
M. Pierre Désiré Engo, Président de la Fondation Martin Paul Samba
Au Cameroun, les décisions du président Paul Biya sont comme les promesses: elles n’engagent que ceux qui y croient. Même «gracié», un condamné peut continuer à être poursuivi pour les mêmes faits classés sans suite quinze ans avant.
Par René Dassié, Président du CL2P
Le dénommé Pierre Désiré Engo qui a été ancien ministre de l'économie des deux présidents successifs du Cameroun puis patron de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) en fait l’amère expérience. Jeudi, cet homme âgé de 73 ans, qui avait bénéficié d’une remise totale de peine après avoir passé quinze années en prison a de nouveau comparu devant le Tribunal criminel spécial de Yaoundé (Tcs), pour la même accusation de détournement de deniers publics qui lui avait valu une première inculpation en 1999.
La justice camerounaise a en effet refusé d’avoir pour lui la même lecture que pour les autres bénéficiaires d’un décret pris par Paul Biya en février et portant remise générale de peine pour les personnes condamnées pour détournement de fonds publics. Ce texte avait été pris au plus fort des pressions internationales en faveur de la libération du Français d’origine camerounaise, Michel Thierry Atangana, lui-même condamné deux fois pour les mêmes faits et ayant déjà passé dix-sept (17) ans en prison. Il annulait toute la peine restant à purger pour les détenus en prison depuis dix ans. Ce qui était le cas pour M. Engo, qui entamait sa quinzième année de détention.
Cependant, alors que M. Atangana, l’ancien ministre Titus Edzoa condamné dans le même dossier que lui, et d’autres prisonniers seront élargis, personne ne songera à évoquer le cas de l’ancien patron de la CNPS au ministère camerounais de la Justice, dirigé par l’inamovible Laurent Esso, pièce maîtresse du système Biya. Il faudra attendre trois mois et des pressions de l’Élysée contacté par son fils Joël Didier vivant à Paris et qui a pu rencontrer François Hollande, pour que les choses bougent en sa faveur à Yaoundé. Pour autant, à l’opposé des autres détenus, M. Engo qui doit repasser devant un juge ne bénéficie que d’une liberté provisoire.
Au Tcs qui a été créé longtemps après le déclenchement de son affaire, on lui fait savoir qu’il est sous le coup d’une nouvelle inculpation et doit de nouveau être jugé. De quoi est-il accusé? D’avoir détourner la faramineuse somme de 25 milliards de francs CFa des caisses de la CNPS, lorsqu’il dirigeait cet organisme public chargé entre autre de payer les pensions de retraite. Or plus d’une dizaine d’années plus tôt, les premiers magistrats qui l’avaient entendu avait trouvé cette accusation fantaisiste, et avait classé l’affaire sans suite.
Le tribunal s’était cependant débrouillé pour trouver de nouvelles charges pour le maintenir en prison. Parmi elles, une histoire de chèque sans provision, dans laquelle on lui reprochait d’avoir bloqué le payement d’un prestataire de la CNPS qui n’avait pas exécuté son marché, mais aussi de nouveaux détournements de fonds. «L’affaire Engo» comme l’appellera la presse camerounaise devient ainsi un feuilleton judiciaire à rebondissements. M. Engo ne cesse de clamer son innocence. Mais rien n’y fait. Il se voit infliger tour à tour une série de peines, allant de six mois à quinze ans de détention.
Entre temps, les investigations sur les détournements de deniers qu’on lui reproche se poursuivent. Plusieurs commissions rogatoires internationales sont exécutées: elles ne rapportent pas le moindre commencement de preuve. Très coûteuses, elles servent surtout pour certains hauts cadres de l’appareil judiciaire camerounais à s’offrir dans les capitales occidentales des missions qui s’apparentent à de véritables voyages d’agrément.
Face à la détresse de M. Engo, son fils aîné, Joël Didier, spécialiste en relations internationales suspend sa carrière aux Etats-Unis et s’installe à Paris pour attirer l’attention de la communauté internationale sur son cas.
Un dossier est ainsi soumis au Conseil des droits de l’homme de l’Onu. En 2009, cet organisme qui est reconnu pour son impartialité rend un avis favorable M. Engo. Il enjoint le gouvernement camerounais à le libérer sous 180 jours et à réparer le préjudice qu’il a subi du fait de son incarcération injuste. Cependant, à Yaoundé, on décide de faire le dos rond. Pas de libération.
Car l’affaire Engo est avant tout une affaire politique. Ancien proche de Paul Biya et issu comme lui de l’ethnie Bulu du sud du Cameroun, le patriarche a connu la disgrâce après avoir créé une fondation mémorielle en faveur d’un résistant à la colonisation. Connu sous le nom de Martin Paul Samba, celui-ci avait été fusillé par les Allemands le 8 août 1814 à l’âge de trente-neuf ans, le même jour qu’un de ses compagnons de lutte, Duala Manga Bell. Depuis, une sorte de tabou inexplicable règne sur la mémoire de M. Samba.
L’activisme de Pierre Désiré Engo au sein de la fondation dont il est le président lui vaut le soupçon de vouloir faire ombrage au président Biya dans son bastion électoral. La machine judiciaire se met en branle. Depuis quinze ans, elle l’écrase.
Au tribunal jeudi, M. Engo s’est entendu dire qu’un complément d’enquêtes ordonnées par les juges n’était pas prêt. Traduction: une nouvelle commission rogatoire internationale serait en cours. Même en hiver, des voyages tous frais payés en Europe sont toujours à prendre. Et tant pis pour le décret de Paul Biya qui ordonnait de libérer M. Engo. L’affaire a été renvoyée en février de l’année prochaine.
René Dassié, Président du CL2P
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