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Un stand près de Karlsplatz à Vienne: l'offre est très diverse. On distingue le dessin d'un kebab. © Joëlle Stolz
La municipalité social-démocrate de la capitale a salué la décision : l’organisation des Nations unies pour la culture, l’Unesco, vient de classer le stand à saucisses viennois, le Würtelstand, qui figure maintenant au patrimoine au même titre que les cafés et les Heurigen, les populaires cabarets où les vignerons vendent leur production.
Pourtant ces derniers restent infréquentables pour beaucoup de musulmans, qui ne boivent pas d’alcool et sont de plus en plus nombreux en Autriche, surtout dans la capitale. Sans compter que le Würstelstand (prononcer « Wurchtelstand ») a changé depuis son installation permanente dans le paysage urbain en 1969 : il propose souvent du kebab d’agneau, des cheeseburgers et des wraps végétariens.
Une analyse des goûts (fondée sur 1,4 million de commandes) par l’une des principales entreprises de livraison de repas à domicile montre que les gens choisissent en priorité des pizzas, des frites et du Coca-Cola. Donc rien qui appartienne à la gastronomie viennoise, beaucoup plus variée que l’allemande parce qu’elle a tiré parti du caractère multi-ethnique de l’ancien empire des Habsbourg. Composante traditionnelle des saucisses et de l’escalope panée, la célèbre Wiener Schnitzel, le porc figure certes toujours au menu offert par la plupart des stands. Mais les tenanciers de ces kiosques de repas pris sur le pouce dans la rue savent qu’une partie des clients n’en voudra pas.
Le "baromètre de l'extrémisme de droite"
Presque au même moment où le Würstelstand était honoré par l’Unesco, étaient publiées, le 27 novembre, des statistiques qui montrent à quel point la propagande islamophobe de l’extrême droite, relayée par sa principale force, le FPÖ, mais aussi par de nombreux médias ainsi que par le courant chrétien-conservateur, s'enracine dans l'opinion.
Les résultats du « baromètre de l’extrémisme de droite » (Voir le rapport en allemand) que vient d'effectuer pour la première fois le Centre autrichien de documentation sur la Résistance (DÖW), un centre de recherches historiques lié à la social-démocratie et aux milieux antifascistes, sont un signal d'alarme.
36% des Autrichiens, soit nettement plus d’un tiers (69% de ceux qui se disent proches de l’extrême droite), n’aimeraient pas avoir comme voisins « des musulmans » et 29% pensent qu'il faut fermer les frontières à des migrants appartenant à cette religion.
La moitié d'entre eux sont favorables à une « remigration » des étrangers jugés indésirables (Voir ici). Un concept recouvrant des déportations de masse, vanté par un dirigeant « identitaire » lors d’une réunion tenue secrète à Potsdam près de Berlin, et légitimé par Donald Trump qui veut en faire une mesure-phare de son prochain mandat présidentiel. Aux États-Unis cela touchera surtout des Latinos, en Autriche les migrants venus du monde musulman seraient en première ligne.
Israël = nazi
Un Autrichien sur trois (90% de ceux qui se définissent comme d’extrême droite) appelle de ses vœux un « homme fort » qui n’aurait pas à se soucier d'un Parlement. Plus de 50% d'entre eux souhaitent l’emprisonnement « préventif » des gens qui leur apparaissent comme « dangereux », même quand ils n’ont commis aucune infraction. Cela rappelle la Schutzhaft de sinistre mémoire, la loi permettant au Troisième Reich de mettre derrière les barreaux de simples suspects.
Enfin 42% des Autrichiens estiment que la politique d’Israël contre les Palestiniens est "aussi mauvaise" que celle des nazis contre les Juifs, qui deviennent "de plus en plus antipathiques" à cause des crimes commis par Tsahal à Gaza. Ce chiffre dépasse de loin les frontières de la communauté musulmane, estimée désormais à quelque 10-11% d’une population de quelque 9 millions d'habitants, mais aussi celle des tenants d'un "antisémitisme à l'ancienne", ces quelque 15% de la population qui adhèrent aux stéréotypes selon lesquels les Juifs tireraient les ficelles dans les médias etc. Le vieux fond antisémite, plus important en Autriche qu'en Allemagne, se conjugue avec l'indignation actuelle. 33% des sondés n'aimeraient pas non plus avoir des Juifs pour voisins (contre 17% s'il s'agissait d'homosexuels).
Cette proportion élevée de 42% donne quelque consistance à l'hypothèse selon laquelle l’Allemagne et l’Autriche soutiennent inconsciemment les crimes de Nétanyahou pour se dédouaner du projet génocidaire du nazisme contre les Juifs européens. Elle devrait inquiéter les responsables israéliens, car il y a fort à parier qu'un tel rejet n'est pas isolé en Europe de l'Ouest.
Les résultats mettant en relief la xénophobie - l'étude, menée en ligne en avril 2024, a rassemblé 2 198 personnes considérées comme représentatives - ont été remarqués. Et violemment critiqués par le FPÖ, qui déteste l'étiquette d'"extrême droite" et reproche au DÖW, qu'il désigne comme une officine de gauche, ses méthodes "pseudo-scientifiques". Il est temps, a déclaré son secrétaire général Christian Hafenecker, que la télévision publique ORF réalise que "les gens ne pensent et ne votent pas suivant la vision woke du monde" en vigueur, selon lui, dans cette rédaction. Et qu'attentats djihadistes, agressions sexuelles ou batailles au couteau sont "la conséquence d'une immigration illégale de masse venue de cultures étrangères à la nôtre".
Le FPÖ, qui s'accommode assez bien de rester dans l'opposition, est en pleine forme. Depuis les législatives fin septembre, on se dirige en effet vers un gouvernement fédéral unissant chrétiens-conservateurs (26,27%) et sociaux-démocrates (21,14%) avec comme force d’appoint les NEOS libéraux (arrivés en quatrième position avec 9,14%), mais qui exclut le gagnant des élections, le FPÖ (28,85%), selon les résultats définitifs (Voir ici). Bien qu'il se présente comme une victime, ce parti ne semble guère pressé d'assumer une situation économique difficile et se prépare pour une victoire encore plus nette. Au niveau régional, la collaboration des conservateurs et de l’extrême droite est en revanche fréquente.
Rhétorique xénophobe et conflits de valeurs
Or ces deux courants ont favorisé depuis des années l’ancrage d’une rhétorique xénophobe, dirigée surtout contre les musulmans, qui tendent dans le discours public à prendre la place des Juifs, cible de l'antisémitisme traditionnel. Cette animosité est véhiculée par les médias à la faveur de faits-divers qui secouent l'opinion, en soulignant la différence de valeurs avec les « étrangers » quant au statut des femmes ou des homosexuels. Les musulmans sont souvent les nouveaux boucs-émissaires.
Car nos principes égalitaristes – l’acceptation de l'homosexualité est passée en Autriche en relativement peu de temps de quelque 10% à 50% – se sont nettement affirmés depuis un demi-siècle. Le fossé s'est creusé avec ceux qui se réclament de prescriptions religieuses que nous jugeons intolérantes, qu’elles viennent de la Bible ou du Coran.
Relevons enfin que près de la moitié des Autrichiens, d'après cette étude, croient à trois mythes caractéristiques d'une mentalité complotiste : que les médias mentent systématiquement à la population; que des organisations secrètes influencent les décisions politiques; et qu'ils seront à long terme remplacés par des gens originaires d'ailleurs. 13% sont convaincus que Bill Gates et ses équipes ont implanté aux humains des "chips", à la faveur notamment des vaccinations imposées par les pouvoirs publics. Comme dans d'autres pays, les maladresses des gouvernants durant le Covid ont permis au FPÖ d'organiser, ce qui est nouveau, des manifestations de rue.
On décèle chez les Autrichiens, ont souligné les auteurs de l'étude du DÖW, un "sentiment de perte de contrôle", conforté par l'érosion des salaires et la vague actuelle de fermetures d’usines dans un pays dont l'industrie dépend beaucoup de celle de l'Allemagne, elle aussi en berne. La surprenante faillite de KTM, qui produit des motos, est vécue en Autriche comme une catastrophe nationale analogue à l'ampleur du déficit public en France. Rien d'étonnant à ce que cette angoisse débouche sur une demande accrue d'autorité, voire la nostalgie de régimes non-démocratiques dont le "chef" se passait du contrôle parlementaire.
Beaucoup d'Autrichiens pensent, comme 73% des Français, que « c’était mieux avant », l’emploi comme le Würstelstand. Conservateurs et FPÖ sont en tout cas d’accord sur un point : rétablir les croix au mur de toutes les salles de classe. Même quand celles-ci, comme c'est parfois le cas dans certaines écoles publiques de Vienne, sont majoritairement musulmans.
(*) Ce samedi 30 novembre le FPÖ viennois avait annoncé une manifestation, interdite par la police au motif que cela allait gêner la circulation. En riposte, le parti d'extrême droite a appelé les mécontents à une "promenade", s'appropriant ainsi une façon de défiler inventée par les sociaux-démocrates quand ceux-ci ont été interdits par la dictature cléricale - l'austro-fascisme - qui a précédé le nazisme. Il est habile d'apparaître comme ceux qui défendent des valeurs et des convictions face à l'orgie de consommation précédant Noël.
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