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Billet de blog 24 septembre 2025

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Le Revizor émancipé de la Compagnie Populo (festival Départ d’Incendies)

Parmi les quatorze spectacles programmés au festival Départ d’Incendies (Cartoucherie, Paris 12e), la Compagnie Populo propose une version pluridisciplinaire de la célèbre pièce "Le Revizor" de Nicolas Gogol. Une démarche théâtrale franche, inventive et originale, où l’évocation d’un microcosme russe du XIXe s cédant à la bêtise agit tel un miroir tendu à la France actuelle.

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Illustration 1
Billetterie du festival Départs d’Incendies © photographie Constant Regard

Départ d'Incendies est programmé à la Cartoucherie (Paris 12e) où il est accueilli par le Théâtre du Soleil. C’est un festival de jeune théâtre qui se tient tous les deux ans, il se déroule jusqu’au 5 octobre.

Des troupes mettent en commun leurs moyens humains, matériels et économiques, tandis qu’elles assument tout le fonctionnement du festival en étant soutenues par des bénévoles. Enfin, chaque équipe découvre ce que les autres jouent, à la façon d’une école de théâtre.

C’est dans un espace dédié aux métamorphoses (la salle de répétition du Théâtre du Soleil) que se tient ce festival. Il s’est aussi doté d’une scène extérieure qu’il a construit lui-même. Sa seconde édition se tenant en septembre, puisse l’automne être clémente envers le jeune théâtre.

Départ d’Incendies réunit douze troupes, soit quatorze spectacles impliquant une centaine de personnes. Au programme : théâtre, cirque, marionnette, clown, danse, musique, cabaret, avec – comme toujours – une billetterie adaptée à tous les publics, ainsi que plusieurs créations hybrides.

Illustration 2
Le Revizor de Nicolas Gogol par la Compagnie Populo © Compagnie Populo

L’hybridité est justement l’un des partis pris de la Compagnie Populo qui propose dans toutes ses créations « une réflexion autour du phénomène de la déshumanisation ».

Née en 2021 et installée à La Ciotat, elle se définit également « dans la lignée de la décentralisation où elle revendique haut et fort un théâtre qui cherche à rassembler. »

En choisissant Le Revizor de Gogol, elle trouve un terreau propice pour traiter de la déshumanisation, à travers la décomposition d’un microcosme humain prêt à se rouler dans la fange en souscrivant aux propos d’un imposteur qu’elle adule et qu’elle couvre d’argent.

Dans une bourgade provinciale russe où règne l’affairisme et la corruption, la petite société des dominants se retrouve en situation de stress à l’annonce de l’arrivée imminente d’un revizor.

La panique s’installe, tout doit être réorganisé à la hâte afin de faire bonne impression : débarrasser le tribunal de l’élevage d’oies qui s’y trouve, évacuer les cadavres gisant à l’hôpital, etc.…

Mais dans l’affolement et la précipitation, un quiproquo se noue autour d’un étudiant sans-le-sou, de passage dans cette bourgade et que tout le monde prend alors pour le revizor.

Tandis qu’ailleurs on ferait le paon pour plaire au monarque, ici on fait le héron en se tenant sur une jambe pour plaire au prince.

Illustration 3
Le Revizor de Nicolas Gogol par la Compagnie Populo © Compagnie Populo

La Compagnie Populo a d’abord soigneusement travaillé avec André Markowciz, traducteur de Nicolas Gogol. Elle a ensuite effectué quelques coupures dans le texte, où elle a su également insérer des références contemporaines, conformément aux indications de l’auteur.

Cette création conjugue librement théâtre, danse, masques organiques et marionnettes à taille humaine, ainsi qu’une autre technique générant un irrésistible coup de théâtre, à la fois comique et cauchemardesque, mais qu’on ne révélera pas ici (allez voir ce spectacle et vous saurez).

A travers le traitement plastique et théâtral de la lente mutation de ce microcosme humain, la Compagnie Populo donne à voir les mécanismes de déshumanisation pouvant notamment conduire au fascisme.

Les ondulations de ces personnages sont habilement soulignées par leurs costumes et la dégradation progressive de leurs visages est à l’image de leur décomposition intérieure. Ils pourrissent par la tête.

Ce microcosme se décompose, celui qu’ils prennent pour le revizor a la beauté du diable et les techniques d’un tartuffe. Mais pour autant ce n’est pas un spectacle noir, car l’épilogue de cette mise en scène offre à l’un des personnages le moyen de reprendre forme humaine.

C’est Le Revizor émancipé, une création libérée des commentaires maniéristes consacrés à la société russe du XIXe siècle. C’est une mise en scène qui prend forme au centre du système nerveux de ce texte et qui permet au théâtre de nous tendre un miroir.

*

Le Revizor de Nicolas Gogol par la Compagnie Populo (durée 1h50) au festival Départ d’Incendies, à la Cartoucherie (Paris 12e), jusqu’au 28 septembre.

Réservation ICI

Illustration 4
Espace de convivialité du festival Départs d’Incendies © photographie Constant Regard

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