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Ce spectacle est intitulé La Belle Histoire de Coline Serreau, or son titre pourrait induire en erreur. En effet, ce qui se joue les lundis soirs au Théâtre Michel (Paris 8e) n’est absolument pas un one woman show, ni une série de sketches. C’est plutôt une forme de gazette autobiographique et comique incarnée sur scène par son autrice. Elle nous fait part de souvenirs qu’elle décide librement de nous faire partager.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas non plus une sorte de veillée nostalgique faite de trémolos, bien au contraire. C’est un spectacle touchant, solaire et comique, truffé de bonne humeur et d’humour, où les évocations d’anecdotes sont tour à tour rafraîchissantes, un tantinet mordantes ou franchement hilarantes.
Dès l’ouverture du spectacle, Coline Serreau instaure une relation dynamique avec la salle, exactement comme si nous nous connaissions de longue date, ce qui est effectivement le cas pour bon nombre d’entre nous. On en voudra pour preuve les divers souvenirs liés à l’œuvre de Coline Serreau et nourrissant les nombreux bavardages du public dans la salle juste avant la représentation.
Enfin, et c’est assez rare pour être souligné, nous - public - sommes le second cœur de cette représentation. Car du fait de l’ancienneté, de l’étendue et de la diversité de son œuvre, Coline Serreau est une artiste qui nous est familière. C’est un peu comme si chacun(e) de nous avait grandi et muri en la logeant dans les paysages humains qui peuplent nos jardins secrets.
Certes nous connaissons Coline Serreau, mais elle nous connaît aussi. Car ayant toujours été une artiste fort culottée, elle n’hésite pas à nous apprendre quel public nous sommes en fonction des jours de la semaine où nous nous rendons au théâtre.
On découvre alors avec beaucoup d’humour de quelle façon nos réactions sont perçues « par le métier » et de quelles façons elles se distinguent en fonction du moment de la semaine où nous sommes au théâtre.
Que nous soyons des vendredistes, des samedistes ou des dominicaux du théâtre (ces qualificatifs sont de moi), rien ne lui échappe. La bonne blague consistant également à souligner que ce joyeux exposé n’a bien sûr rien de commun avec nous, qui sommes ce soir-là des lundistes.
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Dans cet article il n’est pas question de rendre compte des anecdotes que Coline Serreau nous fait partager (vous ne saurez donc rien de la joyeuse réinvention de facebook par cette artiste, allez voir son spectacle). Pour autant on se permettra d’indiquer à quelles activités et à quelles périodes de sa vie elles renvoient.
Coline Serreau évoque ainsi le fort beau souvenir de ses jeunes années à l’école de Beauvallon (Dieulefit, Drôme) fondée en 1929 par Marguerite Soubeyran et Catherine Krafft qui sont formées à des méthodes modernes (Institut Jean-Jacques Rousseau, Genève).
L’école de Beauvallon est édifiée dans la garrigue, elle n’a pas de clôture et comporte une piscine. Les élèves sont libres de marcher pieds nus, ils ont directement accès à la nature qui les entoure. Chaque matin une assemblée leur permet de s’exprimer d’égal à égal avec les adultes.
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C’est dans ce contexte que la petite Coline grimpe aux arbres et devient très agile. Deux décennies plus tard, alors qu’elle s’initie aux arts du cirque au sein de l’Académie Fratellini (fondée en 1974 à Paris par Annie Fratellini et Pierre Étaix), elle découvre la pratique du trapèze en grand balan, où elle est parfaitement à l’aise.
Il est frappant de réaliser que la vie proposée aux enfants de Beauvallon n’est pas sans accointance avec celle du peuple extraterrestre qui, dans La Belle verte (1996), envoie sur Terre une émissaire nommée Mila. Elle est incarnée à l’écran par Coline Serreau, qui durant une scène magnifique fait du trapèze avec les siens.
Bien sûr d’autres films sont évoqués au cours du spectacle dont Trois hommes et un couffin (1985), récipiendaire en 1986 du César de la meilleure réalisation, ainsi que de l’Oscar du meilleur film international. Ici la cinéaste lève le rideau sur l’attitude inimaginable des producteurs, ainsi que sur les difficultés insoupçonnables du casting… Pour en savoir plus, il faut vous rendre un lundi soir au Théâtre Michel.
En revanche, un fait de notoriété publique est rappelé avec franchise par la scénariste et réalisatrice au sujet de ce film : c’est le public qui a décidé de son succès et qui, par sa venue en nombre, a permis d’inverser le rapport de force avec la production du film et d’étendre sa diffusion, soit plus de dix millions d’entrées.
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Au fil du spectacle, nous naviguons dans les multiples univers de cette artiste, car la liste de ses talents est fort longue. Elle est donc guitariste, choriste, actrice, trapéziste. Mais elle est aussi scénariste, réalisatrice, cheffe de chœur (Chorale du Delta), ainsi que metteuse en scène de théâtre, de cirque, mais aussi d’opéra.
Enfin elle pratique également la photographie, le dessin et l’aquarelle. Une exposition lui est actuellement consacrée à la Galerie Cinéma (Paris 3e) jusqu'au 28 février.
Ce partage d’anecdotes nous entraîne ainsi dans l’union improbable du hip hop et de l’opéra (La Chauve-Souris de Johann Strauss, Opéra Bastille, 2000), dans l’évocation de Claude et Lidia Bourguignon qui sont microbiologistes du sol (Solutions locales pour un désordre globale, 2000), dans les mésaventures de la Chorale du Delta se voyant interdire de chanter du Mozart dans une église, mais aussi dans l’interprétation à jamais inégalée de Desdémone par Coline Serreau alors jeune comédienne (Festival du Marais, 1974). Et bien d'autres choses encore...
L’œuvre cinématographique de Colline Serreau est si conséquente que ce spectacle d’une heure trente ne permet pas de revenir sur l’un de ses chefs-d’œuvre : Romuald et Juliette (1989).
Ce film a pourtant toute son importance dans notre histoire cinématographique, notamment parce qu’il a été le premier film à porter à l’écran l’actrice Firmine Richard, dont c’était alors le premier rôle au cinéma.
Dans ce film, non seulement un des deux rôles titres est celui d'une femme de ménage élevant seule ses cinq enfants et résidant dans une banlieue HLM, mais qui plus est ce rôle est incarnée par une actrice Noire apparaissait à l’écran de façon parfaitement réaliste et lavée de tous les clichés postcoloniaux.
Si on se permet d’insister sur cet aspect de ce film, réalisé il y a déjà trente-cinq ans, c’est aussi parce que le sous-emploi caricatural et raciste (conscient ou non) des actrices Noires dans le cinéma français a été ouvertement dénoncé il y a tout juste six ans, y compris durant le Festival de Cannes, par la retentissante publication de Noire n’est pas mon métier (2018), un essai collectif initié par l’actrice Aïssa Maïga, dans lequel Firmine Richard témoigne - entre autres - de son expérience d’artiste dans Romuald et Juliette.
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On affirme et on écrit beaucoup que Coline Serreau est féministe, engagée pour l’écologie et l’écoféminisme. Sans doute faudrait il d’abord le lui demander.
De façon analogue, il faut toujours que les dames menant une activité publique - qu’elle soit artistique ou politique - soit identifiées comme « fille de », ou « épouse de », ou « mère de ».
Ce sont les cases dans lesquelles on tient à contenir l’effervescence de ces dames.
Or tant par sa forme que par son contenu, ce spectacle déjoue toutes ces logiques et c’est aussi ce qui en fait un grand moment de plaisir.
Joël Cramesnil
La Belle histoire de Coline Serreau, au Théâtre Michel 38 rue des Mathurins à Paris 8e, les lundis soirs (programmation prolongée).