tout en fixant un âge pivot pour recevoir sa pension à 100 %. Le peuple ne comprit pas le côté « pédagogique » de cette entreprise. Une deuxième réforme, promise comme la der des der parce que s’attaquant à la racine du mal, « les Français ne travaillent pas assez », porta l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, et accéléra le passage à 43 ans de cotisation. Le peuple comprit encore moins cette « avancée » que le président lui imposa sans discussion, renvoyant dans le néant syndicats et corps intermédiaires.
Le président savourait son idée de ruissellement du haut vers le bas, car la gravitation, c’est naturel : les premiers de cordée tirent les derniers, premiers de corvée. Mais, pendant la pandémie, seuls les « travailleurs essentiels » sauvèrent le pays. Le président promit alors que la santé et l’éducation ne seraient jamais des marchandises et que la transition allait démarrer. Le recul des investissements publics et la loi Duplomb furent l’oraison funèbre de ces velléités. Plus le président desserrait les cordons de la bourse publique pour accorder largesses aux puissants et diminuer leurs charges, plus il criait au loup contre la dette publique. Plus les déficits se creusaient parce que les impôts étaient insuffisants, plus la suffisance du président gonflait « en même temps » que la dette.
Au fil des accrocs portés à la trame du voile dont se parait le président, le moment arriva où il fut contraint de dissoudre son impopularité et ses échecs personnels dans le limogeage de l’Assemblée nationale. Au lieu de réussir son coup de poker, de faire mat, ce fut un échec de plus. S’ouvrit alors une séquence ubuesque à laquelle même Alfred Jarry n’avait pas pensé. La gauche arriva en tête, le président nomma un premier ministre de droite. La gauche censura, il nomma un autre premier ministre de droite. La gauche refusa la confiance à celui-ci, il nomma encore un premier ministre de droite. La gauche promit de censurer ce dernier, il le confirma.
Le voile était déchiré, les habits neufs du président tombaient en lambeaux, et, au plus fort de la crise politique dont il était le maître d’œuvre, le président s’enfermait dans sa tour. La clameur populaire contre les inégalités montait, mais il n’entendait rien. Les rapports officiels dénonçaient les uns après les autres l’enrichissement des riches et les 200 milliards annuels versés aux entreprises sans contrepartie, mais il ne voyait rien. Seule la plainte médéfienne franchissait les murs du palais. Seul l’écho du cri d’horreur contre la taxe Zucman, poussé par celui qui possède 50 fois plus que ce qu’on lui demanderait comme contribution minime au bien commun, était répercuté par les affidés du président qui n’avaient pas encore renié leur allégeance.
Quand on lui parla de suspendre sa réforme des retraites, le président eut un haut-le-cœur : perdre son emblème, son haut fait d’armes, qui lui valait les félicitations des marchés, était un crime de lèse-majesté. L’outrage coûterait bien plus cher que quelques milliards de pensions supplémentaires. La Cour qui sait faire les comptes avait dévoilé le coût de l’abrogation : environ 0,4 % de PIB en 2032 si l’âge de départ était bloqué à 63 ans. S’il était accompli, l’outrage serait incommensurable. Finie, la place dans l’histoire, et en même temps, finies, les figures de style.
« Il n’y a pas de voile, le président est nu », cria une voix enfantine[1].
13 octobre 2025
[1] Hans Christian Andersen : « "Mais il me semble qu'il n'a pas du tout d'habits", observa un petit enfant. "Seigneur Dieu ! Écoutez la voix de l'innocence ! " dit le père. Et bientôt on chuchota dans la foule en répétant les paroles de l'enfant. "Il y a un petit enfant qui dit que le roi est nu ! Il n'a pas du tout d'habits !" s'écria enfin tout le peuple. Le roi en fut extrêmement honteux, car il comprit que c'était vrai. Cependant il se raisonna et prit sa résolution : "Quoi qu'il en soit, il faut que je reste jusqu'à la fin !" Puis, il se redressa plus fièrement encore, et les chambellans continuèrent à porter avec respect la traîne qui n'existait pas. ». https://tecfa.unige.ch/perso/lombardf/divers/roi_nu/habits_neufs_empereur.html