Un grand soupir de soulagement a parcouru les rédactions en Autriche quand on a su, vendredi, que la journaliste Alexandra Föderl-Schmid avait été retrouvée saine et sauve par la police. Sous un pont au bord de l'Inn près de Braunau, en territoire autrichien, frigorifiée mais vivante. Depuis, elle se trouve à l'hôpital mais beaucoup de ses collègues s'interrogent sur la campagne de haine déchaînée contre elle sur les réseaux sociaux, soi-disant pour "plagiat", qui l'a menée au bord du suicide.
Car celle qui a dirigé pendant des années comme rédactrice en chef le quotidien viennois de centre-gauche Der Standard, avant d'être recrutée en 2020 par le grand quotidien basé à Munich, la Süddeutsche Zeitung (ou SZ), équivalent dans le monde germanophone du Guardian et référence incontournable de la gauche progressiste, était devenue une cible à abattre pour l'extrême droite.
Qui ne pardonnait pas à la gauche d'avoir émis des doutes au sujet de la thèse de doctorat d'une des figures les plus en vue de l'Alternative pour l'Allemagne (ou AfD), le parti xénophobe qui a depuis des mois le vent en poupe: la révélation en janvier de la présence d'Alice Weidel à une réunion censée rester secrète près de Potsdam, où un identitaire autrichien a exposé un plan de "remigration" - entendre: expulsion - visant des millions d'étrangers qui vivent sur le sol allemand, au prétexte que trop d'entre eux abuseraient du droit social européen, a suscité d'énormes manifestations de protestation en Allemagne, et à un moindre degré en Autriche.
Dans les deux pays des élections, régionales en Allemagne, puis à l'échelle nationale en Autriche pour y renouveler le Parlement, sont cette année un enjeu politique majeur. L'une des questions les plus brûlantes est de savoir si la droite démocrate-chrétienne fera ou non alliance avec l'extrême droite. Pour l'instant, elle s'en défend. Mais elle l'a déjà fait à deux reprises en Autriche, en 2000 et en 2017. Tandis qu'en Allemagne la CDU/CSU regarde avec inquiétude monter les scores de l'AfD, à chaque scrutin ou presque.
Une vendetta de l'extrême droite
C'est dans ce contexte que s'est développée, depuis décembre 2023, une campagne contre cette journaliste autrichienne, identifiée comme "de gauche", et dont l'intégrité professionnelle a été mise en doute. D'abord par un article dans une publication spécialisée allemande, le Medieninsider, qui a aussitôt suscité beaucoup d'émotion: l'article restituait des passages d'articles de Föderl-Schmid qui auraient été empruntés à d'autres médias, sans les citer.
La rédaction de la SZ a alors paru plus soucieuse de savoir qui était la "taupe" en son sein, à même de livrer à l'extérieur des informations sensibles, que de défendre avec fermeté Alexandra Föderl-Schmid. L'affaire a pris un tour bien plus grave lorsque, début février, le site à sensation allemand Nius, dirigé par l'ex-rédacteur du quotidien de Hambourg Bild Julian Reichelt - équivalent débridé de la chaîne de télévision Fox News ou des "médias Bolloré" pour la presse écrite germanique -, a publié le rapport de onze pages d'un "chasseur de plagiat" (payé 2 000 euros) accusant de plagiat la thèse jadis soutenue à Salzbourg par la journaliste autrichienne.
Celle-ci s'est mise en retrait de toute responsabilité au sein de la SZ, le temps que ces griefs soient examinés, mais le mal était fait. D'autant que l'extrême droite s'est alors déchaînée sur les réseaux sociaux (quelques exemples sur X, ex-Twitter: "Qu'elle tombe de son piédestal!", "Pas de pitié pour les plagiaires", "Il faut l'enfermer" et autres commentaires cinglants sur "l'arroseur arrosé").
Tout cela sentait la vendetta. N'est-ce pas la SZ qui a relayé en décembre dernier les accusations de plagiat contre Alice Weidel, laquelle a finalement conservé à la suite de ce scandale son diplôme (et titre) de docteur? Un blog proche du FPÖ, le parti d'extrême droite autrichien crédité de 28 à 30% des voix dans les sondages, a comparé Föderl-Schmid à Claas Relotius, le tristement célèbre faussaire du magazine Spiegel, affirmant que sa faute était même "bien plus grave".
En réalité, si l'on en croit l'historienne et journaliste Barbara Toth, de l'hebdomadaire viennois de gauche Falter, qui a pris la peine de lire la fameuse thèse, il n'y avait pas de quoi fouetter un chat. Ce qui n'a pas empêché un responsable de l'AfD du Bade-Wurtemberg (dont la capitale est Stuttgart) d'écrire vendredi qu'Alexandra Föderl-Schmid s'était "cachée" et que la "presse de gauche haineuse avait inventé un suicide".