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Billet de blog 8 juin 2020

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Racisme systémique - Un monde qui doit mourir pour que puisse fleurir un autre

Le meurtre du citoyen afro-américain George Floyd, en une interminable agonie de 8 minutes 46 secondes filmée par des passants, a bouleversé la planète entière. Il a offert l’affligeant spectacle d’une Amérique blanche suprémaciste, ensauvagée depuis des siècles, prisonnière de la férocité raciste.

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Le meurtre du citoyen Afro-américain George Floyd, en une interminable agonie de 8 minutes 46 secondes filmée par des passants, a bouleversé la planète entière. Il a offert l’affligeant spectacle d’une Amérique Blanche suprémaciste, ensauvagée depuis des siècles, prisonnière de la férocité raciste. Une ‘‘férocité Blanche’’ qui s’est déployée si souvent aux quatre coins de la planète contre les ‘‘Autres’’, les non-Blancs, Noirs, Juifs, Asiatiques, Arabes, Indiens… du seul fait de leur différence.

Un policier Blanc (dont je tairai le nom pour ne pas lui accorder un quart d’heure de célébrité), ayant à son actif d’autres faits de violence connus, a fait usage de la technique dite du ‘‘plaquage ventral’’, pour maintenir au sol un homme Noir. Un genou écrasant le cou de la victime, pendant que sa cage thoracique était comprimée par un autre agent, jusqu’à ce que s’en suive une mort par asphyxie. Le policier, visiblement conscient de ce qu’il faisait sous le regard et les protestations des témoins filmant la scène macabre, maintiendra encore sa prise mortelle même après que George Floyd ne donne plus aucun signe de vie !

Quatre policiers pour un meurtre en réunion, en plein jour et dans l’espace public. Voilà pour l’Amérique. Devant l’évidente et gratuite volonté de tuer, émotion, indignation et manifestations multiraciales rassemblant des milliers de personnes, ont aussitôt pris une envergure mondiale : Minneapolis, Washington, New-York, Rome, Bristol (où les manifestants ont déboulonné une statue du négrier Edward Colston), Londres, Madrid, Barcelone, Valence, Bruxelles, Lausanne, Copenhague, Göteborg, Maastricht, Paris… et jusqu’à Pointe-à-Pitre ! Certains n’ont pas manqué de mettre en regard ces faits avec les violences policières régulièrement dénoncées en France, qui par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), par des associations ou le ‘‘Défenseur des droits’’, autorité administrative indépendante qui veut veiller à l'égalité de tous dans l'accès aux droits, dirigée par l’ancien ministre de droite Jacques Toubon.

Réputée dangereuse, interdite dans plusieurs pays, comme la Suisse ou la Belgique, la technique du ‘‘plaquage ventral’’, dont les policiers américains ont fait usage pour mettre à mort George Floyd, est aussi utilisée par la police française et a déjà causé plusieurs décès dans le pays. Elle est mise en cause dans la mort du jeune Adama Traoré, survenue lors de son arrestation par les forces de police le 19 juillet 2016. Il était âgé de 24 ans. Quatre ans plus tard, l’affaire est encore entre les mains de la justice avec les seuls témoignages de trois gendarmes.

Disons le d’emblée, personne ne prétend que la France serait l’égale de l’Amérique en matière de discriminations de ‘‘race’’. Le mot a d’ailleurs été pudiquement banni de la constitution française en 2018. L’une a connu esclavage et ségrégation sur son propre territoire national, l’autre pas. Pour autant, peut-on affirmer que le racisme n’a plus aucune réalité dans l’ancienne puissance coloniale ? Écartons l’idée qu’il puisse exister en France un ‘‘racisme institutionnel’’, dans le sens d’un racisme officiel, légalisé, inscrit dans la loi… Même les Etats-Unis n’en sont plus là depuis la fin officielle des lois Jim Crow et de la ségrégation en juillet 1964 !

Mais il faut avec précision, analyser les raisons pour lesquelles la France, comme d’autres anciens empires coloniaux, est aux prises avec un ‘‘racisme systémique’’, c’est-à-dire inscrit dans les structures et dans le fonctionnement routinier de ses institutions. Un racisme qui produit marginalisation, exclusion et discriminations, parfois même sans intentions délibérées de les commettre. Voilà ce que la France devrait avoir l’honnête exigence de reconnaître.

Posons ce préalable : le racisme dont il s’agit ici n’est pas le racisme d’individu à individu. Il n’a pas sa trivialité, il ne s’exprime pas avec sa vulgarité, il n’avance pas de manière aussi frontale. Mais au final, il peut être aussi brutal, aussi dévastateur pour des groupes entiers de populations qu’il impacte. Depuis quelques années, face à l’émergence de la parole des groupes marginalisés frappés par les discriminations, et grâce à l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, on peut observer en France, une levée de boucliers venant de ceux qui s’abritent derrière l’argument inconsistant d’un prétendu ‘‘racisme anti-Blancs’’ qui pourrait faire sourire le monde entier si les enjeux n’étaient pas aussi sérieux. Car enfin, qui ignore que le racisme est une pensée de système qui se distingue par l’expression d’un pouvoir exercé par des groupes puissants à l’encontre de groupes dominés, afin de s’assurer la perpétuation de privilèges illégitimes, hors toute règle éthique. Ce racisme systémique étouffe des talents de créateurs dans les arts plastiques, le cinéma, le théâtre, la musique, … bride les initiatives économiques… Une richesse inexprimée, des potentialités entravées par le boulet des différences raciales et culturelles dans l’Hexagone comme dans les « Outre mer ».

Plutôt que se livrer à une guerre de tranchées totalement inutile et improductive, pour tenter de faire survivre un vieux monde décati, à contre courant de l’histoire, ne faudrait-il pas ensemble et avec courage, regarder l’horizon ?

Telle est notre proposition adressée à la France. A son gouvernement, à ses institutions et à ses citoyens privilégiés.

Oui, la France est une ancienne puissance coloniale qui doit construire un autre futur. Enfin ancienne c’est peut-être trop vite dit, car elle est aussi la dernière du monde occidental à posséder des colonies qu’elle a avalées, départementalisées, pour empêcher ces petits pays de faire valoir devant l’ONU le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Comme si changer le nom d’une chose pouvait en changer la nature profonde ! Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, récemment Mayotte… Ajoutez-y la Kanaky (Nouvelle Calédonie), la Polynésie… et vous avez ce qu’il est convenu d’appeler les « confettis de l’empire colonial ». L’emprise exercé sur ces pays, désignés sous le nom exotique d’« Outre mer » permet à la France de se maintenir, à leurs dépends, dans le concert des ‘‘grandes’’ puissances mondiales avec une surface maritime étendue et une présence militaire, économique et scientifique dans toutes les mers du monde.

Il est indéniable que les rapports de domination instaurés avec les ‘‘colonies-départementalisées’’ et les autres « Outre mer », hérités de l’esclavage et de la colonisation produisent ce racisme systémique qui ne peut disparaître par enchantement sans la reconnaissance préalable de son existence, sans volonté politique claire de l’État, sans un état des lieux précis devant déboucher sur des actions étendues à tous les domaines, à toutes les institutions, bien au-delà de la police qui n’est (en dépit de la découverte d’un Facebook de 8 000 policiers échangeant des post racistes), qu’un aspect visible de la question.

Il se pourrait bien, que le défi majeur que la France ait à relever en ce siècle, soit celui d’initier la décolonisation de l’ensemble de ses institutions. Un véritable ‘‘déconfinement’’ de la pensée autant que des pratiques, pour une égalité sans faille des citoyens, toutes origines confondues, dans les domaines de l’art, de la culture, de l’éducation, des relations sociales et interraciales, de l’économie…, toutes héritées d’un monde qui doit mourir pour que puisse fleurir un autre, ensemencé par le sacrifice de George Floyd.
#Racisme Systémique #GeorgeFloyd #Race #Décolonisation
#ViolencesPolicières #PlaquageVentral

Jocelyn Valton
Critique d’Art – AICA

jocelynvalton.blogpost.com

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