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Billet de blog 25 août 2023

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NOTE DE LECTURE de SILENCE DANS LES CHAMPS

DECRYPTAGE DE L'EMPIRE AGRO INDUSTRIEL BRETON, mais aussi constats et espoirs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans son ouvrage intitulé « SILENCE DANS LES CHAMPS » Nicolas Legendre après 7 années de rencontres, de témoignages, d’enquêtes, de recherches nous livre un travail conséquent sur le développement de l’empire agro industriel breton, pur produit du système capitaliste avec pour seul objectif le profit au détriment de l’humain et de la nature.

Il décrit le cheminement d’une agriculture paysanne et vivrière vers un système agro industriel mu par des hommes qui ont petit transformer la Bretagne en usine à cochons, à lait, à céréales pour nourrir les vaches et les porcs, en ruinant nombre de paysans, en détruisant la biodiversité, produisant des algues vertes toujours d’actualité (objet d’un film remarquable qui vient de dépasser les 200000 entrées).

Depuis des décennies les gouvernements successifs ont proposé des remèdes pour soigner les conséquences mais en se gardant bien de s’attaquer à la cause à savoir le modèle agro industriel porcin élevé sur caillebotis et nourri de maïs et de soja transgénique importé principalement du Brésil.

Après la guerre il fallait nourrir les populations, donc l’Amérique a proposé de changer de modèle de développement agricole, donc de passer des fermes en polyculture élevage aux exploitations agro industrielles afin d’augmenter les rendements au détriment de la qualité.

L’engrenage était lancé promu peu à peu par des « paysans directeurs généraux » ainsi que se qualifiait Gourvenec, en déstructurant l’agriculture bretonne, en ruinant des paysans, en déconsidérant les récalcitrants, en manipulant les entités dites « coopératives » et en les détournant radicalement de leur sens et de leur éthique en les transformant en machines de guerre productiviste.

Il y a eu la transformation des fermes, mais aussi de la formation, on n’enseignait plus à de futurs paysans, mais à de futurs exploitants afin de produire et d’entamer la course au « volume ».

Il est à noter que c’est toujours le cas aujourd’hui avec la disparition des petites exploitations et l’agrandissement des plus grosses afin de produire toujours plus, principalement pour exporter.

Dans l’ouvrage le témoignage de Gabriel (page 81) dépeint parfaitement la situation :

« Première chose : appeler l’abattoir. Toutes les vaches de race rustique dehors ! Remplacées par des Holstein. Deuxième chose : bulldozer, on rase toutes les haies. Troisième chose:Pelleteuse-draineuse. On assèche les zones humides. Quatrième chose : On commande 25 tonnes d’ammonitrate. Cinquième chose : 25 tonnes de soja. C’était en 1975/1976. Voilà je vous passe les doses d’herbicide ».

Malheureusement ceci ne s’est pas vécu qu’en Bretagne, à cette époque les conseillers du Crédit Agricole voulaient bien financer l’agrandissement des exploitations à condition effectivement de virer les races locales pour des Holstein, que personnellement à l’époque j’avais surnommé « la vache Crédit Agricole » qui est une pisseuse de lait mais dont la qualité n’atteindra jamais celle des Normandes, Pie noire bretonne, Jersiaises et autres, pâturant de l’herbe !

Autre exemple enrichissant et valorisant c’est celui des frères Glinec et leur troupeau de laitières à la conduite sobre et respectueuse du cycle de vie des animaux, mais aussi la réflexion sur la protection des sols.

On trouve une description de la biodiversité du bocage d’antan, dont la disparition n’a pas été mesurée suffisamment, tout cela pour de l’argent (pages 104 et 105).

Juste avant ce constat : »Plus de terre ! Le sol qui reste est devenu gris. Tout l’humus est parti »

Fort est de constater aussi que la campagne s’est vidée au fil du temps et des arrachages de haies des ramasseurs de mûres et de noisettes.

Thierry Lamicol se souvient d’avoir comme d’autres « appris à calculer la ration maïs/soja, dans les années 1980 où l’agriculture productiviste démarrait plein pot, des après midi entiers à castrer les porcelets ou leur casser les dents » (précision la castration des porcelets est interdite depuis le 1er janvier 1922. Il est ensuite retourné à la mer.

Dans les années 1980 le taux de nitrates dépassait allègrement 50 mg/litre, dans les cours d’eaux bretons, le lisier coulant à flots. Aucune limite à l’utilisation des engrais azotés.

Ces années disons folles où le productivisme ne subissait aucun frein, valant au préfet de région d’alors Berthier « L’agriculture doit continuer de produire de façon productive, c’est un des fondements de l’économie bretonne ».

Cette marche en avant a accéléré la course au matériel agricole, entre 2000 et 2021 la puissance moyenne des tracteurs est passée de109 à 156 CV, voir plus trop souvent.

A noter que le reste du matériel a suivi ou précédé toujours plus large, plus puissant, et bien sûr non adapté aux routes de campagne ni aux entrées de champs, justifiant ainsi l’arrachage des haies !

Un exemple de Joël (page 129) : »Près de chez moi un gars est passé à 220 ha. Il arrache les plots en passant dans le bourg avec sa moissonneuse batteuse, tellement elle est grande ».

C’est malheureusement courant en campagne un peu partout, malheur à celui qui arrive un peu trop vite en face ? Mais de paroles d’élus il faut préserver « nos » agriculteurs, ce qui manque un peu de connaissance du milieu, d’analyse et de discernement ?

La course à l’agrandissement est enclenchée, malgré la mise en place des SAFER en 1960 pour réguler le marché du foncier agricole, sauf qu’elles manquent cruellement de moyens financiers et humains, et ne représentent plus actuellement qu’une faible partie de la transmission du foncier.

A noter que dans la plupart des départements les comités techniques SAFER sont phagocytés par la FDSEA, lesquelles soit disant faute de demandes laissent partir terres et fermes à des non agriculteurs.

A noter aussi que les ventes en démembrement ne sont plus autorisées donc soumises au droit de préemption de la SAFER.

Exemple intéressant de Michel ,véto dans le 29 : « Le meilleur éleveur que j’ai, il a seulement 25 ha et 40 vaches. Il est très perfectionniste, hyper exigeant avec lui même. Il a moins de surface, mais une bien meilleure maîtrise. Il n’achète pas de fourrage à l’extérieur. Il n’est pas suréquipé et … il a beaucoup de temps libre ».

A noter et c’est encourageant que ce n’est pas un cas unique, un copain paysan à côté de chez moi à la même démarche donc du temps libre à consacrer à la Conf.

Quant un paysan est en difficulté, ce peut être très vite la descente vertigineuse, et pour certains une issue le suicide. Ce monde est taiseux, et il est difficile de leur venir en aide, mais cela est possible et une structure est à la pointe dans ce domaine c’est Solidarités Paysans (satellite de la Conf’).

A la lecture des pages 140 et suivantes le constat sur le rôle des coopératives (complètement déviées de leur fonction initiale) est flagrant et sans appel jusqu’au dossier Glon-Sanders, puis Gad !

L’aspect historique est évoqué dès la page 153 avec cette phrase de l’auteur : « L’aristocratie bretonne de l’ancien régime n’a-t-elle pas été remplacée, dans une certaine mesure, au XXème siècle, par une nouvelle classe dominante, en l’occurrence les barons de l’agro-industrie et de la grande distribution ? ».

Le cas Tilly est ensuite évoqué et une citation du président de la chambre de commerce de Morlaix laisse appréhender la suite :  « la seule pollution qui ait réellement progressé depuis dix ans est la connerie humaine » !

La suite est la pollution du Guic le 5 novembre 1981 anéantissant la faune sur 10 km, et 100000 truies retrouvées mortes ! (page 159).

Une mini fronde intervient à la chambre régionale d’agriculture de Rennes lors d’une conférence de presse tenue par les 5 dirigeants des chambres d’agriculture bretonne tous élus de la FNSEA, déclarant « c’est toute l’agriculture bretonne qui doit évoluer. On ne peut plus continuer à produire de gros volumes non payés. Nous ne voulons plus ça : ce qui veut dire une baisse de l’élevage, davantage de prairies, la baisse (ndlr : seulement) des phytos ».

C’est comme dit l’auteur ce que réclament depuis 40 ans les militants écologistes, mais surtout c’est ce que préconisait depuis les années 1950 André Pochon, pionnier breton de l’agroécologie.

Mais cette mini fronde a été vite recadrée sans remise en cause profonde du modèle d’agriculture productiviste .

Concernant l’élevage porcin les pages 190 et suivantes rappellent des pépites, d’autorisations préfectorales au mépris de l’avis négatif du commissaire enquêteur qui sera mis à l’écart.

Illustration 1

L’épisode de la prise de la préfecture de Morlaix le 8 juin 1961 est édifiant et ce par les adhérents du syndicat majoritaire (page 206) les médias relaient l’information, valant une déclaration du secrétaire de la FDSEA du Finistère « Nous avons fait trembler la France ».

A noter que cette structure syndicale se permet actuellement de demander la dissolution d’associations opposées aux bassines, de supprimer les représentations de la Conf’ dans les structures agricoles, voire sa dissolution.

La FNSEA c’est quand même comme le rappelle l’auteur « les tonnes de pneus et palettes brûlées sur la voie publique, les hectolitres de lisiers répandues devant les préfectures, les routes bloquées, les voies ferrées sabotées, les véhicules de police et pompiers incendiés, les grilles de préfectures endommagées, les portiques écotaxes... » la suite de cette sinistre liste page 210.

Sans oublier les menaces à l’emploi, sur les personnes élus, autres militants syndicaux paysans, militants environnementalistes, journalistes (Morgan Large). Les déboulonnages de roues de voitures sont fréquents voir les pages 228 et suivantes.

A propos des algues vertes, le député Marc Le Fur déclarait en 2012 que c’était « un problème de journalistes parisiens » et appelait « à distinguer l’essentiel de l’accessoire » « l’essentiel c’est l’emploi, l’écologie c’est accessoire ».

Malheureusement c’est toujours de mise !

La conf’ et avant les Paysans Travailleurs a toujours été la tête de turc de la FNSEA, déjà en 1976 Gourvenec déclarait « Je considère que les Paysans Travailleurs sont des minables, des fainéants et des trouillards ».

Il ne faut pas oublier l’épisode de la cellule Demeter pour protéger les paysans (bien encartés FNSEA) des atteintes hostiles avec le concours et la participation de la Gendarmerie.

Dès la page 277 l’auteur aborde le cas d’André Pochon, paysan visionnaire comme il a été dit plus haut.

Il a été décrié souvent, mais il a résisté, lui qui aime à dire « la vache c’est barre de coup à l’avant et épandeur à fumier à l’arrière » pro trèfle et anti maïs.

Les préconisations d’André Pochon sont rappelées par l’auteur à la page 296 et sont toujours plus que d’actualité : « polyculture élevage à base d’herbe, de compost, d’assolement et de fertilisation équilibrée, interdiction du drainage des sols et de l’arasement des haies et talus, élevage en plein air autant que possible, obligation de remise en herbe des fonds de vallées, reconstruction des linéaires bocagers, reconversion des élevages de porcs sur lisier en élevages sur litières, limitation des agrandissements d’exploitations, autonomie en alimentation animale des fermes, diminution drastique de l’utilisation d’engrais et pesticides de synthèse, création d’une prime aux surfaces d’intérêt écologique, réorientation des aides au bénéfice des paysans qui appliquent ces principes ou qui s’engagent dans une transition ».

Les pesticides générateurs de maladies sur les paysans cancers, parkinson, et autres,même après des reconversions tardives.

Les propos de Debatisse en 1968 sont sans équivoque « les deux tiers des entreprises agricoles n’ont pas, en terme économique, de raisons d’être. Nous sommes d’accord pour réduire le nombre d’agriculteurs ».

La menace de la famine et du retour de la charrette à bœufs est agité par le modèle dominant, mais destructeur.

Conclusion :

Cet ouvrage est aussi important à lire pour tout un chacun que celui de Gilles LUNEAU, LA FORTERESSE AGRICOLE FNSEA paru en 2004.

Il dépeint parfaitement la dégradation du développement de l’agriculture en Bretagne, de la mainmise et de la prise de pouvoir du syndicat majoritaire sur un modèle agricole uniquement marchand, de la transformation des coopératives agricoles en machines de guerre capitalistes, avec l’émergence de magnats qui ont plus ou moins bien réussi avec pour conséquences notamment la destruction de la biodiversité et l’infestation des plages par les algues vertes.

Il appartient au citoyen consommateur en fonction de ses moyens bien sûr, mais en faisant des choix politiques appropriés, de soutenir l’agriculture paysanne prônée et pratiquée par les adhérents de la CONFEDERATION PAYSANNE.

Le double pouvoir exercé par la trop puissante FNSEA depuis des décennies n’est plus tolérable à tous les niveaux et nous consommateurs/acteurs devons lutter au quotidien contre cet Etat dans l’État.

Sa violence n’est plus tolérable, les témoignages du livre sont accablants, leur arrogance est insupportable, pratiquant trop souvent la politique du pompier pyromane, en demandant la dissolution de structures dont la violence reste à démontrer, ou la réduction des mandats de la Confédération Paysanne.

La complaisance des gouvernements successifs est tout aussi insupportable envers ce syndicat protégé et soutenu, l’exemple de la manifestation de Sainte Soline en est la démonstration.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.