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Billet de blog 7 septembre 2025

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L'intégration des étrangers en Autriche est assez réussie

Dix ans après la fameuse phrase d'Angela Merkel, "Wir schaffen das" (Nous y arriverons), les chiffres montrent qu'elle avait raison: la société autrichienne a dans l'ensemble digéré l'apport des migrants qui sont restés chez elle. Il y a des problèmes ravivés par la stagnation économique mais la sécurité chère à l'extrême droite n'est pas au premier rang.

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« Sie schafft das nicht » (elle n’y arrivera pas) : ce commentaire murmuré d’un présentateur connu du journal télévisé autrichien, pourtant peu suspect de sympathies pour la droite xénophobe, faisait écho il y a une décennie à la phrase prononcée quelques jours plus tôt (« Wir schaffen das » : « Nous y arriverons ») par la chancelière allemande Angela Merkel, de la CDU (centre droit), pour justifier que son pays accueille la vague de réfugiés syriens ou afghans chassés par les guerres, fin août 2015.

Dix ans après, qu’en est-il ? La présence dans l’Union européenne de nombreux migrants venus de ces pays musulmans n’a pas tardé à poser problème : quelques mois plus tard les agressions sexuelles commises la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne et les attentats en France – les services secrets arrivant vite à la conclusion que les auteurs de ceux de novembre 2015 à Paris s’étaient glissés dans le flot des arrivants par l’Autriche – ont suscité la réaction : « pas de ça chez nous ! ».

L’extrême droite n’a fait que se renforcer depuis, en Autriche où le FPÖ était déjà un phénomène connu, comme en Allemagne où l’AfD (Alternative für Deutschland), née durant la dernière décennie, s’est inscrite dans le paysage politique.

L’accueil chaleureux alors réservé par la population autrichienne, qui est souvent allée dans les gares encourager ces migrants en pensant qu'ils ne faisaient que passer, n’est plus qu’un souvenir.

Une certaine innocence a été perdue mais beaucoup de gens se sont plus ou moins habitués à considérer les musulmans non turcs comme partie intégrante de leur monde, pas seulement les serbes orthodoxes ou les catholiques qui venaient de Pologne et de Croatie.

En une décennie, rappelle dans le quotidien viennois de centre gauche Der Standard le spécialiste de sciences sociales Günther Ogris, la population autrichienne s’est accrue de 620.000 personnes (sur 9 millions d’habitants actuellement), dont 120.000 rien que pour l’année 2015. 94.000 personnes qui vivent aujourd’hui en Autriche sont des Syriens, 89.000 sont des Ukrainiens, et 45.000 viennent d’Afghanistan. On entend couramment parler arabe ou farsi dans le centre de Vienne en fin de semaine.

Il a fallu les aider au début, mais l’économie y a gagné : de 2015 à 2018, souligne Ogris, le PIB  a crû de 12% - contre 0% maintenant. Et si l’inflation atteint des sommets alors qu’elle est très contenue en Allemagne, c’est parce que l’économie autrichienne est restée accrochée à l'industrie automobile allemande, et qu’elle paie plus cher son énergie depuis la guerre en Ukraine. C’est aussi parce que l’Autriche a une densité très élevée de supermarchés – 60 pour 100.000 habitants contre 40 pour 100.000 chez son grand voisin du nord – et une situation hégémonique de deux chaînes de commerce alimentaire, Billa et Spar.

Le fait que la capitale augmente de 30%, à partir du 1er janvier prochain, le prix des transports en commun ou que les retraites, plus confortables qu’en France ou en Allemagne, restent inférieures à l’inflation (le gouvernement siège ce dimanche pour définir les seuils en-deçà desquels elles seront plus fortement valorisées), a constitué un choc dans un pays longtemps très privilégié.

Mais regardons les chiffres sur le marché du travail et ceux sur la sécurité, qui alimentent tant de fantasmes. Le nombre de petites entreprises s’est accru et 70.000 sont le fait de Syriens. Le nombre d’"indépendants": artisans, commerçants ou livreurs, est passé de 390.000 à 500.000. Quant à celui des travailleurs et employés, il a bondi de 400.000 personnes, passant de 3,53 millions en 2015 à 3,96 en 2024. Quelque 1,2 million de personnes nées à l’étranger, selon Ogris, paient des cotisations sociales, dont 50.000 Syriens et Afghans (sur un total de 139.000), et 22.000 Ukrainiens (sur 89.000).

Enfin la criminalité a diminué, contrairement au sentiment populaire qui se polarise sur des faits divers spectaculaires comme le projet d’attentat islamiste l’été dernier contre les fans d’un concert de Taylor Swift : en 2014 on recensait 33.000 délits, mais seulement 29.000 en 2019, 20.000 en 2024. La délinquance des jeunes indique un semblable déclin : si l’on s’en tient aux condamnations, il y en eut 1.774 en 2014 contre 1.543 en 2024, soit – 13%.

Le tableau n’est sans doute pas toujours rose. On a vu surgir des difficultés, en premier lieu celles auxquelles sont confrontés les enseignants dont les élèves ne parlent pas allemand, et dont certains n’ont jamais été scolarisés. Vienne entend aussi plafonner au-delà d’un certain nombre d’enfants, pour réduire son déficit, les allocations familiales qu’elle versait jusqu’alors – plus de 200 euros par enfant, quel que soit leur nombre, plus un crédit d’impôt de 70 euros.

Des familles de migrants ont indéniablement réalisé en Europe le projet d’enfant qu’elles avaient différé. Mais si l’Autriche a une natalité en berne, elle doit plutôt s’interroger sur un système de garde des tout-petits qui favorise le modèle de la mère au foyer et va dans le sens des familles musulmanes conservatrices que tant d’Autrichiens critiquent.

C’est aussi la collision d’une culture où l’on a en général un à deux enfants, quand on en a, et d’une autre où la norme est plus élevée. Celle d’une société où la tolérance – envers l’homosexualité ou la parentalité hors mariage – a progressé très vite depuis vingt ans, et de nouveaux arrivants qui y voient une « décadence » dont ils ne veulent pas.

La politique en tout cas obéit à un agenda dicté par l’extrême droite xénophobe : le chancelier conservateur Christian Stocker a ainsi annoncé qu’il voulait que soient expulsés vers la Syrie ou l’Afghanistan les étrangers condamnés en Autriche tandis que le gouvernement de coalition droite-socialistes-libéraux s’est mis d’accord sur un projet de loi interdisant le port du voile islamique à l’école pour les filles de moins de 14 ans.

C’est une vieille histoire : la Cour constitutionnelle avait déjà rejeté en 2020 une loi similaire du gouvernement droite-extrême droite, adoptée un an plus tôt. Gageons qu’il en sera de même avec celle-là.  

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