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Billet de blog 28 décembre 2023

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Hurler avec les loups ?

On assiste à un déferlement de condamnations publiques du comportement de Gérard Depardieu et à l'exigence de mesures punitives immédiates contre lui. Au delà de ce cas précis, est-il légitime de hurler avec les loups ? Et quand bien même ce le serait, est-ce souhaitable ?

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Comme vous, j’assiste depuis peu à un déferlement de condamnations publiques du comportement de Gérard Depardieu et à l'exigence de mesures punitives immédiates contre lui. Et, même si je déteste vraiment le comportement dont on l’accuse dans les médias et sur les réseaux sociaux, je m’interroge sur la légitimité de ce déferlement et sur l’intolérance qui l’accompagne, je veux parler de l’obligation médiatique “de condamner”, obligation détestable qui sévit déjà depuis quelques temps, mais dans d’autres contextes,  et qui s’accompagne pour ceux qui la refusent d’un étiquetage négatif (les “anti-vax”, les “pro-Poutine”, les “pro-Hamas”, …, et maintenant les "pro-Depardieu"), voire d’une ridiculisation des propos, voire, tout bonnement, d’une interdiction de s’exprimer…

Bien sûr, en écrivant cela, je risque de choquer et de décevoir. Et donc, il est possible que ce que je pense et tente d’exprimer ici ne soit simplement pas entendu, pas compris, parce que ce que je dis ressentir, penser, je m’en rends bien compte, ne correspond pas exactement à ce que l’on s'attend que je ressente ou que je pense. Bref, pas plus aujourd'hui qu'hier, sans le vouloir ni l'avoir décidé, je ne suis décidément pas politiquement correct !

Tout d’abord, séparer les faits : les accusations de viol ou d’abus sexuel d’une part, et des paroles choquantes de Depardieu dans un “documentaire” tourné par Yann Moix en Corée du Nord d'autre part. Sur les premières, il s’agit potentiellement de crimes, et la justice est saisie. Sur les deuxièmes, on est dans le domaine, non plus du droit, mais de la morale : les paroles grossières sont échangées avec Yann Moix, et pas avec la jeune cavalière.

Concernant les accusations en justice : il y a présomption d’innocence des personnes accusées, donc de Depardieu en l'occurrence. Cela ne signifie pas un refus de ma part de considérer la parole des prétendues victimes (le mot “prétendues” ici veut juste dire ce qu’il veut dire, il n’exprime pas de doute sur la potentialité que ces personnes soient victimes). De mon point de vue, plaindre publiquement des possibles victimes ne peut ni ne doit devenir une obligation pour toute personne qui s’exprime sur Depardieu. Chacun plaint qui il veut. Et tant que les accusations ne sont pas confirmées par un jugement, le doute est permis. Douter veut dire ici “accepter l'hypothèse parmi d’autres que les faits ne soient pas établis”, ça ne veut pas dire croire que c’est faux.

J’en profite pour faire une petite digression concernant les accusations concernant des responsables politiques. Dans le cas de responsables politiques accusés, la présomption d’innocence doit bien sûr s’exercer. En revanche, si le doute profite aux accusés en l’absence de jugement, le doute fait que la représentation du peuple que nous sommes n’est plus possible en confiance, du moins provisoirement. et c’est donc pour cette raison que je pense qu’il est impossible, et donc indécent, que des responsables politiques restent en poste lorsqu’ils sont accusés.

Mais revenons à Depardieu. Donc, concernant les affaires de viol dont il est accusé, je pense, et j’imagine que beaucoup pensent avec moi, que c’est à la justice de trancher. Nous n’avons pas à fustiger publiquement Depardieu alors que la justice n’a pas tranché. Maintenant, si ma fille me disait demain qu’elle va passer le weekend prochain chez Depardieu, seule avec lui, pour un motif purement professionnel, je ne cache pas que je ne serais pas tranquille. A partir du moment où ces accusations ont été rendues publiques, de fait, un doute plane sur la confiance que l’on peut faire à ce monsieur. Pour autant, nous n’avons pas à le juger sans savoir. Et je trouve que quand un journaliste pose et repose la question “condamnez-vous les actes dont est accusé Depardieu” (et encore, ici, je fais preuve dans la formulation de cette question, de davantage de précautions que n'en prennent la plupart des journalistes et présentateurs de télé ou de radio), il participe à provoquer ce pré-jugement par le peuple que nous sommes, il donne Depardieu en pâture à notre vindicte illégitime.

Concernant les propos graveleux à propos du plaisir que prennent les cavalières, je trouve terriblement hypocrites les condamnations des présentateurs et journalistes. Dans mon expérience d’homme, j’ai été fréquemment au contact d’hommes aux propos machistes, sexistes et irrespectueux à l’endroit des femmes. Oui, les hommes entre eux parlent souvent mal des femmes, c’est ainsi. Je ne veux pas dire ni ne pense que c'est une bonne chose, que cela ne doit pas changer ! Je ne cache pas que c’est quelque chose qui m’a toujours terriblement gêné, mais je n’y ai pas de vertu : cet embarras n’était pas volontaire. En tout cas, ce type de propos, entre hommes, n’est pas rare, très loin de là ! Depardieu, s’il doit être traîné plus bas que terre pour cela, devrait l’être avec plus de la moitié des hommes de ce pays qui profèrent ou ont proféré des propos du même type, ou qui en ont ri ! Alors, non, ce n’est pas cela qu’on lui reproche ! Ce serait la nature pédophile de ses propos ! Mais même si le caractère obscène de ces propos s’impose à moi, je n’y vois aucun caractère pédophile : ils n’évoquent en rien une relation sexuelle, même fantasmée, entre Depardieu et la jeune cavalière avec laquelle il n'a d'ailleurs eu (ni cherché à avoir) aucun contact ni physique ni même verbal. Donc, non, ces propos, aussi choquants puissent-ils nous sembler, ne sauraient suffire, selon moi, à faire de Depardieu un monstre !

Mais il y a autre chose : je lis que Yann Moix aurait demandé à Depardieu, avant de tourner ces plans, qu’il soit le plus vulgaire possible. Si c’est avéré, ce film n’est donc pas un simple documentaire, mais bien une œuvre fabriquée qui ne saurait représenter fidèlement une exacte réalité, et donc, les propos de Depardieu, dans un pareil contexte, ne sauraient être entendus comme ceux d’un homme qui s’exprime sur ce qu’il ressent, mais comme ceux que le réalisateur lui a demandé de dire, et donc ne devraient pouvoir lui être opposés !

Depardieu est-il grossier, oui. Parfois répugnant ? Pour moi, oui. Est-il avéré qu’il ait commis des actes criminels à l’égard de jeunes femmes ? Non. En tout cas, pas pour l'instant. A-t-il proféré des paroles insultantes ou déplacées à l’égard d’une jeune fille ? Non, pas directement : il a proféré des paroles très laides et stupides à l’attention non pas de la jeune fille, mais du réalisateur en l'occurrence Yann Moix. Alors je pose la question de la responsabilité du réalisateur plutôt que celle de Depardieu concernant la présence de ces paroles dans un documentaire. Nos présentateurs et journalistes si zélés, ces chiens de garde de la bonne morale, ne devraient-ils pas "condamner" Yann Moix ?

Enfin, je constate que les personnes qui ont trouvé utile de signer une tribune pour protester contre l’acharnement médiatique dont est victime Depardieu (oui, je sais, le mot “victime” sera pris pour une provocation), sont agressées, critiquées très violemment, qu’on tente de les ridiculiser, de les accuser à leur tour de mépris pour les prétendues victimes, … Or, même si cette tribune exprimait une façon de voir différente, voire opposée à la nôtre, nous devrions la tolérer, car tant du point de vue de la loi que de celui de l'intelligence, chacun est libre de s'exprimer quand il le fait sans violence et avec modération. Ce phénomène démontre à lui seul, s’il en était encore besoin, que c’est bien un acharnement aveugle dont il s’agit.

Alors, sans avoir à prendre position pour ou contre Monsieur Depardieu, je me sens légitime à refuser et à dénoncer l'acharnement médiatique à imposer un point de vue qui ne me parait pas légitime. Je ne serai jamais avec les loups pour hurler sur une personne accusée, je persiste à croire qu’il faut espérer des décisions de justice avant de se croire autorisé à hurler (et d’ailleurs, aurai-je envie de hurler un jour ? sans doute non, si je ne suis pas personnellement impacté). Mais si la justice ne faisait pas son travail, si, comme par exemple dans le cas d’accusations concernant des hommes politiques, ou des humoristes proches de milieux politiques par exemple (suivez mon regard...), elle traînait, renâclait à faire son travail, alors là, oui, peut-être je me mettrais à hurler !

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