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Billet de blog 11 décembre 2024

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En Autriche, droite et extrême droite fantasment un retour en masse des Syriens

Droite et extrême droite en Autriche veulent croire que la plupart des réfugiés syriens, après la chute du régime de Bachar El Assad, vont retourner d'où ils sont venus. Elles risquent d'être déçues.

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« Bon voyage de retour ! » : c’est par ces mot que le chef du FPÖ viennois a salué la chute du régime de Bachar Al Assad à Damas et les manifestations de joie d’une bonne partie de la communauté syrienne de la capitale (soit quelque 60 000 personnes sur un total de près de 100 000) qui a envahi dimanche le boulevard circulaire du Ring.

Des dizaines de milliers de gens ont défilé au cœur de Vienne, en portant souvent les drapeaux de l’opposition syrienne, désormais l’emblème officiel du pays - nettement plus en tout cas, et avec plus d'exubérance, que les milliers de protestataires rassemblés jadis par l’extrême droite contre les mesures gouvernementales lors de la pandémie du Covid. Certains d'entre eux remerciaient leur pays d'accueil pour son aide généreuse.  

Problèmes d'intégration

Après l’Allemagne et la Suède, l’Autriche est en effet le pays de l’Union européenne qui a accueilli depuis 2015 le plus grand nombre de demandeurs d’asile syriens. Même s'ils forment, quand on regarde les chiffres, une toute petite minorité, quoique trop visible aux yeux de ceux qui ne supportent pas leur présence, beaucoup d’Autrichiens leur imputent une hausse de la criminalité et considèrent comme injuste que sept réfugiés syriens sur dix, dans la capitale, vivent d’une allocation publique, la Sozialhilfe.

Les problèmes d‘intégration concentrent l’attention des médias. Notamment ces enfants qui ne parlent pas allemand et qu’il a fallu scolariser avec les moyens du bord, parfois dans des conteneurs. Après avoir végété dans des camps au Moyen-Orient, ils ont été amenés en Autriche au titre du regroupement familial lorsque leur père s’est vu reconnaître le statut de réfugié. Il y a aussi dans le même cas des enfants ukrainiens, mieux acceptés que les musulmans (ces derniers sont 35% de ceux qui n'ont pas les moyens linguistiques de suivre un enseignement "normal" en primaire). 

Selon le conseiller à l’éducation de la municipalité, Christoph Wiederkehr, dont le petit parti libéral NEOS négocie en ce moment un pacte de coalition fédéral avec les conservateurs de l’ÖVP et les sociaux-démocrates du SPÖ, ces nouveaux élèves à qui il faut tout apprendre, car ils n'ont souvent jamais été scolarisés, représentent un défi supplémentaire pour un système d’enseignement public qui peine à recruter. Des employées de jardins d’enfants viennois (l’équivalent payant de nos maternelles, pour des enfants de 3 à 6 ans) ont reçu des tracts leur proposant des salaires et des conditions de travail plus attractifs en Basse-Autriche, autour de la capitale.

Et tant pis si le modèle social ancré en Autriche, qui favorise le fait que les mères restent à la maison ou ne travaillent au mieux qu'à mi-temps, lorsque leur enfant a au moins trois ans, s'harmonise parfaitement avec les conceptions traditionnelles des sociétés musulmanes.

La Basse-Autriche est gouvernée par une coalition du FPÖ avec le puissant parti conservateur local, l’ÖVP. Et bien qu'au niveau national l’ÖVP ne se dirige pas vers un accord de gouvernement avec le FPÖ, plus radicalement à droite que le Rassemblement national de Marine Le Pen, la Syrie est un sujet de convergence entre ces deux forces.

40 000 dossiers ayant abouti à l'asile vont être réexaminés

Comme l’Allemagne, l’Autriche a suspendu dès lundi les procédures d’asile en cours, soit environ 7 300. La loi prévoit que le statut de demandeur d’asile puisse être retiré quand « dans le pays d’origine s’est produit un changement essentiel et durable », en particulier de la situation politique.

Mardi le ministre conservateur de l’intérieur, Gerhard Karner (il a gravi les échelons politiques en Basse-Autriche), a fait un pas supplémentaire en annonçant que 40 000 dossiers, qui ont déjà abouti à l’octroi de l’asile, allaient être réexaminés. 40 000, c’est en gros le chiffre de ceux qui sont là depuis moins de cinq ans et seraient plus faciles à expulser. Karner n’a aucune compréhension pour les « criminels » et ceux qui refusent de s’adapter à nos valeurs et à nos lois.

La majorité des Syriens vont rester, même en Turquie

Si l’extrême droite et la droite sont d'accord dans leur désir de se débarrasser des nouveaux venus, beaucoup s’alarment d’une telle précipitation. Des experts avertissent que plus les gens vivent dans un pays depuis longtemps, moins vraisemblable devient leur retour volontaire vers l’endroit où ils sont nés.

Surtout pour les jeunes femmes, qui ont goûté en Europe de l’Ouest à une liberté qu’elles auraient bien du mal à retrouver dans la société conservatrice en vigueur dans une grande partie de la Syrie.

Un kurde syrien qui travaille pour un organisme humanitaire autrichien a averti à la télévision à une heure de grande écoute que, malgré les promesses d’apaisement envers les nombreuses minorités qui composent ce pays déchiré, les convictions islamistes des vainqueurs risquent de reprendre vite le dessus. Il craint que ses semblables, ainsi que les alaouites, qui étaient souvent proches du régime précédent, ne deviennent leurs cibles.

À l’instar de la télévision publique ORF, la presse centriste et libérale appuie sur le frein. Pour la Kleine Zeitung l’idée que de nombreux réfugiés syriens rentrent chez eux « est un pur fantasme », tandis que le Standard écrit que les pays d’Europe sont moins immédiatement concernés que la Jordanie, le Liban ou la Turquie. 

Or en Turquie, qui accueille plus de 3 millions de réfugiés syriens et dont 89% des ressortissants, selon ses enquêtes, souhaitent les voir retourner dans leur pays d’origine, l’universitaire Murat Erdogan, qui travaille depuis trois décennies sur le phénomène migratoire, estime qu’au « grand maximum » un tiers des réfugiés syriens franchira ce pas. Les autres « resteront pour toujours en Turquie », surtout ceux qui y ont une certaine insertion, un logement et un travail, dont les enfants vont à l’école.

Il suffit d’observer, explique-t-il au quotidien conservateur Die Presse, le comportement des Turcs d’Allemagne, où ils sont installés depuis soixante ans : quand on les questionne, ils disent toujours qu’ils veulent rentrer en Turquie. Mais personne ne le fait, sauf pour les vacances.

Il en sera de même, prédit-il, avec les Syriens. Attendre de gens qui ont fui la guerre qu’ils quittent un pays où leur vie est meilleure, où ils sont en tout cas en sûreté, est irréaliste. D’autant plus que la situation explosive autant qu'instable du Moyen-Orient, en Syrie comme à Gaza, ne va pas en inciter beaucoup à prendre une aussi lourde décision.

Tôt ou tard, les autorités autrichiennes seront confrontées à cette réalité. Même l’extrême droite la plus xénophobe a dû admettre, après avoir vu de ses yeux ce qui se passait sur le terrain, qu’il n’y avait pas de « zones sûres » en Afghanistan où expulser « les indésirables ».

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