Parce que je ne suis ni ukrainien, ni russe, ni juif, ni israélien, ni palestinien, ni arabe, ni musulman ni américain ni chinois… parce que j’essaye modestement de comprendre quelque chose aux enjeux géopolitiques, parce que je sais que l’information facilement accessible aujourd’hui n’est pas pure, parce que je ne crois aucun gouvernement a priori, parce que je ne suis plus si jeune aussi .., je me crois capable de réfléchir à la question de la guerre avec plus de profondeur et moins de passion, je crois.
Je suis las d'entendre des journalistes et des politiques sommer les autres de prendre parti, insulter ceux qui ne sont pas d'accord avec eux, ou leur interdire le droit à la parole... Ces excités de tous poils empêchent les citoyens de comprendre et de réfléchir. Ils contribuent à les manipuler. Au final, ils participent à empêcher que la solidarité humaine puisse régir le monde et apporter la paix !
C’est sans doute grâce à mon intérêt pour l’Iran (au point d’y être allé beaucoup et d’en avoir appris la langue…) que j’ai compris tôt qu’il fallait se méfier des “vérités” toutes faites propagées par nos médias.
Lorsqu’en 1997, juste après l’élection de Khâtami à la présidence de la république, saisissant l’opportunité offerte par l’arrivée au pouvoir de ce “modéré”, je me suis rendu en Iran, j’ai été témoin d’une scène étonnante qui m’a marqué. À quelques mètres de la maison où je logeais à Téhéran, non loin du parc Lâleh, se tenait un hôtel particulier qui avait été confisqué par le gouvernement au profit, apparemment, d’une association des martyrs de la révolution (ou quelque chose comme ça…). Un matin, je suis réveillé par le son d’un haut-parleur venant de ce bâtiment, c’est une voix d’homme qui crie en persan avec conviction : “Pleurez ! Pleurez, mes frères et mes sœurs !”. Pas trop certain de mes capacités linguistiques, j'interroge mes hôtes, et ils me confirment que ce sont bien ces paroles que l’homme répète au haut-parleur. Ils m’expliquent que les personnes réunies dans le jardin de cette maison sont des pauvres gens apportés la veille par autocar depuis une lointaine province. Au programme : prière le matin, puis manifestation filmée à Téhéran, quartier libre l’après-midi, puis mechoui le soir dans le jardin et retour chez eux le lendemain, bref, un week end gratuit à Téhéran ; seule condition, jouer le jeu avec les religieux : prier un peu le matin, puis se déguiser (khôl pour rendre les yeux plus tristes ou méchants, tchâdor noir de rigueur pour ls femmes, costume noir et chemise pour les hommes…). Et en effet, le soir-même, pendant qu’ils chantent et festoient dans le jardin de l’hôtel particulier, le film de leurs exploits passe à la télé iranienne, on les voit en train de brûler un drapeau français devant l’ambassade et de crier d’un air menaçant des slogans anti-occidentaux. De retour en France quelques jours plus tard, quelle ne fut pas ma surprise de voir ce même film passer au journal de 20 heures avec le petit sigle IRNA (agence de presse iranienne) en bas de l’écran et des commentaires sur la soi-disant haine du peuple iranien à l’égard de l’occident. Durant le reste de mon séjour, j’avais pu apprécier l’amour des iraniens pour la France et leur attrait curieux pour notre pays et sa culture. Loin donc des clichés… Depuis ce jour-là, je ne crois plus ce que montre la télévision. Cela ne m’empêche pas de m’informer à toutes les sources, je dis bien toutes.
Au printemps 2022, je n’ai pas compris pourquoi je devrais afficher un drapeau ukrainien sur Facebook. Je ne pouvais m’identifier à un gouvernement qui me dégoûtait, qui avait trahi ses promesses électorales de paix et qui, pis, selon moi, avait tout fait pour que l’on en arrive à la guerre. Je ressentais en lisant les posts de ceux qui l’affichaient et s’offusquaient de ce que l’on ne le fasse pas, qu’ils avaient choisi un camp contre un autre, qu’en fait ce drapeau signifiait pour eux, non pas (ou pas seulement) la solidarité au peuple ukrainien, ce qui ne me choquait en rien, voire même attirait ma sympathie, mais surtout une condamnation fondamentale de la Russie qui ne pouvait souffrir aucune discussion, voire même parfois une haine de la Russie. Or je ne ressens aucune haine contre la Russie ni contre les russes. Si je critiquais le gouvernement ukrainien, si je contextualisais la situation en évoquant les provocations des états-unis ou le caractère néonazi de certaines forces ukrainiennes, ou les persécutions et massacres des populations russophones au Donbass, alors je devenais instantanément un pro-Poutine…Pire, si je parlais d’imaginer une solution de paix qui ne passe pas par l’anéantissement de la Russie, alors j’étais catalogué pro-russe, et pris à partie avec une certaine violence.
C’est devenu la mode dans les interviews (pas seulement politiques) d’exiger de l’interviewé qu’il affirme abonder dans le sens d’un postulat idéologique, comme par exemple :
- le vaccin contre la covid est efficace contre les formes graves
- la Russie est le seul grand coupable de la guerre contre l’Ukraine
- Poutine est un fou dangereux
- …
Ou, ce qui a une fonction équivalente, de demander “Est-ce qu’au moins vous condamnez…” :
- la violence des gilets jaune
- la violence des grévistes
- l’irresponsabilité politique des opposants
- …
Bref, aujourd’hui, il y a une condition pour avoir le droit de s’exprimer et être entendu : se soumettre aux prérequis exigés par les journalistes présentateurs…
Outre le fait que c’est totalement contraire dans l’esprit à la tolérance qui sous-tend en principe la liberté d’expression, il est flagrant que cela participe d’une certaine censure. Et même, contribue, le cas échéant à disqualifier des personnes (qualifiées d’extrêmes, d’ultras, de complotistes, de conspirationnistes, de négationnistes, etc.).
Bref, maintenant aussi, dans ces événements horribles qui se passent en Israël et en Palestine, je me sens en dehors de ce qui est attendu en termes de bienséance médiatique. Si je veux être écouté, accepté à toute discussion, je dois d’abord faire allégeance et dire :
- que le Hamas est une organisation terroriste
- qu’avec l’attaque sur Israël, c’est la civilisation occidentale qui est menacée
- que je soutiens inconditionnellement Israël, et que je suis d’accord pour que le drapeau Israélien soit affiché sur les mairies, sur les photos Facebook, …
- que le siège de Gaza et les bombardements abominables qui y ont lieu relèvent du plus strict droit moral d’Israël de se défendre
Et si je veux être considéré par des personnes de l’autre bord, je dois accepter de dire :
- que je soutiens inconditionnellement les palestiniens, et que je suis d’accord pour que le drapeau palestinien soit affiché sur les mairies, sur les photos Facebook, …
Or il se trouve que pas plus que pour ce qui concerne l’Ukraine, je suis opposé à m’afficher avec tout drapeau de tout pays qui n’est pas le mien. Et il se trouve aussi que je n’adhère pas aux propagandes, de quelque bord qu’elles soient.
D’un point de vue plus philosophique, je ne crois pas dans les bienfaits de la vengeance. Je crois au contraire, que comme dans Roméo et Juliette, la vengeance appelle la vengeance et ne permet pas de régler les conflits. Au contraire, je crois, mais je sais bien que cette croyance n’est pas la plus partagée sur cette terre, que le fait de ne pas répliquer brutalement à un acte brutal est une clé pour construire la paix. Car la paix a besoin de reconnaissance mutuelle, d’empathie. Si chaque partie est concentrée sur sa souffrance de victime et nie le caractère odieux des crimes qu’elle commet au nom du droit à la vengeance, alors il n’y a pas d’entente possible.
Et d’un point de vue politique, je suis convaincu que le temps long donne la clé. On voit bien que les événements d’aujourd’hui sont conditionnés par les événements et les politiques d’hier, et participeront à conditionner les politiques de demain. Aussi me semble-t-il très dommageable pour Israël que ce pays persiste à déployer une force aveugle et terrible qui fait des milliers de morts à Gaza, dont la moitié d’enfants, car ce massacre ne pourra pas être rapidement oublié par les milliards de musulmans qui voient dans ces crimes et dans le support que l’occident leur donne, un signe d’islamophobie. Cette politique du soi-disant “droit à la défense” est une étape dans la radicalisation du conflit qui risque de se payer cher pendant des décennies et éloigner l'avènement d’une solution de paix.
C’est facile pour moi de réfléchir ainsi, car je n’ai pas eu de famille massacrée dans ces événements, je ne ressens pas de devoir de solidarité à mon peuple ou à ma religion, je n’ai pas de raison de vouloir me venger.
Mais c’est aussi pour ces raisons que je peux réfléchir plus librement, sans haine. La haine n’est-elle pas la plus mauvaise conseillère en la matière !?
Je crois que le problème doit être abordé par l’autre bout : quel avenir est possible ? Si l’on se projette dans 10, 20 ,30, 50 ans, quelle solution nous paraît-elle viable et a des chances de pouvoir être à peu près acceptable pour tous ? C’est seulement à partir d’un but réaliste de long terme que l’on peut réfléchir au sens des actions qui sont nécessaires. Et si les actions que nous inspire notre colère ou notre indignation vont à rebours du chemin qui mène à cet objectif, alors il est plus sage de ne pas les commettre.
Donc je suis solidaire de la souffrance des personnes qui sont victimes de massacres, quel que soit leur camp, leur religion, leur couleur de peau. Je n’ai pas à accepter l’injonction de prendre parti. Je serai toujours aux côtés des victimes. Je suis solidaire de la peine, de la colère ressentie par mes amis juifs, mais je suis également solidaire du désespoir de l’horreur imposée aux palestiniens.
Je suis pour la paix, pour discuter d’une solution de long terme, sans tabous. Et je crois que c’est le rôle des personnes non directement impliquées d’essayer de faciliter ces discussions, par delà les émotions. En Israël et en Palestine, comme en Ukraine.