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Billet de blog 10 avril 2025

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Comment vais-je réussir à retourner au théâtre ou au cinéma ?

La commission d’enquête relative aux violences commises dans différents secteurs du spectacle vient de rendre public le tome I de son rapport. Les faits relatés sont révoltants, indignes, inhumains, inacceptables, illégaux. Après tant de révélations scandaleuses, comment vais-je réussir à retourner au théâtre ou au cinéma ?

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Illustration 1
Saturne dévorant un de ses fils, de Francisco de Goya (1819-1823) © Musée du Prado

La commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité vient de rendre public le tome I de son rapport.

Des professionnel(le)s du spectacle - victimes dans le cadre de leur travail de brimades sexistes et/ou de violences sexuelles et/ou de préjudices physiques et/ou de préjudices moraux - ont eu le courage de témoigner lors des auditions organisées par cette commission. Ces personnes ont donc également pris le risque de voir leurs carrières définitivement arrêtées.

Parmi ces personnes, celles ayant déjà pris ce risque avant l’existence de cette commission et qui se retrouvent donc déjà au chômage, sont tout de même venues témoigner.

En tant que boulimique de théâtre et de cinéma depuis bientôt quarante ans, mais aussi parce que j’ai été victime d’abus sexuels et de tabassages réguliers par mon père lorsque j’étais enfant puis adolescent, j’ai tenu à voir toutes les auditions de cette commission, depuis le tout début.

J'ai visionné ces auditions une par une en différé au rythme où la procédure se déroulait, depuis des mois.

J’ai tenu à prendre méthodiquement connaissance de faits que je n’aurais jamais pu imaginer dans ce secteur professionnel, du fait de mon attachement profond au théâtre et au cinéma.

Ces auditions étaient diffusées en direct, filmées et aussitôt mises en ligne. Toutes à l’exception d’une seule : celle de quatre acteurs ayant obtenu satisfaction de cette exigence, un peu comme l’obtiendrait une bande de coqs.

Ensuite, j’ai tenu à lire les préconisations de cette commission énoncées dans le tome I de son rapport.

Si je devais tenter de synthétiser ce que je ressens par l’ensemble des faits rapportés, je m’en tiendrais à cette formule liminaire : les salariés du secteur du spectacle coupables de ces exactions sont à vomir.

Or ce qui est révélé est beaucoup plus grave : de nombreuses salles (de cours ou de répétition) et de nombreux plateaux de tournage sont un enfer où règnent avec violence de vulgaires verges et testicules, impulsives et autoritaires, dont certaines sont également racistes.

Depuis de trop nombreuses années, des salariés du secteur du spectacle se comportent impunément de façon machiste, masculiniste, et donc fasciste, dans le cadre de leur travail.

Il faut maintenant punir les coupables et leurs complices, soigner les victimes, mais aussi mettre en place les dispositifs nécessaires pour que rien de tout ceci ne se poursuive.

Il est quasiment certain qu’aucune information à ce sujet ne sera jamais mise en place - par qui que ce soit - à destination du public. Or à ce jour, en tant que spectateur, j’ignore si j’aurais encore envie de me rendre au théâtre ou au cinéma.

Pour ce faire, j’ai d’abord besoin que les coupables quittent d’eux-mêmes ce secteur professionnel car ils s’en montrent indignes.

C’est une des révélations les plus franches qui s’est imposée à moi au fil de ces auditions : ces individus ne sont pas dignes de travailler dans des secteurs de création, car leurs pratiques passent par la destruction d’êtres humains.

Je demande donc à ces personnes de s’engager d’elles-mêmes dans une reconversion professionnelle.

On m’objectera que je ne suis qu’un spectateur, que je ne peux donc rien comprendre aux exigences de ce métier…

On n’hésitera pas à affirmer que je n’ai rien à dire puisque je ne suis pas « du métier », ou que du fait de mon histoire personnelle ma perception des faits rapportés est confuse (un argument classique… pour ne pas dire moisi).

Car à l’issue de ses heures de visionnage et de lecture, le fait d’évacuer la nausée ne m’a procuré qu’un soulagement ponctuel. Or il faut que je puisse à nouveau respirer.

Mais je ne sais pas encore comment je retrouverai mon souffle, car c’est précisément dans les salles de théâtre et de cinéma que je me ressource le plus souvent.

Je vais donc aussi me détourner de la Nuit des Molière, de la Cérémonie du Palmarès du Festival de Cannes, ainsi que du Festival d’Avignon, car je n’en peux plus de vomir.

C’est un peu comme un immense portail qui se serait soudainement refermé avec fracas.

Comment vais-je réussir à retourner au théâtre ou au cinéma sans me demander quelles violences sexistes ou quelles violences sexuelles se sont produites durant les différentes étapes de ces créations ?

Le jour où je serai en capacité de retourner au théâtre, quelle que soit la date et quel que soit le lieu, je m’y rendrai sans doute avec des œufs.

Je le ferai en mémoire de cette actrice mise au défi de s’introduire un œuf dans le vagin pour démontrer son talent : un des nombreux faits inhumains révélés au cours de ces auditions.

Joël Cramesnil

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