UN TABLEAU LOIN DES REGARDS
Le Serment de l’Odéon, départ pour la caserne Babylone le 29 juillet
de Claude Joseph Edouard Curty (1799-1882), œuvre de 1830 (huile sur toile, 185 x 150 cm)
conservée par la Ville de Paris, à la mairie du 6e arrondissement

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Lorsque fin juillet 1830 le peuple se soulève à Paris, journées des Trois glorieuses, le Théâtre Royal (actuel Odéon-Théâtre de l’Europe) ne sert pas de lieu d’assemblée dans son enceinte et reste fermé durant trois jours. Le quartier Latin universitaire se révolte, la première barricade de ce secteur aurait été dressée le 27 juillet à proximité du théâtre.
La place de l’Odéon (Paris, 7e arr.) est choisie par les étudiants de l’École Polytechnique pour se regrouper, avant de partir à l’assaut de la caserne se trouvant rue de Babylone (Paris, 7e arr.). Le péristyle du théâtre, rendu inaccessible par des grilles depuis 1992, est investi pour regrouper des armes.
A la suite de ces événements, la scène de préparation de ce départ inspire au peintre Claude Joseph Edouard Curty Le Serment de l’Odéon, départ pour la caserne Babylone le 29 juillet ; une scène à laquelle on peut supposer que l’artiste a assisté, qu’il peint dès 1830.
Dans ce tableau, sur le fronton du Théâtre Royal, ce second mot d’appellation est masqué par un drapé rouge, tandis qu’un rassemblement massif se tient sur la place. Au centre, un personnage se tient debout sur un canon, il s’adresse à la foule en brandissant une lettre qu’il tient dans sa main.
Cette œuvre est exposée une première fois en février 1831, lors d’une exposition organisée à la galerie du Luxembourg au profit des blessés de ce soulèvement : « Cette foule innombrable, animée des sentiments les plus vifs, remplit tout l’espace, et offre l’aspect le plus vrai et le plus menaçant. C’est un tableau historique de petite dimension » (Journal des artistes, Société libre des beaux-arts, Paris).
Elle est ensuite présentée au Salon, où elle est décrite dans le catalogue en permettant de comprendre plus précisément son contenu : « A dix heures, un groupe d’hommes vient d’arriver, trainant une pièce de canon en fer qu’ils ont conquis à l’artillerie de l’Arsenal. Constant Georges (…) demande le commandement ; il lui est donné d’un mouvement spontané. Aussitôt un jeune avocat monte sur les roues de la pièce, et soutenu par ceux qui l’entourent, il fait lecture d’une lettre de la Dauphine, qui avait été interceptée. A cette lecture succède une exhortation dans laquelle il conjure ces compagnons d’arme de vaincre la tyrannie ou de mourir pour la liberté. Alors un seul cri se fait entendre dans toute la troupe : la liberté ou la mort ! A ce moment, sous l’arcade Molière, arrive un groupe d’hommes armés ; au coin du théâtre, un élève de l’École polytechnique monté dans une charrette, est occupé à faire transporter des barriques de poudre pour les déposer dans le corps de garde ; tandis qu’à l’angle de la rue de Voltaire, dans la boutique du marchand de vin Duval, on fait des cartouches. Quelques hommes s’occupent de ce côté à refaire des barricades. » (Explication des ouvrages, Salon de mai 1831, auteur non précisé).
Enfin, dans L’Observateur aux salons de 1831 ou revue des tableaux, paraissant à la même occasion, l’œuvre fait l’objet d’un descriptif bien plus court et d’une tout autre nature : « Grande et vaste composition, mais qui pêche par plusieurs endroits. Composition à laquelle on peut reprocher de la confusion, et même un trop grand désordre » (auteur non précisé).
En 1831, la réception du choix thématique et du geste de Claude-J.E. Curty, alors âgé de trente ans, est bien évidemment en résonnance directe avec les événements politiques qu’il rapporte, mais c’est aux spécialistes d’histoire de l’art qu’il revient de la contextualiser de façon plus fine.
Dans son Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs paru à la Librairie Gründ en 1939, Emmanuel Bénézit
mentionne Claude Joseph Edouard Curty : « Peintre né à Paris le 31 août 1799. En 1817, il entra à l’Ecole des Beaux-Arts, où il eut pour professeur Lafitte, Abel de Pujol et Boisselier. De 1824 à 1841, il exposa au Salon de Paris. A Mons, il décora la salle des banquets maçonniques. Il a peint surtout des vues de Paris. »
Ce tableau est une pièce majeure du corpus iconographique se rapportant à l’histoire de l'actuel Odéon-Théâtre de l'Europe.
Par ailleurs la seconde Révolution de juillet a également inspiré la création de dix spectacles, à l’affiche à Paris dès deux semaines après ce soulèvement, sur une période de quatre mois, sujet de l'article de Jean-Claude Yon paraissant en 1997 aux éditions de la Sorbonne.
Cette œuvre de Claude J. E. Curty fut exposée publiquement une dernière fois à Paris en 1982/83, lors d’une exposition sur les deux cents ans du Théâtre de l’Odéon (son nom d’alors, direction Jacques Toja) organisée par ce dernier et par la Délégation à l’action artistique de la Ville de Paris, d’octobre à mai (foyer du théâtre) et de janvier à février (mairie annexe du 6e arr.). Elle est mentionnée dans le catalogue, mais sans y être reproduite.
Cette huile sur toile (185 x 150 cm) est conservée par la Ville de Paris : elle ornemente un bureau de la mairie du 6e arrondissement.
Joël Cramesnil

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