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Billet de blog 2 mars 2024

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À propos du documentaire « La guerre des moutons »

Ce film a été réalisé par la Jolie Prod, travaillant principalement pour la télévision de service public, à savoir France Télévisions et Public Sénat.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Celui-ci a été projeté en avant première vendredi 16 février 2024, dans le cadre des rencontres documentaires de Jullouville.

Il a été diffusé sur Public Sénat le 24 février 2024 à 21 h et sera suivi d’un débat.

Préambule

J’ai été contacté par Jolie Prod pour témoigner dans ce documentaire, le réalisateur ayant remarqué plusieurs articles sur la bergerie de Genêts publiés sur mon blog sur Médiapart.

J’ai toutefois signalé que je n’étais plus membre de Manche Nature depuis début janvier 2022, et que j’avais été membre du bureau de cette association et que je ne ferai aucun commentaire sur l’action de Manche Nature.

Dans le document que m’a demandé de signer la Jolie Prod, figurait uniquement l’éventualité de la présence de « Moutons » dans le titre.

Je n’ai eu aucune information sur le tournage, sur les personnes auditionnées, ni sur le contenu, juste que le document serait diffusé sur Public Sénat et FR3 Bretagne.

Illustration 1

Sur le documentaire 

Le titre :

Le choix de « La guerre des Moutons » à part l’allusion humoristique à la « Guerre des Boutons » s’arrête à cette expression !

Il n’y a aucunement guerre des moutons, ou contre les moutons, ni contre l’élevage d’agneaux dans les prés salés de la Baie du Mont St Michel, contre lequel personne ne s’est élevé et encore moins l’association Manche Nature.

La procédure engagée par cette association a été uniquement déclenchée pour irrespect de la loi Littoral (1986) du fait que le terrain des Porteaux (commune de Genêts) est situé en espace remarquable du littoral, en zone naturelle protégée, interdisant toute construction dans les espaces proches du rivage, avec en plus le problème de la co-visibilité avec le Mt St Michel, en outre sur une zone humide identifiée dans les documents d’urbanisme .

Le contenu :

Il faut constater et regretter que le film auditionne majoritairement des défenseurs du berger contre seulement une audition ramenant au sujet de l’irrespect de la loi littoral, quel que soit le type d’élevage ou d’activité d’ailleurs.

La conséquence préméditée c’est de faire apparaître l’association de protection de l’environnement comme la méchante, alors que les responsabilités de cette infraction sont ailleurs.

Les aspects positifs :

Tout d’abord la qualité des images, sans compter les prises de vues aériennes sur les herbus et la baie.

Le rappel à la loi littoral ainsi que la chronologies des démarches administratives du Berger.

L’intervention du journaliste de la Manche Libre qui tisse un portrait du berger et de sa famille de bon aloi.

- La présentation claire de certains intervenants, à commencer par l’ex sénateur Bizet, présenté comme pro OGM ayant eu maille à partie avec Greenpeace (et pas que d’ailleurs!) dont les propos dans le doc déroulent le chaud et le froid, disant qu’il a voulu aider le berger dont il connaissait la famille, et se demandant si ses interventions ne l’avaient pas plus desservi que servi ?

Il reconnait également qu’il avait présenté  un amendement à la loi Littoral appelé « amendement Cerbonney » ainsi que ces chartes pour une meilleure application de la loi littoral, mais sans citer les références.

Il se définit comme un ami de la science et des milieux économiques, c’est pas faux !

Mais il n’hésite pas à devenir odieux rappelant la tentative de suicide (heureusement inaboutie) du berger en disant « je suis sévère en direction des gens qui indirectement en sont la cause ». C’est un raccourci facile en vue de masquer les autres responsabilités et un peu plus complexe que la simple signification d’un jugement ?

- Le rappel juridique du dossier, même s’il contient des raccourcis, par exemple en partant du jugement du Tribunal Administratif directement au Conseil d’État, mais en omettant l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Nantes confirmant le jugement d’annulation du permis par le TA, et le fait que le Conseil d’État a rejeté purement et simplement le pourvoi formulé par l’ancien maire de Genêts et le Berger, confirmant de facto les jugements et arrêts précédents.

Il est bien rappelé que le berger avant de construire avait demandé quatre permis de construire tous refusés, et que sur le conseil de l’ancien maire de Genêts (M Lalisse) celui ci lui avait conseillé (après les 4 refus) de s’installer, et qu’ils se débrouilleraient pour le permis, ce que fit innocemment et imprudemment le Berger.

Il a donc obtenu un permis « de régularisation » après un vote favorable pour le moins curieux (6 pour, 6 abstentions, 1 contre) de la CDNPS (Commission Départementale de la Nature, des Paysages et des Sites) entériné par l’ex ministre de l’Ecologie de l’époque (Mme Kosiusko-Morizet).

- Autre point, qui conforte la véracité de la loi littoral, c’est la comparaison entre les bergeries littorales dans la Manche et dans l’Ille et Vilaine, sauf que dans le 35 même proches du rivage elles datent de bien avant la promulgation de la loi littoral, en conséquence il n’y a pas interprétation différente de la loi en Bretagne et en Normandie. Point n’est besoin d’être grand juriste pour le comprendre.

- Dans le même sens la Maire de Genêts présente le cadastre napoléonien datant du début du XIX siècle soit 170 ans avant la loi littoral pointant la présence de bergeries en bordure du domaine maritime, omettant de signaler leur petitesse et la disparition de la grande majorité d’entre elles et des éleveurs disposant d’un trop petit cheptel.

- La présence sur les marchés du coin d’un camion de vente de viande de bœuf et d’agneau par le berger, estampillée bio, AOP et locale, il a obtenu récemment la certification bio mais pour l’AOP il ne figure toujours pas sur la liste des éleveurs sous ce label !

- Les séquences bucoliques du berger dans les herbus, en posture naturaliste, ou pratiquant la tonte d’une brebis, que personne ne conteste, mais qui laisse de côté le sujet principal à savoir d’une construction juridiquement illégale et jugée comme telle.

A un moment d’ailleurs lors de l’audience au Tribunal Administratif il se plaint de l’absence de l’avocat de la mairie, curieux que ces points n’aient pas été développés afin de démontrer la responsabilités des élus de la commune dans l’engrenage juridico/judiciaire de ce dossier menant jusqu’au désarroi du berger, en accusant l’association environnementale, plutôt que d’admettre leurs erreurs.

Les aspects négatifs :

L’un des intervenants de ce film est François Dufour (en qualité d’ancien conseiller régional pour EELV) défendant les élevages de moutons dans les prés salés (les herbus) en omettant bien évidemment de signaler toute atteinte à la loi littoral, confirmée en l’espèce par la justice, et allant jusqu’à présenter l’élevage du Berger, comme un exemple « d’agriculture paysanne », mais ce n’est pas le sujet !

Il faut aussi noter qu’il ne parle nullement des autres éleveurs d’agneaux prés salés, installés entre Cancale et Barneville Carteret, dont une dizaine seulement sont sous le label « AOP Agneaux Prés Salés de la Baie du Mont Saint Michel, et dans la Manche ils pratiquent tous une transhumance que pour aller de la bergerie aux herbus en période d’agnelage ou de marées submersives, les races ovines présentes étant résistantes pour demeurer dans les herbus.

Le témoignage du couple Horel/Mayer, qui en direct contacte par téléphone Manche Nature pour que la BAD rencontre l’association, sans réponse.

Cette phrase qui en dit long quand ils prétendent vouloir adhérer à Manche Nature se reconnaissant dans ses valeurs, après avoir dit que l’association voulait casser le gosse de riche, et là on est dans le mépris et la calomnie.

Il aurait été opportun de préciser la date de cet appel datant d’au moins 1 an voir 18 mois (sachant que les auteurs du film ont précisé que le tournage a duré 2 ans).

Là encore des raccourcis visant à discréditer Manche Nature qui n’a jamais refusé depuis 2015 de rencontrer les services de l’État, la sous préfecture, répondant même positivement à la demande d’un élu (septembre 2021) pour rechercher une solution avec toutes les parties concernées.

Il faut constater de la part des intervenants une propension à considérer le spectateur comme inculte en expliquant à plusieurs reprises, la loi et l’esprit de la loi, l’interprétation de la loi, l’évolution de la loi, en citant des exemples non vérifiables et hors sujet, que ce soient des élus, des juristes ou pseudos juristes tels que M Bizet, Mme Bruneau-Rhyn ou Mme Michel.

Les aspects mitigés :

C’est le portrait idyllique qui est tiré du berger démarrant par son aménagement dans la maison de sa grand-mère, et se découvrant soudainement une vocation de berger, éleveur d’agneaux pré salés.

Les différentes interventions sont entrecoupées de scènes bucoliques du berger dans les herbus présentant des espèces y poussant et se présentant comme plus écolo que Manche Nature, ou encore celle de la tonte des brebis, ce ne sont que de belles images, qui n’apportent rien au sujet de fond qui est purement et strictement juridique.

Les manques :

Lors de la présentation de l’équipe et du film pour la projection en avant première, ceux-ci ont bien précisé qu’effectivement le film avait nécessité 2 ans de tournage, que Manche Nature avait refusé toute audition, mais ils n’ont pas dit s’ils avaient eu d’autres refus et pourquoi n’ont ils pas contacter d’autres interlocuteurs, notamment :

- Aucune autre association de protection de l’environnement départementale ou régionale.

- La chambre d’agriculture.

- la FDSEA qui après avoir soutenu le berger dans la presse il y a deux ans, dont on aimerait bien comprendre le silence depuis.

- Les Jeunes Agriculteurs.

- La Coordination Rurale.

- La Confédération Paysanne (qui s’est aussi prononcée publiquement sur l’illégalité de la bergerie)

- L’AOP Agneaux prés salés de la Baie du Mont St Michel.

- Le Conservatoire du Littoral.

- La DDTM (il est bon de précisé qu’une réunions a eu lieu en 2018 à la DDTM a la demande du préfet en présence de Manche Nature et du Conservatoire du littoral pour évoquer les pistes de solutions, malheureusement sans suite, pourquoi ?).

- La Préfecture de la Manche (Une réunion a eu lieu en 2015 en présence de Manche Nature à la sous préfecture d’Avranches en présence de la DDTM qui se proposaient de trouver une solution ? On connaît la suite!).

- Pourquoi n’avoir pas contacté la médiatique bergère de St Germain sur Ay et maire de Lessay, Stéphanie Maubé, qui elle aussi fait pâturer ses moutons dans les herbus, mais dont la bergerie se situe en dehors des espaces remarquables !

- Certains élus locaux qui ont un temps apporté leur soutien au berger notamment :

le maire d’Avranches M Nicolas, le député de la circonscription M Sorre, qui n’hésita pas à déclarer dans la presse vouloir intervenir auprès du ministère de l’écologie pour l’obtention d’un nouveau permis ? ou encore l’ancien maire de St Aubin de Terregatte M Carnet.

- Les grands absents sont les voisins immédiats de la bergerie, mais on quitterait le juridique pour aborder le comportemental, bien évidemment éléments de compréhension mais hors sujet.

Le débat

Celui ci a commencé par quelques précisions de l’équipe de tournage, et quelques interventions dans la salle qui était majoritairement acquise au berger.

Un interlocuteur a commencé par demander si quelqu’un de Manche Nature était présent dans la salle, c’est malin, car cela aurait été pour l’entendre sereinement ou pour le lyncher ?

Puis le même un peu plus tard a posé la même question à propos de la Chambre d’Agriculture. Elle n’a pas été sollicitée pour intervenir dans le documentaire, et en conséquence non invitée à l’avant première.

Une autre personne a souligné l’aspect positif de production locale bio en vente directe, mais toujours sans parler de l’accessibilité à une très faible partie de la population locale en raison des prix affichés supérieurs à 35 € le kg.

Puis on a eu une intervention à la tribune du berger et d’un ami de celui-ci, nommé Deslandes, se présentant comme juriste et ancien législateur surtout, regrettant que ces projets de textes n’aient pas été retenus, et de ce fait tentant de donner à la salle une drôle de leçon de droit, expliquant l’esprit et la lettre de la loi, donc prenant les participants pour des ignares.

Mais le graal fut atteint quant il a essayé de démontrer l’incohérence juridique des jugements et arrêts. Ceux-ci ne sont prononcés que sur des attendus motivés et expliqués qu’il devrait lire ou relire.

Il cita ensuite le premier alinéa de l’article 2216 du Code Civil « En fait de meubles possession vaut titre » dont on se demande encore ce que cette citation venait faire dans le débat, en tout cas complètement hors sujet et totalement inappropriée ?

L’une des dernières interventions fut celle de Mme Bruneau-Rhyn, actuelle édile de Genêts, rappelant à la salle qu’en « qualité de juriste », la loi devait évoluer, et qu’en tout état de cause l’exploitation du berger protégeait la biodiversité.

Elle a quand même précisé que le conseil municipal de Genêts avait accepté que le Conservatoire du Littoral puisse se porter acquéreur de terres en zone littorale sur la commune sans aller à lui accorder un droit de préemption.

A la fin seulement un membre de l’équipe de tournage a signalé une concertation avec le Conservatoire du littoral pour trouver une solution.

Bien évidemment que cela aurait pu être évoqué dans le documentaire, c’est en septembre 2021 qu’un élu du PETR (Pôle d’Equilibre Territorial et Rural) a demandé à Manche Nature s’il elle accepterait de participer à une réunion de travail pour trouver une solution ce à quoi elle a répondu positivement à condition que ce soit une relocalisation, ce qui fut accepté, et l’association a effectué en vue de la première réunion un gros travail de recherche de terrains d’accueil avec le Conservatoire du littoral. C’est toujours en cours, mais cela ne sera possible que si un consensus acceptable est proposé et surtout accepté tant par le berger que par les services de l’État, les édiles locaux, le Conservatoire du Littoral.

Les remarques :

A propos notamment de la maire de Genêts, qui était déjà deuxième adjointe lors de la mandature de M Lalisse, qui avec une certaine faconde, une certitude absolue et une bonne dose de mauvaise foi en tant que « juriste », nous parle d’évolution de la loi et de biodiversité, curieux non !

Sur la loi et son respect, qui a incité le berger à construire, en lui promettant la régularisation, sachant (sinon c’est grave) que toute construction de cet ordre à cet endroit était impossible, car située en zone naturelle protégée et espaces remarquables du littoral, et ce après 4 refus de permis.

Qu’ensuite après que le permis ait été obtenu et attaqué par Manche Nature, la mairie a soutenu le berger, l’accompagnant dans le combat juridique au TA, puis en appel jusqu’au pourvoi en cassation rejeté, entrainant ce garçon dans un combat vain, au lieu de reconnaître leur erreur et de rechercher tout de suite une solution.

De plus lors de l’élaboration tant du PLU de Genêts que du PLUi de la CAMSMN, la parcelle a été zonée « Nb » soit zone naturelle bergerie, ce qui est parfaitement inutile d’ajouter un « b » les zones naturelles étant règlementairement inconstructibles ?

Sur la protection de la biodiversité de l’exploitation par la maire, il est bon de rappeler qu’en vertu des documents d’urbanisme précités tout le secteur des Porteaux est en « zone humide ». La biodiversité a donc été détruite sur la parcelle d’implantation de la bergerie.

Illustration 2

A la fin de ce débat à charge, une personne à la tribune a appelé à tous adhérer à Manche Nature pour en prendre le contrôle ?

Quelques jours après la soirée de Jullouville, j’ai contacté Erwan Luce pour lui faire par de mes impressions sur le film, et en fin d’entretien en évoquant certaines interventions de la salle, il m’a dit textuellement : « je vous ai envoyé l’invitation et j’ai trouvé très courageux à vous d’être venu » !

Raison de plus pour ne pas intervenir lors de ce débat.

Le débat sur LCP

Difficile pour la journaliste d’animer un débat après un tel documentaire, apparemment à chaud après la projection, rendant peu aisé d’avoir un point de vue non partial contrairement au documentaire.

Arnaud Gossement, ancien porte parole de France Nature Environnement, et avocat en droit de l’environnement, s’est borné à redéfinir la loi littoral pour les néophytes, d’une prudence extrême sur le dossier lui même, et avouant qu’il est aussi avocat d’affaires et lobbyiste pour des sociétés d’implantation d’éoliennes ou de panneaux photovoltaïques. Mais il a à juste titre évoqué la mise en place d’un médiateur en droit environnemental.

Le sénateur Folliot, peu intéressé par le cas du berger, restant aux généralités en citant des exemples complètement hors sujet.

Thierry Coste, lobbyste de la chasse, ami de Macron, passé des Paysans Travailleurs à la droite dure (voir sa fiche Wikipédia) coupant la parole des autres intervenants, vilipendant la loi littoral qui doit évoluer, se posant en ami de François, mais sans avoir une réelle connaissance du dossier.

De surcroit il méprise sur un ton moqueur et sarcastique certains intervenants du film se posant en écolo défenseur de l’environnement faisant surtout la promotion de son bouquin.

Enfin Lucile Schmidt, élue écologique des Hauts de France, qui a été la seule après la projection à déceler et souligner la responsabilité des élus dans ce dossier, notamment ceux de la commune.

Pour revoir le documentaire et le débat sur LCP :

https://www.publicsenat.fr/emission/documentaire/la-guerre-des-moutons-e0

https://www.publicsenat.fr/emission/un-monde-en-doc/un-monde-en-doc-paysans-associations-deux-ecologies-irreconciliables-e19 

Conclusion

Ce documentaire bien fait au demeurant n’en est pas moins volontairement partial entrainant le spectateur sur un sujet qui n’en est pas un à savoir l’élevage d’agneaux prés salés, au lieu de centrer sur l’irrespect de la loi littoral et du comportement d’élus dans le déni et le mépris, alors qu’ils sont mandatés à divers titres (maire, sénateur, député, conseillers généraux et régionaux) pour notamment appliquer et faire respecter les lois de la république.

Toutefois il contient suffisamment d’éléments du dossier juridique autour de la Bergerie illégale qui permet au spectateur de déceler la responsabilité des élus.

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