Voici le premier communiqué du :
Collectif Pour la dignité du tourisme mémoriel à Caen-la-Mer
Hommage aux héros :
les dangers d'un projet en trompe-l’œil
Évoqué une première fois en janvier 2020 par Hervé Morin, président du Conseil régional, le projet de parc mémoriel a initialement été désigné sous le nom de D-Day land, avant de prendre le nom tout aussi problématique d’Hommage aux héros.
La principale attraction du projet est une tribune mobile de projection vidéo de 1 000 places se déplaçant sur 400 mètres et ouverte sur des décors extérieurs au milieu desquels évolueraient des acteurs. L’ensemble est présenté par les promoteurs comme « un gros show » sur la bataille de Normandie qui créera un « effet waouh ».
La création de ce parc fut d’abord envisagée à Bayeux, hypothèse assez rapidement écartée au profit de Carentan-les-Marais. Après deux ans d’études et de débats, les promoteurs ont finalement renoncé à ce second site, prenant acte des réactions de rejet, des problèmes environnementaux posés par le projet et du rapport très critique de la Mission de Régulation et d’Autorité Environnementale (MRAE). Le site de la SMN à Colombelles est désormais envisagé.
Indépendamment du lieu, les critiques développées depuis 3 ans restent d’actualité :
Educatif : l’argument éducatif avancé par les promoteurs, qui évoquent « une grande leçon d’histoire », ne résiste pas à l’examen. Le découpage de ce spectacle de 45 minutes en 17 scènes (soit 2,5 minutes chacune) s’apparente en fait à un « zapping ». Pour capter un public international très large, le projet renonce à tout discours construit. Or, comment transmettre le savoir sans textes ni paroles? L’image et les effets sonores ne sauraient se substituer à un discours raisonné. Ils n’ont pour seule fonction que de susciter des émotions et des sensations.
Scientifique : les noms de quelques historiens (notamment Jean Quellien et Antony Beevor) furent mentionnés au début du projet, et la création d’un comité scientifique a même été annoncée. Dans les faits, depuis deux ans, ces historiens ne sont à aucun moment intervenus pour défendre le projet ; tout au contraire, plusieurs spécialistes de la période en ont livré une critique sans appel, soutenue par une centaine de leurs collègues (tribune parue dans Le Monde le 26/09/2022). Quant au comité scientifique, les promoteurs ont finalement déclaré qu’il n’était pas utile.
La création d’un comité scientifique est à nouveau annoncée. Cependant, s’il devait voir le jour, son rôle serait dérisoire : un fonctionnement normal aurait voulu qu’il intervînt dès les débuts du travail de conception. Or, si ce comité est constitué alors que le scénario est largement élaboré, ses interventions ne pourront être que marginales. Par ailleurs, alors que les spécialistes sont très nombreux à dénoncer ce projet, la question de la composition et de l’indépendance de ce comité se pose et, plus encore, celle de sa capacité à faire respecter ses avis dans le cadre d’un projet privé qui, au-delà de sa proposition initiale, sera forcément amené, au fil du temps, à faire évoluer son spectacle pour renouveler et élargir son public.
Ethique : Faute de pouvoir constituer un comité scientifique, un comité dit « d’éthique » a été créé à l’automne 2022. Ce comité ne comprend aucun historien, aucun philosophe, aucun juriste, aucune autorité morale. Ses prises de position publiques ont d’ailleurs révélé que ce comité n’avait d’éthique que le nom. Or, le principe même d’un spectacle immersif sur la guerre interroge. Quid de la violence et des souffrances subies par les combattants et les civils ? Comment, par exemple, seront traités les bombardements aériens alliés qui, pour le seul jour J, ont délibérément ciblé une quinzaine de villes normandes pour retarder les renforts allemands ? Alors que la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est encore très sensible dans de nombreuses familles normandes, un spectacle basé sur l’exploitation de la souffrance humaine pour générer du profit doit questionner. En ce sens, des changements cosmétiques et une nouvelle étiquette ne changeront rien.
Les vétérans : de nombreuses associations et familles de vétérans français ou étrangers (notamment américains et britanniques) voient dans ce projet une exploitation marchande de leur engagement et du sacrifice de milliers de vies. Léon Gautier et Hubert Faure, les deux derniers membres du commando Kieffer, s’y sont opposés, notamment au travers d’une lettre ouverte, aux côtés d’un millier de personnes d’horizons très divers : responsables d’associations mémorielles ou environnementales, enseignants et chercheurs, militaires de haut rang, philosophes, élus, ou citoyens se sont simplement indignés à l’idée de voir se développer un immoral « business mémoriel ».
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Économie et emploi : Tous les projets de cette nature n’aboutissent in fine que grâce au soutien financier, économique et logistique de la puissance publique et des collectivités locales, sous des formes très variées, directes ou indirectes.
L’éventuelle création du parc d’attraction – projet privé, rappelons-le - engendrera de fait des coûts et investissements induits et marginaux non identifiés à ce jour : nouveaux équipements d’infrastructures, ouvrages primaires de desserte du site, redimensionnement des réseaux, apport et traitement du foncier, dépollution. Fort de ce constat, la décision politique d’engager ce projet ne doit pas être préalable à la pleine connaissance et maîtrise de son économie générale, ainsi qu’à la mesure objective de ses enjeux. Il serait inconcevable que les élus ne disposent pas de toutes les études d’impact et de faisabilité indispensables avant toute décision. Ces études auront pour objectifs, d’une part, de révéler l’ensemble des incertitudes et impasses financières et techniques que l’éventuelle création de ce parc générerait et, d’autre part, de qualifier et quantifier ses effets et incidences, à la fois, à l’échelle de l’agglomération caennaise (concurrence de l’offre, desserte en transports collectifs, etc.) et sur son environnement immédiat (fréquentation, flux de circulation, nuisances induites, etc.).
Deux points, parmi d’autres, nous interpellent d’ores et déjà :
La nuisance sonore, en premier lieu. L’effet « waouh » recherché par les promoteurs et la sonorisation « plus vraie que nature » d’un spectacle à l’air libre impliquent le recours à une sonorisation très puissante. Or, implanté sur le plateau de Colombelles, le projet serait à proximité immédiate de quartiers résidentiels et de zones d’activités tertiaires qui peinent déjà à démontrer leur attractivité. Fonctions résidentielles actuelles ou futures et de divertissement sont ici incompatibles.
La dépollution des sols, en second lieu. L’ancienne vocation industrielle du site a fortement impacté la qualité des sols, interdisant tout développement d’opérations nouvelles avant une dépollution complète des terrains. Il est tout à fait possible que le coût de dépollution du foncier cessible soit supérieur à la valeur marchande desdits terrains. Le projet est estimé à 90 millions d’euros par ses promoteurs. La simple connaissance de la charge foncière inscrite dans leurs bilans et budgets prévisionnels suffira à prendre la mesure du gouffre financier entre ce que peuvent proposer les investisseurs pour l’achat des terrains publics et le reste à charge pour les collectivités locales.
Quant à l’emploi, le flou demeure. Peut-on imaginer sérieusement que, fonctionnant 6 à 8 mois par an, le site emploie entre 150 et 200 personnes à l’année ? Il est en fait fort probable qu’il s’agisse essentiellement de postes en CDD et d’intermittents du spectacle dont une part du salaire incombera à la communauté.
On nous annonce aujourd’hui une nouvelle version du projet, renommé une fois encore. Nous ne croyons pas que ce spectacle à sensations et à gadgets technologiques puisse changer d’âme ; mais, plus encore, nous nous inquiétons des dommages économiques qu’il ne manquera pas de créer aux autres musées en détournant une part de leur public, et nous redoutons la dégradation de l’image qu’une politique mémorielle raisonnée a pu construire au fil du temps. En ce sens, la communauté urbaine de Caen-la-Mer devrait tout particulièrement veiller à ce que le Mémorial, à la réputation internationale solidement établie, ne pâtisse pas de l’arrivée de ce mastodonte.
Pour le Collectif pour la dignité du tourisme mémoriel à Caen-la-Mer :
Bertrand LEGENDRE, professeur émérite, université Sorbonne Paris Nord Jean-Luc LELEU, historien au CNRS, université de Caen-Normandie Jean–Paul OLLIVIER, ancien directeur régional des affaires culturelles de Normandie Christophe PROCHASSON, historien, ancien recteur de l’académie de Caen
Contact : cdtmcaenlamer@gmail.com

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