Saint-Maur le 12 janvier 2025
A l’occasion de la récente confession de Mark Zuckerberg à propos de la manipulation du fact-checking, qui selon lui a été imposée sur la plateforme Meta par le gouvernement américain, de nombreuses publications hostiles fleurissent sur les réseaux sociaux. De nombreuses personnalités prennent parti contre Zuckerberg, l’accusant de se rallier à Trump et Musk, nouvelles figures diaboliques du moment. Mais ce faisant, elles disqualifient surtout cette confession, minimisant ainsi l’importance de ce qui est dénoncé, et qui concerne le droit des États à filtrer les informations accessibles aux peuples, y-compris en y substituant des informations fausses. “Ils nous ont poussé très fort à retirer des choses qui honnêtement étaient vraies…” (sic)
Entre parenthèses, les opinions dans notre monde s'opposent de plus en plus radicalement : “Vous êtes pour, vous êtes contre ? Vous condamnez ? Donc vous soutenez ?”, les accusations, les croyances affirmées dans les médias (et par extension dans les discussions en famille, entre amis ou collègues) sont soit vraies soit fausses ! Entre les deux ? rarement, et pratiquement plus jamais aux yeux des faiseurs d'opinion. Et ce qui me frappe encore plus, c’est que ces opinions valident ou disqualifient le plus souvent les faits qui les sous-tendent en fonction de leur source uniquement. On ne réfléchit plus, on classe les arguments en deux sortes : ceux qui viennent des gens qu’on pense respectables, et ceux qui viennent de personnes qui ne le sont pas. Mais cette respectabilité ou irrespectabilité dépend aussi des arguments manipulés pour les établir, qui proviennent à leur tour de sources respectables ou non selon le point de vue. Ce phénomène, on l’imagine bien, concourt à radicaliser les opinions, et donc les groupes.
En disant cela, j’entends déjà des personnes bien intentionnées me reprocher de mettre sur le même plan les bons informateurs (par exemple les médias, les gouvernements de nos démocraties) et les mauvais (par exemple, les médias indépendants manipulés, les complotistes, …). Et me reprocher donc de faire ainsi la courte échelle au complotisme, à l'ingérence, au communisme, à l’islamisme fondamental, ou encore au poutinisme, et j’en passe. Parce que simplement j'émets l’hypothèse que la vérité est relative, je suis déjà borderline !...
Il me revient à ce propos une anecdote concernant les attentats du 11 septembre 2001. Il se trouve que je me suis rendu en Iran à l’été 2002 et que j’y ai eu l’occasion de discuter de cet attentat avec des personnes que j’y ai rencontrées (au passage, je n’ai jamais rencontré autant de personnes de haute éducation qu’en Iran, peuple intellectuel dont l’image en occident est totalement travestie pour accréditer l’idée que l’Iran est dangereux, mais c’est un autre sujet…). Ces personnes me disaient : “oui, nous avons pleuré en voyant ces pauvres gens se jeter du haut des tours en feu, nous avons eu de l’empathie pour toutes ces victimes et leurs familles. Mais également nous ressentons un certain plaisir à penser que pour une fois, un musulman moyen-oriental (Ben Laden) a tenu en respect l’impérialiste américain. Rappelez-vous que nous avons dans les années 80 souffert de perdre un million de personnes dans une guerre déclarée par l’Irak sur proposition américaine”. Cette opinion n’était pas possible officiellement en France, pas acceptable, pas entendable, pas possiblement tenue pour respectable par la majorité ; mais je suis bien convaincu que beaucoup de français ont pourtant alors pensé de même, par exemple des musulmans, des communistes ou anciens communistes, des anti-impérialistes, et pas que …
Autre exemple : celui de l’utilisation d’armes chimiques par Bachar El Assad contre son peuple en août 2013. Cet argument a été servi à foison par les médias pour justifier sa mise au ban de la communauté internationale et le besoin de renverser son régime. Pourtant, une étude réalisée en 2014 par Theodore Postol, professeur émérite au Massachusetts Institute of Technology (MIT), et Richard Lloyd, ancien inspecteur de l'ONU, a remis en question les conclusions initiales concernant l'attaque chimique survenue en Syrie en août 2013 et suggéré que cette attaque chimique émanait sans doute du camp des rebelles. Sans en déduire qu’Assad était innocent de ces crimes, ne devrions-nous pas pour le moins douter ? Les médias ne devraient-ils pas afficher une certaine réserve, plutôt que de continuer inlassablement à propager la certitude qu’Assad était coupable ? La vérité qui arrangeait les USA et ses alliés dans leur opposition géopolitique à la Russie et à l’Iran, n’a pas souffert d’être remise en question.
Pour l’opinion, ceux qui savent ou prétendent savoir ont décidé qu’il faut des bons et des méchants. En occident aujourd’hui, Biden est bon, Obama est bon, Trump est méchant, Poutine est méchant, Zelenski est bon, Musk est méchant, etc. … Et donc si Poutine dit quelque chose (ou Trump, ou Musk, …), c’est présenté comme de la propagande honteuse, et à l’inverse, ce qui sort de la bouche des bons est considéré comme sincère, vertueux et vrai. S’ils sont contredits, c’est au pire qu’ils avaient été induits en erreur, au mieux la contradiction n’est pas relayée. Quand un “méchant” exprime une idée, une pensée, une réflexion, on n'essaye pas de comprendre ce qui est dit, on ne s’interroge pas, on cherche avant tout à le disqualifier.
Le Fact-Checking procède de cette logique. Des cellules ont été créées au sein des médias ou sur initiative gouvernementale ou politique, dans le but officiel de protéger le peuple d’opinions erronées. Officiellement, ces cellules sont les chiens de garde de la démocratie. On admet donc communément qu’il y a des opinions acceptables et d’autres qui ne le sont pas. Le principe philosophique de la liberté d'opinion me semble battu en brèche. A minima, on m’autorisera à trouver dans ce fact-checking un relent d’attitude paternaliste : nous qui savons (nous les experts,nous les puissants) allons vous expliquer ce que vous (le petit peuple) a le droit de penser et ce qu’il n’a pas le droit de penser. Si votre opinion est disqualifiée par ce fact-checking, alors vous devrez vous rallier sous peine d’anathème. au fond, si quelqu’un pense “mal”, c’est sans doute parce qu’il est con (et dans ce cas, il n’y a pas de mal à lui imposer une pensée orthodoxe) ou bien parce qu’il est sous l’empire d’influences malfaisantes (et dans ce cas là, non seulement on peut mais c’est même un devoir que de l’en abstraire). Je trouve que cette façon de voir la démocratie n’est pas démocratique, mais au contraire, appelons un chat un chat, c’est juste totalitaire !
Naïvement, moi, esprit sans doute faible ou influencé, j’ai dans l’idée que les hommes doivent être chacun libres de penser ce qu’ils veulent. Que la confrontation d’idées est saine, que la meilleure façon de convaincre, si tant est qu’il est légitime de le vouloir, passe par l’écoute et la tentative de compréhension de l’autre. Et même que l’idée que l’on doit convaincre les autres qu’ils ont tort parce qu’ils pensent différemment de nous, est une idée prétentieuse et anti-humaniste. Je crois que la confrontation d’idées est intéressante parce qu’elle permet à tous d’évoluer dans leur compréhension du monde. Par exemple, écouter sans a priori un discours de Poutine (plébiscité par une écrasante majorité de russes, rappelons-le) me semble très utile à la compréhension de ce qui se passe dans le monde.
Naïvement également, je me plais à croire qu’il peut y avoir un peu de vrai dans tout discours, que tout n’est pas soit vrai soit faux… Et aussi que les faits méritent enquête, que les faits historiques ou politiques sont souvent compliqués à établir et méritent une lecture dialectique où le doute a sa place de droit, pour ne pas dire qu’il y est indispensable par principe.
Quelques sujets me viennent qui me frappent par l’absence totale de relativisme qu’ils suscitent !
L’extrême droite par exemple. Pour nombre de ceux qui votent pour le RN, ce parti n’est pas d’extrême droite, au sens historique, car le projet politique du parti n’a rien à voir avec le fascisme. Nombre de ceux qui votent RN se pensent antifascistes et opposés au racisme et à l’antisémitisme et ne comprennent pas pourquoi on les taxe d’extrême-droitisme. Mais pour la plupart des médias, pas seulement à gauche mais aussi au centre et à la droite modérée, il y a lieu de diaboliser le RN et cet amalgame historique disqualifiant se propage par ce simple mot d'extrême droite.
Idem pour l'extrême gauche ! Faire croire que LFI est un parti antidémocratique apparaît totalement absurde à leurs sympathisants, qui pour la plupart, au contraire, se réclament de valeurs humanistes et démocratiques !
Or aujourd’hui, les dernières élections l’ont montré, ces deux camps réunis composent une large majorité des électeurs de ce pays ! On ne saurait prétendre à comprendre le peuple français si on persiste à décréter à leur place ce qui les anime en dépit de leurs propres convictions !
Autre sujet tabou : la question de savoir s’il faut ou non défendre l’Ukraine. Ce sujet n’est pas questionnable. Il fut pourtant un temps pas si lointain où Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont bien, chacun à leur façon, questionné l’attitude occidentale et le rôle des USA et de l’Europe dans la situation en Ukraine, mais du jour où l’armée russe est entrée en Ukraine, ils se sont tus sur ces questions et on ne les a plus entendus depuis. Et les journalistes n’ont eu de cesse de leur demander, ainsi qu’à tous ceux qui pouvaient exprimer une opinion dérangeante, s’ils condamnaient bien la Russie. On a bien compris que ceux qui ne répondraient pas oui seraient empêchés de s'exprimer, ou disqualifiés. Et rappidement s’est répandue alors dans l’opinion la certitude que nous devions aider l’Ukraine à écraser la Russie. Pourtant dans le monde, la majorité des habitants de cette terre pensent que cette guerre est la conséquence d’une attitude menaçante des USA vis-à-vis de la Russie et espèrent une solution négociée. Mais même cette simple idée semble dans notre monde occidental un blasphème. Un débat devrait pouvoir être mené en France et en Europe, qui considère toutes les lectures historiques de ce conflit, et les perspectives d’avenir pour le monde, afin de déterminer notre position. Mais que nenni. Et même, en dépit des principes de notre constitution, notre cher président en décide seul, sans même consulter le parlement !
Depuis longtemps, j’écoute et cherche à comprendre ceux qui, de par leur appartenance géographique par exemple, ou de par leurs convictions idéologiques par exemple, ne pensent pas comme moi, comme nous. Ce qui est évident pour les uns ne l’est pas forcément pour les autres et réciproquement. C’est pour cela que j’écoute les informations russes, iraniennes par exemple autant que les informations occidentales. Cela m’aide à mieux comprendre et à relativiser. La propagande ne se trouve pas que chez les russes ou les chinois mais aussi chez nous. Mais pourquoi nos chères autorités veulent nous empêcher de nous informer à d’autres sources que les leurs ou celles qu’elles contrôlent ? C’est vraiment démocratique, ça ?
Il y a donc des vérités non questionnables, et d’autres sont visiblement inenvisageables par ceux qui, afin de mieux nous protéger, prétendent gérer pour nous la Vérité avec un grand V. La Vérité est devenue une référence sacrée, une icône intouchable à laquelle seuls des grands prêtres ont accès. Et peu importe s’ils se trompent. Cette nouvelle religion n’admet pas de critique. Permettez-moi d’en être par principe un hérétique !
Pour conclure, la démocratie ou plutôt la liberté, qui est la vraie valeur à laquelle je me rallie, ne peut souffrir de se voir imposer sa vérité. A mon sens, l’homme doit être totalement libre de penser. La confrontation d’idées est souhaitable et salutaire. Et le doute, la complexité, sont inhérents à la réflexion. La vérité n’est jamais figée, ni définitive, elle n’est pas absolue, elle se nourrit des contradictions, des conflits de points de vue. A contrario, la façon dont s’organise dans notre société la production d’information et le formatage des opinions via des médias de plus en plus univoques et du fact-checking aux ordres, me semble objectivement procéder d’une démarche totalitaire et, au nom de ma foi dans la liberté, au nom de la sainte démocratie, je souhaite que nous le refusions !