80 historiens disent non à la marchandisation de l'histoire du débarquement
A trois reprises déjà, la communauté pédagogique et scientifique a condamné le projet « Normandy Memory » (naguère connu sous le nom « Hommage aux héros »), par une déclaration de l’Association des Professeurs d’Histoire-Géographie, puis par une tribune signée par quatre spécialistes de la Seconde Guerre mondiale et soutenue par plus de 80 de leurs collègues, enfin, par une autre tribune de l’ex recteur de l’Académie de Caen, Christophe Prochasson.
Ce projet est présenté comme un « documentaire historique théâtralisé d’une heure, sourcé, documenté avec des films et des photos d’archives de part et d’autre du plateau de théâtre ».
Qu’un documentaire soit documenté, c’est bien le moins que l’on puisse attendre ! Qu’il contienne des films et des images d’archives est un minimum indispensable, mais c’est aussi très insuffisant quand on prétend faire œuvre de transmission historique. Les archives ne valent que par leur mise en contexte et par un commentaire qui, appuyé sur un discours adapté aux différents publics concernés, en donne le sens et la valeur. C’est ce travail de médiation que font les musées et les enseignants … et que « Normandy Memory » ne fera pas. Il faudrait pour cela disposer de lieux spécifiques, de temps différenciés et de personnels de médiation dédiés et qualifiés, ce qui est incompatible avec l’équipement prévu (une tribune mobile de 1000 places circulant devant des décors et proposant le même spectacle de 50 minutes jusqu’à 6 fois par jour pour atteindre 600 000 spectateurs / an). Par sa démesure conjuguée à la nécessité de rentabiliser un investissement privé d’au moins 80 millions d’€, le projet se condamne lui-même à n’être qu’un zapping, un patchwork de quelques 25 micro scènes censées couvrir l’histoire du Débarquement. En s’implantant dans l’agglomération de Caen, il passe par pertes et profits le travail accompli par le Mémorial, internationalement reconnu depuis plus de 30 ans.
À l’aune des moyens mis en œuvre, le projet est d’une pauvreté affligeante : très éloigné de l’outil de transmission populaire de l’Histoire qu’il prétend être, il ne serait qu’une attraction, le « moyen de retenir les touristes un peu plus longtemps en Normandie » que le président de la Région appelait de ses vœux en janvier 2020.
A ce titre, ce projet s’inscrit clairement dans un mouvement d’exploitation de l’Histoire à des fins touristico-mercantiles. Mais en exploitant une Histoire encore vivante et douloureuse, il bafoue la mémoire des combattants et des victimes civiles dont il fait la matière première d’un business mémoriel inacceptable car indigne. C’est d’ailleurs pourquoi les associations et les familles des vétérans français et étrangers s’y opposent fermement.
Au-delà des enjeux éthiques, la démesure des moyens mis en œuvre et la grande pauvreté de la réflexion intellectuelle et éducative qui accompagne ce projet soulèvent une question : plutôt que de soutenir un équipement en réalité purement commercial et très contesté, la Région n’aurait–elle pas été dans son rôle en suscitant un grand projet mémoriel et réellement éducatif qui permettrait notamment de mettre à jour le dense réseau muséographique existant dans la région ? Elle aurait, ce faisant, donné davantage de crédit à sa volonté de voir les plages du Débarquement entrer au patrimoine mondial de l’UNESCO. Au lieu de cela, en poursuivant la marchandisation de l’Histoire et de la mémoire alors que viennent tout juste de se tenir les commémorations du 80e anniversaire des débarquements, de la Libération de la France et de la Victoire, c’est un projet obscène que cherchent à imposer les marchands du temple.
Premiers signataires de la tribune d’historiens contre le projet Normandy Memory de marchandisation de l'histoire et de la mémoire
14.07.2024
Olivier Abel, philosophe, spécialisé en éthique et politique
Sébastien Albertelli, professeur agrégé et docteur en histoire, spécialiste de l’histoire de la France libre, de la Résistance
Pierre Allorant, Professeur, Histoire du droit et des institutions, Faculté de Droit, d'Economie et de Gestion, Université d'Orléans
Marianne Amar, Cheffe du département de la recherche Musée national de l’histoire de l’immigration
Philippe Artières, Directeur de recherche au CNRS, Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS) à l'EHESS
Stéphane Audoin-Rouzeau, Directeur d'études de l'EHESS, Directeur du Centre d'études sociologiques et politiques Raymond Aron – CESPRA
Walter Badier, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université d'Orléans
Annette Becker, Professeure d’histoire contemporaine, Paris-Nanterre
Olivier Bétourné, président de l'Institut histoire et lumières de la pensée
Julien Blanc, Professeur agrégé d'histoire, EHESS / LIER-FYT
Jens Boel, Historien danois, ancien directeur des Archives à l’UNESCO
Jean-Baptiste Bonnard, MCF Histoire Université de Caen
Raphaëlle Branche, Professeure des universités, Université de Paris Nanterre
Florence Buttay, Professeure d'histoire moderne Co-responsable du Master Histoire. Métiers du patrimoine Université de Caen Normandie Laboratoire Histemé (EA 7455)
Perrine Canavaggio, conservateur du patrimoine, ancienne Secrétaire générale adjointe Conseil international des Archives
Gilles Candar, professeur honoraire de CPG, président de la Société d'études jaurésiennes
Jean-François Chanet, professeur des universités à l'IEP de Paris
Noëlline Castagnez, professeure d'Histoire contemporaine à l'Université d'Orléans Laboratoire (POuvoirs, LEttres, Normes)
Catherine Croizy-Naquet, professeur de Littérature médiévale, spécialiste de l'écriture de l'histoire, Université de Paris 3-Sorbonne nouvelle
Laurence De Cock, professeur d'histoire-Géographie, chargée de cours à l'Université de Paris-Cité, présidente du Comité de Vigilance face aux Usages publics de l’Histoire (CVUH)
Annie Duprat, professeur des Universités émérite, histoire de la Révolution française.
Gaël Eismann, Maîtresse de conférences en histoire contemporaine HisTeMé- Co-direction Axe Paix et Conflits, université de Caen-Normandie
Victor Faingnaert, doctorant en Histoire Contemporaine, à l'université de Caen
Charlotte Faucher Lecturer in Modern French History Department of French, School of Modern Languages, University of Bristol
Emmanuel Filhol, enseignant-chercheur honoraire, Historien et Philosophe, Centre de recherches SPH, Université Bordeaux Montaigne.
Patrick Garcia, Professeur d’Histoire, Cergy Paris Université
Alain Gascon , professeur honoraire à l’Institut français de géopolitique (IFG) de l’université Paris-VIII, INALCO
Jean-Marie Guillon, Professeur des universités émérite, Université d’Aix-Marseille-UMR TELEMME
Typhaine Haziza MCF en Histoire ancienne (Université de Caen / HisTeMé)
Thomas Hippler, professeur d’histoire contemporaine Université de Caen—Normandie
Olivier Ihl, professeur de sociologie historique à Sciences Po Grenoble
Julian Jackson, professeur d'histoire à Queen Mary University of London
Lucien Jaume, Agrégé de philosophie, docteur d'Etat en science politique DRCE CNRS et CEVIPOF
Raymond Kévorkian, Historien des violences de masse, Ancien professeur à l’Institut français de géopolitique, directeur et rédacteur de la Revue d'Histoire arménienne contemporaine.
Marie-Pierre Labonne docteure en histoire contemporaine, chercheuse et enseignante associée à Histeme université de Caen
Bernard Lachaise. Professeur honoraire d’histoire contemporaine. Université Bordeaux Montaigne.
Maxime Launay, docteur en Histoire contemporaine Sorbonne Université
Benoît Lecoq, Archiviste-paléographe, ancien doyen de l’Inspection générale des bibliothèques.
Jean Lecuir, maitre de conférences en histoire
Sébastien Ledoux Maître de conférences- Université de Picardie Jules Verne
Julie Le Gac, maîtresse de conférences en histoire contemporaine, Université de Paris Nanterre
Jean-Luc Leleu, Historien au CNRS (Maison de la Recherche en Sciences Humaines, Université de Caen Normandie)
Claude Lelièvre, professeur honoraire d'histoire de l'éducation Paris Cité
Delphine Leneveu, assistante de recherche, laboratoire Histemé, Université de Caen
Paul Lenormand, Maître de conférences, Université Paris-Nanterre / Institut des sciences sociales du politique (ISP)
Sylvie Lindeperg, professeure des universités Paris1 Panthéon-Sorbonne, Membre honoraire de l’Institut Universitaire de France
Stéphanie Loncle, MCF Arts du spectacle – Théâtre, HISTEME Université de Caen
Camille Mahé, Maîtresse de conférence en histoire contemporaine Université de Strasbourg (composante IEP) / Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles
Benoit Marpeau, Maître de conférences en Histoire contemporaine, HisTeMé (Histoire, Territoires, Mémoire)
Guillaume Mazeau Maître de conférences en histoire moderne Université Paris-1 Panthéon Sorbonne
Alain Messaoudi, maître de conférences en histoire contemporaine, Nantes Université
Jean-Yves Mollier Professeur émérite d'histoire contemporaine Université Paris Saclay/Versailles Saint-Quentin
Cécile Mondonico-Torri, Professeur d’histoire, Issy-les-Moulineaux.
Gilles Morin Chercheur associé au Centre d’histoire sociale et président de l’AUSPAN (Association des usagers du service public des Archives nationales)
Octave Moreau doctorant du laboratoire HisTeMé à l'université de Caen-Normandie.
Josette Mouly, conservatrice des bibliothèques, retraitée.
Philippe Moyen, professeur agrégé d'histoire, doctorant université de Caen-Normandie.
Emmanuel Naquet, chercheur associé à Sciences Po Paris, professeur en CPGE, Rédacteur en chef de Matériaux pour l’histoire de notre Temps
Nicolas Offenstadt, maître de conférences HDR en histoire contemporaine à l'université de Paris I
Anne Laure Ollivier, Professeure agrégée d’histoire en CPGE littéraires (lycée Camille Guérin, Poitiers), Chercheuse associée au laboratoire POLEN
Nathalie Pallu, Docteur en Histoire diplômée de l’Université de Paris VII
Jean-Michel Pérignon, Conservateur Général du Patrimoine honoraire
Annick Perrot, Docteur en Histoire diplômée de l’Université de Caen
Michelle Perrot, historienne
Christophe Prochasson, Directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales, Centre d'études sociologiques et politiques Raymond Aron, ancien recteur de l’académie de Caen
Jenny Raflik, Professeur en histoire contemporaine UFR Histoire, Histoire de l'Art et Archéologie Nantes Université
Gilles Richard, professeur émérite des universités en histoire contemporaine, Université Rennes 2
Elisabeth Roudinesco, historienne et psychanalyste, Institut histoire et Lumières de la pensée
François Rouquet, Professeur d’histoire contemporaine HisTeMé Université de Caen-Normandie
Eric Saunier, MCF en histoire moderne Histemé (Histoire, Territoires, Mémoire), Université de Caen-Normandie
André Sirota, professeur émérite de psychopathologie sociale clinique
Thomas Snegaroff, journaliste et historien
Ewa Tartakowsky Chargée de recherche au CNRS Institut des sciences sociales du politique Université Paris Nanterre
Loïc Vadelorge, professeur d’histoire contemporaine, université Gustave Eiffel
Thomas Vaisset, Maître de conférences en histoire contemporaine Université Le Havre Normandie
Patrice Veit, Directeur de recherche émérite au CNRS (Centre Georg Simmel, EHESS/ Centre Marc Bloch, Berlin)
Cécile Vast, docteure en histoire, chercheuse associée au Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes et membre du Centre d'histoire et de recherche sur la Résistance.
Jakob Vogel, Professeur d'Histoire de l'Europe (XIXe - XXe siècles), Centre d’histoire de Sciences Po
Dimitri Vezyroglou, maître de conférences HDR en histoire du cinéma à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Jacques Walter, professeur émérite à l'Université de Lorraine, ancien directeur du Centre de recherche sur les médiations
Sophie Wahnich directrice de recherche au CNRS
Julien Winock, rédacteur en chef de Cahiers français
Laurent Wirth, Doyen honoraire du groupe histoire et géographie de l'inspection générale de l'Education nationale
Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche CNRS
Guillaume Yverneau, Agrégé et doctorant en histoire contemporaine Université de Caen-Normandie - Laboratoire HisTeMé ; axe Seconde Guerre mondiale
Michelle Zancarini-Fournel, professeur émérite en histoire contemporaine, université Claude Bernard-Lyon1, LARHRA