Sur l’aspect historique et mémoriel, vous trouverez in fine, le texte de Claude GUILLEMETTE ancien instituteur, qui l’a lu non sans mal et interruptions intempestives, lors de la première réunion publique de la concertation préalable qui s’est tenue à Carentan le 19 août 2022.
Pourquoi concertation préalable, car le dossier y compris le bilan qui sera rédigé par le garant de la concertation nommé par la CNDP (Commission Nationale du Débat Public) sera joint au dossier de l’enquête publique qui suivra le dépôt de permis de construire ou d’aménager par les promoteurs du projet, si toutefois la modification du Plan Local d’Urbanisme de St Hilaire Petitville est validée.
Sur l’aspect environnemental ce projet est une ineptie totale dans le contexte actuel ou la triste réalité des conséquences du réchauffement climatique (canicule, donc sécheresse, pluviométrie quasi nulle depuis l’hiver dernier, incendies de forêts, fonte des glaciers, effondrement de blocs de montagne …) pourquoi ?
Parce qu’il porte sur 32 ha de terres agricoles dont les deux tiers sont en zone humide comme le signalent les promoteurs du projet, toujours cultivées à ce jour.
Ce tènement immobilier comprend de nombreuses haies bocagères avec des arbres centenaires, des mares et une biodiversité abondante et vraisemblablement des espèces protégées.
Ceux-ci se targuent de n’utiliser pour leur projet que 16 ha (hors zones humides) mais ce seront 16 ha artificialisés et en grande partie imperméabilisés, alors que les incendies de l’été semblent avoir fait prendre conscience à l’État qu’une campagne importante de « dé imperméabilisation » doit être menée d’urgence ainsi qu’une restriction stricte dans les documents d’urbanisme.
Certes ils promettent d’édifier leur théâtre (mobile puisque ce sont les spectateurs qui se déplaceront sur 400 m sur une plate forme sur pneus mue à l’électricité) ceci occupant 11 ha, avec principalement du bois ou des matériaux sourcés et écologiques !
La cerise sur le gâteau c’est le maintien et l’entretien des zones humides et des haies, dont une partie va quand même être arasée, reconstituée ailleurs, mais il faut entre 40 et 100 ans pour retrouver la richesse de biodiversité.
Il n’empêche qu’il y aurait une atteinte grave à la biodiversité en artificialisant ces 16 ha, provoquant une rupture et une destruction de biodiversité sur l’ensemble du tènement.
De plus insérer ce théâtre mobile au milieu des 32 ha et des zones humides, n’augure rien de bon pour l’avenir de ce paysage bocager.
Sur l’aspect agricole, ces 32 ha d’un seul tenant sont actuellement cultivés même si ils ont déjà été acquises par la SAFER qui a signé une promesse de vente avec la commune de Carentan les Marais sous conditions suspensives d’obtenir la modification du Plan Local d’Urbanisme de la commune de St Hilaire Petitville, commune déléguée de Carentan les Marais, où celles-ci se trouvent en zone A, comme agricole.
Nous reviendrons ultérieurement sur cette modification du PLU.
La guerre en Ukraine déclenchée par la Russie a provoqué un tsunami agricole et alimentaire bien exploité d’ailleurs par les spéculateurs de l’agro alimentaire ou certains ont découvert les effets pervers du commerce international, de l’incapacité des Etats à avoir assurer d’abord la souveraineté alimentaire de leur pays, laissant par exemple en France les lobbys de l’agro alimentaire effectuer leur sale besogne spéculative faisant gonfler les prix au détriment des populations déjà en grande précarité.
De ce fait il apparaît évident (GIEC oblige) de changer nos habitudes de consommation énergétique et aussi alimentaire, mais d’envisager d’autres modes de production agricole (agriculture biologique, agroforesterie, permaculture etc) donc pourquoi diantre artificialiser 32 ha de terres agricoles ?

Cela relève du bon sens !
Lors de la première réunion de concertation la question a été posée aux promoteurs justement sur cette notion d’artificialisation de terres agricoles d’autant que la tendance est, depuis la première loi de biodiversité en France de 2016 jusqu’à la loi climat et résilience d’août 2021 dont les premiers décrets d’application sortent enfin, de parvenir à une artificialisation nette ZERO en 2050, mais déjà réduite de 25 % à l’aune de 2030, c’est à dire demain !
Dans leur document de présentation du projet ils évoquent la « séquence » ERC (Eviter – réduire – compenser) au demeurant obligatoire, mais avec une lecture pour le moins surréaliste, se limitant selon eux « à veiller à éviter les atteintes à l’environnement » point sur lequel ils se sont fait tacler par un environnementaliste lors de la réunion, car EVITER, c’est EVITER, donc ne pas réaliser.
Ceux-ci sont passés directement à la deuxième phase à savoir « réduire » en utilisant que 16 ha sur 32, bien vu mais c’est NON.
D’autres réunions de concertation sont prévues notamment thématiques, sur l’environnement le 13 septembre.
Vous pouvez prendre connaissance de ce projet inique sur le site de la CNDP qui renvoie au site ouvert par les promoteurs du projet : Hommage aux héros.fr.
Il y a plusieurs mois j’avais aussi publié la lettre pétition signée par de nombreuses personnes connues ou moins connues, que je publierai à jour au 20 août d’ici quelques jours.
Ci-après la déclaration de Claude GUILLEMETTE :
Je me présente : Claude Guillemette, ancien instituteur et directeur de l’école des Hauts Champs à Carentan pendant 20 ans. J’ai été aussi directeur de nombreux centres de vacances pour enfants et adolescents. Je suis également auteur d’un ouvrage intitulé « L’école rend libre » sorti en 2020. Je considère donc, que j’ai quelques compétences en matière d’éducation .
Je ne parlerai pas de l’impact environnemental du projet D Day Land, ni de son impact sur la qualité de vie de nos concitoyens, ni sur la désorganisation de notre économie. D’autres participants à ce débat sont beaucoup plus compétents que moi en la matière. Mon intervention sera donc uniquement axée sur le rôle de l’histoire dans l’éducation
Lors du débat organisé par l’association intitulée « Place de la république » en novembre 2020, j’ai été profondément choqué par une intervention de l’un des concepteurs du projet D Day Land qui dit en substance : « Pour faire comprendre l’histoire aux jeunes il faut employer des moyens techniques modernes , vidéos, immersion en 3D, mises en scène … » Mais c’est vraiment prendre les jeunes pour des imbéciles incapables de comprendre l’histoire incapables de s’y intéresser autrement que par des artifices et des jeux de lumière ou par le désormais célèbre effet « Waouh » ! Nos jeunes de 2022 sont-ils plus bêtes que nous l’étions à leur âge ? Mais quel est cet argument fallacieux répandu chez la plupart des défenseurs du projet pour nous faire avaler la pilule ? C’est méprisant à l’égard des jeunes, c’est insultant vis-à-vis des éducateurs compétents qui tentent de faire honnêtement leur recherche de vérité historique.
Je suis né en 1946 et je n’ai donc pas, comme notre président de région, pourtant plus jeune que moi, connu le débarquement allié sur les côtes normandes. Mais dès l’âge de 4 ou 5 ans j’ai été profondément marqué par les récits tragiques des témoins de la guerre et des bombardements. Mon père, prisonnier en Allemagne, a connu la faim et l’humiliation. Ma mère, blessée, soignée par un soldat allemand, s’était réfugiée dans les sous terrains de Saint-Lô pendant les bombardements qui ont rasé la ville. A cette époque, on parlait peu, on voulait effacer les malheurs qu’on venait de vivre, bombardements, exodes, maisons en ruine, restrictions, marché noir, dénonciations, collaborations….
Etant donné mon âge avancé, j’ai encore quelques amis qui ont vécu cette triste période. Ils sont offusqués par ce grand projet de spectacle et ne comprennent pas qu’on puisse faire de l’argent sur leurs amis morts, sur leur propre histoire tragique. Ils acceptent évidemment qu’on raconte objectivement ce qu’ils ont vécu mais s’indignent à la pensée que des investisseurs sans scrupules vont s’enrichir sur leurs malheurs et leurs souvenirs douloureux.
Mais si cela contribuait à servir la paix dans le monde ? Car la grande question est bien là. Les conflits dans le monde ne vont pas disparaître, bien au contraire. Ils vont avoir tendance à s’amplifier. Tout le monde le sait. Avec le réchauffement climatique, l’appauvrissement des sols qui produira le déplacement des populations affamées, la montée du racisme, des intégrismes, des dictatures et des régimes totalitaires, ce monstrueux projet va à l’encontre de ce qu’il faudrait faire. Exalter le culte du héros et faire défiler fièrement des engins de mort n’est pas la meilleure manière d’enseigner la culture de la paix.
Jean Luc Leleu historien à l’Université de Caen écrit dans le Ouest France du 7 juillet 2022 : « Prétendre que ce spectacle fera œuvre de pédagogie et d’histoire est une duperie . Si tel était le cas il n’y aurait nul besoin d’une mise à niveau de 10 minutes… »Quelques lignes après : « le projet artistique ne consiste pas ici à parler à l’intelligence des individus mais se borne uniquement à susciter chez eux des émotions ». Plus loin notre historien parle « d’exploitation éhontée du souvenir » et s’offusque je cite « de transformer en valeur marchande la mémoire des soldats alliés sous prétexte de leur rendre hommage ».
Ce qui me semble essentiel dans toutes les cérémonies de commémoration et sur les lieux de mémoire, c’est d’avoir constamment en ligne de mire le « plus jamais ça ». (que je préfère au fameux effet Waouh) Et pour se faire, il faut expliquer et expliquer encore les mécanismes qui conduisent à l’irréparable et aux horreurs de la guerre. Je n’en citerai que trois :
1- les intérêts économiques
2- la force de la propagande
3- le désir de puissance chez certains chefs d’état.
Si un jour naissait un vrai musée de la paix à Carentan, il faudrait y ajouter les religions, la misère , l’ignorance, le racisme, les communautarismes et l’intolérance, mais en ne retenant que les trois premiers, l’argent, la propagande, et le pouvoir on retrouve sous d’autres termes ces trois vecteurs diaboliques dans le projet qui nous préoccupe aujourd’hui, à savoir :
1- les intérêts financiers
2- la force de la communication, le lobbying et l’utilisation intensive des médias
3- les dérives d’un pouvoir
Sans transition, Je m’adresse maintenant aux élus locaux, de la commune de Carentan les marais et de ceux de la communauté de commune du bassin de Carentan : vous portez, Mesdames et Messieurs une lourde responsabilité dans ce projet monstrueux, démesuré, indécent :
-Vous allez transformer l’image de note ville déjà écornée par le spectacle des reconstitueurs chaque année au mois de juin. J’ose parler pour ce D Day Land de déshonneur déshonneur d’avoir confié à de riches investisseurs sans scrupules la mémoire des victimes de la guerre ;
-Vous n’aurez pas servi la paix en glorifiant l’action des armes et en jouant sur les émotions.
- Vous allez à l’encontre du sens de l’histoire qui demande plus de sobriété, plus de respect de la nature et plus d’intelligence, plus d’anticipation sur l’avenir.
Enfin j’aimerais pour finir, vous citer un article de Clémentine Godldszal paru le 24 juin 2022 dans le journal le Monde Elle parle de Roberto Ciurléo producteur de comédies musicales . Son opinion est intéressante et peut faire réfléchir les plus convaincus par le projet :
« Ceux qui l’ont connu […] parlent en effet de ses engouements parfois peu suivis d’effet, d’une propension à s’engager puis à disparaître, laissant ses partenaires dans l’embarras et la frustration. »
Je vous laisse méditer ces quelques paroles avant de commettre l’irréparable !