Les projets de loi foncière
Le numéro de janvier février d’espoir paysan nous a alléché sur ce sujet
Deux projets de lois un peu différents vont être déposés sur le bureau de l’assemblée nationale, afin de tenter d’enrayer « l’accaparement des terres agricoles » par des sociétés dont la vente des parts échappe au droit de préemption de la SAFER (Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural) si elle ne porte pas sur la totalité.
De plus l’un de ces projets prévoit une autre structure d’autorisation par le biais des préfets.
Mais quant on y regarde de plus près notamment la définition du seuil, on se retrouve avec la SAU (Surface Agricole Utile) qui fluctue en fonction de la production agricole, et aussi par régions.
Les mailles du filet (dit de protection) sont encore beaucoup trop larges.
De plus ces projets constituent des rustines supplémentaires sur un système dont les limites apparaissent de plus en plus, permettant ainsi par le biais de ces cessions de parts, des mutations de propriétés au profit de sociétés financières, agro-industrielles, de sociétés étrangères certaines se cachant à peine d’agir pour le compte de tel ou tel pays.
En conséquence il faut renforcer le droit de préemption des SAFER mais en même temps sortir ces sociétés du giron exclusif et par trop directif de la FNSEA et de ses ramifications régionales et départementales.
Les comités techniques SAFER départementaux devraient accueillir à parité les syndicats agricoles, mais aussi des associations environnementales agréées, voir des représentants d’associations citoyennes constituées communales ou intercommunales et bien sûr des élus.
Un peu d’histoire
Au sortir de la deuxième guerre mondiale le pays doit se reconstruire et notamment son agriculture, afin d’assurer la pérennité des fermes, le 13 avril 1946 le statut du fermage est mis en place accordant notamment au fermier titulaire d’un bail rural un droit de préemption en cas de vente des terres ou de la ferme.
La loi d’orientation agricole du 5 août 1960 créé les SAFER, dont l’objectif sera de réorienter les exploitations agricole, d’installer des jeunes, et ainsi d’augmenter la production.
Ensuite se sont mises en places des sociétés foncières que ce soient les sociétés civiles agricoles, mais aussi et surtout les GFA (Groupements Fonciers Agricoles).
Ces derniers se déclinant sous différentes formes investissement (notamment par les banques leur permettant ainsi d’acquérir de grands domaines viticoles ou arboricoles) mais surtout familiaux (permettant le maintien d’une exploitation familiale après décès) et militants (pour empêcher de grands travaux inutiles avec changement de destination ou permettre le maintien d’un fermier sans la charge du foncier).
Les GFA militants les plus connus sont ceux du LARZAC (5000 ha env.), qui ont été réunis ensuite en un seul, dont les terres sont gérées par la SCTL (Société Civile des Terres du Larzac mise en place en 1981) ainsi que les terres acquises par les Domaines pour le compte de l’Armée 6400 ha) animée par un conseil de gérance, qui constitue le seul office foncier privé dans le pays, malgré les promesses du ministre de l’agriculture Rocard (Sous Mitterrand) qui n’a pas été capable d’en générer un seul.
Il faut rappeler aussi que de nombreuses manifestations ont eu lieu depuis Les Paysans Travailleurs notamment dans les années 70 pour s’opposer aux expulsions nombreuses de paysans souvent en difficulté. Ce qui générera plus tard la création de « Solidarité Paysans » structure satellite de la Confédération Paysanne.
Au fil des ans et des réformes, le droit de préemption de la SAFER s’est délité, pour se revigorer à partir de 2015, avec notamment la mise au pas des ventes en démembrement (usufruit d’un côté et nue propriété de l’autre, Article L 143-1 alinéas 5 et 6 du CRPM).
Mais les acquisitions foncières par le biais des cessions de parts de société de différentes formes ont prospéré pour faire échec au droit de préemption de la SAFER.
Malgré tout pendant des années c’est la politique du copinage qui est devenue la règle, sans oublier la transformation des SAFER en agence immobilières oubliant notamment leur rôle anti spéculatif.
Ainsi lorsqu’une vente était notifiée à la SAFER par le notaire, celle-ci dans un premier temps envoyait un agent foncier salarié pour enquêter sur place, ensuite et depuis c’est souvent le correspondant local (trop souvent) du syndicat majoritaire qui fait ce travail.
Mais par exemple dans la MANCHE le citoyen lambda qui est volontairement tenu éloigné de ces pratiques pourrait être légitimement consterné par des ventes qui se sont réalisées dans les derniers mois.
Quelques exemples récents du comportement de la SAFER dans la MANCHE :
- Pirou :
En vue de l’installation d’un méthaniseur à PIROU, l’un des pétitionnaires acquiert 600 ha de terres agricoles dans le secteur, avec la bénédiction de la SAFER de la MANCHE. Quelques mois plus tard la FDSEA informe que 500 ha seront cultivés en Maïs ! Cherchez l’erreur.
- Le Tanu :
Lors de l’examen en CDPENAF (Commission Dpartementale de Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers) d’un permis pour l’implantation d’un élevage de chiens sur moins de 0,5 ha on apprend que le pétitionnaire a acquis 6,4 ha avec la bénédiction de la SAFER. Cette dernière aurait prévenu le maire de l’époque par écrit. Un petit coup de téléphone aurait été le bienvenu comme le préconisas ultérieurement le sous préfet, afin d’éviter un quiproco fâcheux, et la colère tant des élus que de la population locale. Réaction du président de la Safer (élu) étiqueté FDSEA « nous n’avions pas d’autre demande » Un peu facile et simpliste comme réponse.
- La Lucerne d’Outremer et la Rochelle Normande :
Une exploitation laitière fait faillite, la ferme est mise en vente, l’information circule que la ferme serait démantelée en trois morceaux. La mairie de Lucerne d’Outremer néanmoins informée sur laquelle se situe les bâtiments et 20 ha de terres répond qu’elle n’a pas d’argent ! Mais elle fait partie de la communauté de communes de Granville Terre et Mer. C’était là l’occasion de constituer une réserve foncière à vocation agricole ! Heureusement l’exploitation a été reprise par un fils d’agriculteur local pour s’installer.
- La Lucerne d’Outremer :
Lors de l’examen en CDPENAF de la révision du PLU, les participants découvrent qu’une parcelle de 2 h a passe de zone A en zone Nc pour l’implantation de roulottes ou mobil Home. Sauf que le représentant de la FDSEA et aussi président Safer est parait-il furieux d’apprendre que la parcelle a été vendu au châtelain voisin pour étendre son activité « touristique ». Le dossier a été retoqué et doit repasser en CDPENAF. Mais quid de la vente de la parcelle ?
- Saint Senier de Beuvron :
La société STARLINK France (propriété d’Elon Musk, propriétaire des voitures Tesla, dont il a envoyé un exemplaire en orbite autour de la terre, si, si!) envisage pour le développement de la diffusion de la fibre partout dans le monde par satellites, d’implanter sur la commune de St Senier de Beuvron, 9 paraboles couvertes, et a jeté son dévolu sur une parcelle d’à peine 3 ha en zone agricole, et cultivée par un paysan bio. Deux problèmes locaux se posent l’accès au foncier et le passage par les services de l’État pour obtenir le permis de construire. Quelle sera l’attitude de la SAFER ? Il y a un fermier en place titulaire d’un droit de préemption, la SAFER titulaire aussi d’un droit de préemption après la purge de celui du fermier, alors comment serait il possible que ce soit cédé à un Industriel ? Affaire à Suivre !!!
- Le projet de D Day Land de Carentan :
Le président de région qui ne recule devant aucun sacrifice ni lubie a projeté d’installer un parc d’attraction autour du débarquement de Normandie, et le secteur de Carentan se précise. Espoir Paysan en a déjà parlé, mais depuis les éléments se précisent notamment la localisation à proximité d’un rond point proche de la 2X2 voies, mais en zone A du PLU (terres exploitées bien évidemment). La commune de Carentan est déjà en cours de négociation directe avec la SAFER pour acquérir quelques 58 ha de terres. C’est un procédé pour le moins curieux sauf si c’était à l’effet de pérenniser une réserve foncière agricole ? A suivre encore car ce dossier aussi devra passer en CDPENAF !
Une vraie réforme foncière, devrait être mue par plusieurs facteurs :
1) Quid de la propriété foncière (naturelle, agricole et forestière)
En tout état de cause la réforme oublie un élément de base la terre appartient à qui ?
C’est tout le problème de la propriété foncière qui est à revoir et pas sans grincements de dents.
Il y a quelques décennies toutes les communes détenaient des terres appelées « communaux » qui étaient mises à la disposition des paysans. D’ailleurs certaines bourgades de montagne en possèdent encore, et sont heureuses de trouver par exemple des éleveurs de chèvres pour pâturer ces parcelles.
Le grand dam est venu de la parcellisation par le biais du cadastre donc de la privatisation au cours de laquelle certains se sont bien servis. Ce qui fut le cas lors des opérations de remembrement où des propriétaires se sont vus attribuer des terres sans aucune valeur agronomique.
Puis le prix de la terre a commencé à être régulé lors de l’apparition des SAFER étant auparavant l’occupation des marchands de biens.
La SAFER a pu maitriser un moment la valeur du foncier, mais s’est vite retrouvée face aux spéculateurs et aux bétonneurs patentés.
C’est donc l’ensemble du foncier qui est passé sous contrôle des spéculateurs, la preuve dans le département, mêmes les agences immobilières vendent de la terre agricole.
Alors la proposition serait de dire (comme cela existe dans certains pays) que la terre est un bien commun et qu’en conséquence n’étant pas une marchandise, il ne peut être abandonné à la spéculation.
C’est sûr beaucoup vont tomber de leur chaise, mais c’est bon ils s’en remettront.
Les communes et inter communalités doivent mettre en place dans un premier temps des réserves foncières naturelles, agricoles et forestières, et constituer des offices fonciers qui auront pour vocation de conférer des baux ruraux à long terme, environnementaux, avec obligation de pratiquer une agriculture paysanne,biologique, en permaculture, en biodynamie, en agro foresterie, et exempte donc de tout pesticides ou engrais chimique de synthèse ainsi que d’OGM.
La gestion des bois et forêts devrait être confiés à l’ONF transformée en société de service public exemptée de tout objectif de rentabilité. Les plans de gestion de certaines sociétés « forestières » laissent quelque peu à désirer, notamment en abattant du feuillu pour replanter du Douglas (résineux acidifiant) mais à croissance rapide !
2) Quid du devenir et du fonctionnement des SAFER
En préambule, il est bon de rappeler les objets de préemption de la SAFER :
Article L143-2
Modifié par ORDONNANCE n°2015-1174 du 23 septembre 2015 - art. 9 L'exercice de ce droit a pour objet, dans le cadre des objectifs définis à l'article L. 1 :
1° L'installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs ;
2° La consolidation d'exploitations afin de permettre à celles-ci d'atteindre une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles et l'amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes, dans les conditions prévues à l'article L. 331-2 ;
3° La préservation de l'équilibre des exploitations lorsqu'il est compromis par l'emprise de travaux d'intérêt public ;
4° La sauvegarde du caractère familial de l'exploitation ;
5° La lutte contre la spéculation foncière ;
6° La conservation d'exploitations viables existantes lorsqu'elle est compromise par la cession séparée des terres et de bâtiments d'habitation ou d'exploitation ;
7° La mise en valeur et la protection de la forêt ainsi que l'amélioration des structures sylvicoles dans le cadre des conventions passées avec l'Etat ;
8° La protection de l'environnement, principalement par la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées, dans le cadre de stratégies définies par l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics ou approuvées par ces personnes publiques en application du présent code ou du code de l'environnement ;
9° Dans les conditions prévues par la section 3 du chapitre III du titre Ier du livre Ier du code de l'urbanisme, la protection et la mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains.
Il est donc surprenant de constater que des terres soient vendues à des non agriculteurs, ou pour des activités certes agricoles mais pouvant s’effectuer ailleurs que sur des prairies naturelles par exemple de surcroît en zone Natura 2000 (Le Tanu) !
C’est pourquoi dans un premier temps cette réforme foncière devrait renforcer le droit de préemption de la SAFER sur toutes les cessions de parts de sociétés (partielles ou totales) propriétaires de terres agricoles, naturelles ou forestières.
Cela nécessite une réorganisation de la SAFER, de sa composition jusqu’au niveau départemental, afin que cesse le joug « totalitaire » d’un seul syndicat agricole, et s’inscrire dans un fonctionnement de démocratie participative.
3 Quid du modèle d’agriculture ?
Bien évidemment que ce sujet est majeur, quel modèle d’agriculture demain, pour la France.
En premier lieu un besoin de planification de production en tenant compte bien sûr des effets du changement climatique donc de la protection de la biodiversité.
Cela permettrait de produire en agriculture paysanne, biologique, permaculture, agro foresterie, loin de cette agriculture productiviste issue du plan Marshall, basée sur le volume et non sur la qualité, de plus en plus réclamée par les consommateurs, et surtout basée sur l’agriculture chimique avec 1force pesticides et engrais chimiques de synthèse, ou de digestâts de méthaniseurs aux valeurs agronomiques douteuses.
Cette agriculture permettrait dans un département comme la Manche de pérenniser et amplifier le maillage bocager, et développer des massifs forestiers capteurs de carbone.
La terre doit rester à celui qui la travaille mais pas n’importe comment.
LE MONDE N’EST PAS UNE MARCHANDISE , LA TERRE NON PLUS !