Comme d'autres pays d'Europe l'Autriche a pris des mesures draconiennes contre le Covid-19 - même si une polémique se développe au sujet de la fermeture trop tardive des bars "après-ski" du Tyrol, où des centaines d'Allemands, de Danois et d'Islandais ont pu s'infecter avant de rentrer dans leur pays. Il s'agit de freiner au maximum sa diffusion, le taux de létalité étant jusqu'à 30 fois plus élevé que celui de la grippe. La population dans l'ensemble s'y tient avec beaucoup de discipline.
Parmi les milliers de chercheurs mobilisés dans le monde par cette crise sanitaire, l'un est un généticien autrichien de premier plan : Josef Penninger, 55 ans, star de la science dans un pays qui adule plutôt les musiciens ou les sportifs. Il a fait récemment la une du magazine économique Trend et était longuement interrogé le 12 mars par Franz Schellhorn, directeur d'Agenda Austria (un think-tank néo-libéral): la vidéo, pour ceux qui comprennent l'allemand, est visible sur YouTube.
Il annonce qu'un médicament sans doute capable de "fermer la porte au virus" doit être administré en intraveineuse à une douzaine de patients chinois (il serait prêt aussi à expérimenter en Autriche). La particularité du Covid-19 est en effet de pouvoir se fixer sur les cavités des poumons qui se remplissent normalement d'air : envahis d'un épais mucus, les poumons ont du mal à fonctionner, provoquant une défaillance majeure et parfois mortelle. Les résultats de ces tests seront connus dans quelques semaines. Mais si, comme il l'espère, ils s'avèrent positifs, et si des fonds suffisants sont débloqués pour le produire, la communauté médicale disposerait, au mieux vers la fin 2020, d'un remède pour les cas les plus critiques, en attendant un vaccin dont la mise au point peut prendre un an et demi à deux ans.
Le cheveu rebelle, en jean et pull rapiécé aux coudes, Penninger incarne malgré son accent régional à couper au couteau le scientifique high-tech mondialisé, le chercheur-entrepreneur à l'aise sur tous les continents : il a créé Apeiron Biologics, spécialisée dans la thérapie cellulaire des cancers, en particulier ceux des enfants. Après des études de médecine et d'histoire de l'art à Innsbruck, il a construit sa carrière de généticien au Canada, où le chancelier conservateur Wolfgang Schüssel l'a sollicité, en 2002, afin de lui confier la direction de l'IMBA (Institute of Molecular Biology Austria). En 2018 il en est reparti pour devenir directeur du Life Science Institute à l'Université de British Columbia, sur la côte Pacifique du Canada. Mais il se rend aussi très souvent en Chine (dont sa femme est originaire), où il dispose d'un réseau étendu parmi les scientifiques dont il loue la fiabilité et l'engagement au-delà de leurs frontières. "Ils ont accompli un formidable travail et envoient maintenant leurs meilleurs médecins aider d'autres pays, par exemple en Iran".
C'est en Chine, où s'est déclarée l'épidémie devenue pandémie et où le virus a pu être très vite identifié, que Penninger veut tester ces jours-ci un médicament dérivé de ses recherches sur le SARS. Ce virus avait d'abord sévi en Asie en 2003 avant de frapper la ville canadienne de Vancouver, où le généticien s'est retrouvé au coeur de la crise (son université a été mise en quarantaine). Le virus du SARS présente de nombreuses similitudes avec le Covid-19. Or, dit-il, "nous connaissons sa porte d'entrée" dans le corps humain, l'agresseur étant d'autant plus dangereux qu'il se fixe sur des récepteurs censés nous protéger. Cette "porte" indispensable pour que l'agent infectieux puisse s'installer, "nous pouvons peut-être la fermer" en employant un médicament élaboré pour le SARS qui se trouvait déjà en "phase II" des essais cliniques, c'est-à-dire qu'il était testé sur des malades.
Ce nouveau virus "encore jeune" va devoir s'adapter à nous, et nous à sa présence. Les problèmes majeurs étant son caractère extrêmement contagieux ainsi que son agressivité quand il atteint des parties essentielles de nos poumons. Car, souligne Penninger, si trop de gens souffrent d'insuffisance pulmonaire grave, nous n'aurons pas en Europe assez d'appareils d'assistance respiratoire extra-corporels ("ECMO" en langage médical) pour y suppléer: "Il n'y en a pas. Ils ont tous été achetés par la Chine et les Etats-Unis". La croyance que les températures printanières mettront fin à la pandémie est par ailleurs illusoire : "Les virus survivent très bien à 25-30 degrés. Si nous tombons moins malades en été, c'est parce que nous vivons davantage dehors, dans des espaces moins confinés où l'air n'est pas aussi sec". En Autriche, les gens avertis ont ainsi renoncé pour les deux semaines à venir à voir leurs enfants chez eux, quand ce sont de jeunes adultes, et n'envisagent en leur compagnie, à la rigueur, que des promenades en plein air.
Ce qui l'inquiète est que des gens guéris après une attaque de Covid-19 puissent retomber malades ensuite: "Ca, c'est une mauvaise nouvelle". Il ne serait pas surpris non plus que le Covid-19 retourne en Chine après avoir sévi dans d'autres endroits de la planète. Et prévoit de grosses difficultés aux Etats-Unis, qui ne disposent pas d'un système de santé publique comparable à ceux de l'Europe ou du Canada. Il rend d'ailleurs hommage aux équipes scientifiques de Berkeley, qui font le maximum pour offrir des tests au plus grand nombre.
Pendant que l'élite de la recherche internationale se bat sur le front, les charlatans en profitent pour exploiter les angoisses de la population. Un adepte de la "médecine d'information" - une branche jusqu'alors inconnue de la médecine! - propose dans la sphère germanique, pour la modique somme de 50 euros, une petite bouteille de digestif qui, plaquée vingt à trente minutes sur le plexus solaire, est censée stopper les virus telle une armure. C'est donné, comparé aux coûts de développement d'un médicament...