Il a choisi comme prénom d’artiste « Odin » : la figure du Dieu paternel dans le panthéon nordique. Et adore peindre des soldats germaniques casqués de fer sur les champs de bataille, quand il ne rend pas hommage aux divinités censées habiter les pierres, le vent et les rivières.
Un artiste proche des néo-nazis
Le peintre et sculpteur Odin Wiesinger (Manfred sur son acte de naissance) coche toutes les cases de l’idéologie d’extrême droite : membre d’une Burschenschaft, ces confréries étudiantes qui se battent virilement au sabre et fournissent de nombreux cadres au FPÖ ; artiste favori de Norbert Hofer, qui a bien failli devenir en 2016 président de la République autrichienne et, outre son poste de ministre FPÖ des transports et de l’innovation technologique, est chargé d'harmoniser les violons de la coalition droite-extrême droite au pouvoir depuis 2018 en Autriche; ses oeuvres sont aussi très appréciées de Martin Graf, un ancien vice-président FPÖ du Parlement connu pour ses idées radicales ; enfin Wiesinger utilise comme logo, révèle le quotidien Der Standard, deux lettres de l’antique alphabet runique « qui furent utilisées par la Waffen-SS et plus tard par des néo-nazis, notamment par la Jeunesse Viking, une organisation interdite ». Selon l’intéressé, il s’agit d’un simple monogramme entrelaçant les "O" et "W" de ses initiales – seuls les esprits mal tournés y lisent autre chose.
Quant à sa vision de l’art contemporain, elle est à l’avenant. Dans une interview publiée en 1998 par le journal Junge Freiheit (Jeune Liberté : une feuille proche de l’extrême droite), le cher Odin dénonçait avec véhémence « la dictature du laid, du diminué (« Minderwertig » : un terme du vocabulaire nazi qui permit de justifier les programmes d’euthanasie sous le 3ème Reich), de ce qui est sans dignité et sans mesure ! En peinture des couleurs jetées et barbouillées à la façon des primates, sur scène de la pornographie et des marmonnements incompréhensibles ». En Italie il est représenté par la Galerie Thule, qui fait l’éloge de sculpteurs comme Arno Breker.
Pour fermer le ban, Wiesinger a récemment insulté sur son compte Facebook Eva Blimlinger, rectrice de l’Académie des Beaux-Arts de Vienne : « Jamais vu un morceau de viande aussi moche et bête ! ».
C’est cet esprit éclairé que le FPÖ de Haute-Autriche, une région où avant l’Anschluss les partisans de Hitler étaient nombreux, mais qui s’est distinguée depuis vingt ans par son ouverture en matière artistique, a choisi de nommer au Conseil culturel du Land : un comité de 25 membres, en majorité des experts, mais dont neuf sont désignés par les partis en proportion de leur groupe d’élus à la Diète régionale. Si cette instance ne prend pas de décisions, elle émet cependant des avis en matière de stratégie culturelle ou de subventions.
Le nom d’Odin Wiesinger a donc fait bondir : le parti social-démocrate SPÖ parle d’une « provocation absolue ». La Plate-forme culturelle de Haute-Autriche et la Société pour une politique culturelle se sont fendues d’une lettre au gouverneur du Land, un conservateur de l’ÖVP (le parti du chancelier Sebastian Kurz) pour lui demander de bloquer cette nomination. Le gouverneur s’est abrité derrière le droit des partis politiques à désigner qui ils veulent : lundi 13 mai, la nomination de Wiesinger a donc été entérinée. Même le quotidien Die Presse, souvent favorable à l’ÖVP, exprime aujourd’hui son malaise.
Les inquiétudes du cinéma autrichien
La perception d'un possible "virage à droite" à la manière hongroise est d’autant plus vive que depuis quelques semaines les milieux du cinéma s’alarment d’autres nominations, aux conséquences, elles, très concrètes pour le financement des films : celles de deux producteurs de la télévision commerciale, Alexander Glehr et Oliver Auspitz, ainsi que d’un acteur de télévision, Hannes Fretzer, au Comité du Film autrichien. Elles ont été décidées par le ministre de la culture Gernot Blümel (ÖVP) et ont suscité une levée de boucliers - le ministère concerné exprime sa « totale incompréhension » devant ces réactions négatives. Quelque 2.200 personnes – ainsi que les plus importantes maisons de production du pays - ont signé une lettre ouverte, à l’initiative de la nouvelle plateforme IG Filmkultur, pour protester contre l’arrivée dans ce comité de personnalités qui n’ont aucune expérience du cinéma d’auteur et se sont surtout illustrées avec des séries télévisées populaires, voire bas de gamme.
Blümel a également nommé au comité en charge des festivals, au sein de son ministère, deux individus dont la principale qualification semble être leur proximité avec le parti de droite ÖVP : un acteur qui a soutenu l'actuel chancelier Sebastian Kurz lors de la campagne législative en 2017, et un producteur de télévision dont l’épouse, Vera Russwurm, une journaliste très en cour auprès des tabloïds autrichiens, prête désormais son image au ministère de la santé – tenu par le FPÖ.
Or le cinéma autrichien occupe une place éminente dans les grands festivals, sans commune mesure avec la population du pays (moins de 9 millions d’habitants). Comparé à ceux de Suisse et de Suède, qui jouent dans la même ligue démographique, il a produit un nombre considérable d’œuvres primées : dans des styles fort différents celles de Michael Haneke (dont le film Amour a remporté la Palme d’or à Cannes et l’Oscar du meilleur long-métrage étranger), d’Ulrich Seidl, de Barbara Albert, plusieurs fois récompensée à la Mostra Venise, ou encore de Jessica Hausner, en sélection officielle à Cannes cette année. Sans oublier ceux qui ont choisi la voie documentaire, tel Hubert Sauper (Le cauchemar de Darwin, lui aussi oscarisé), Nikolaus Geyrhalter (Notre pain quotidien), Ruth Beckermann (La valse de Waldheim), pour ne citer que ces noms. Moins connus du grand public, il y a encore les cinéastes qui creusent avec constance le sillon du film expérimental, dont Peter Tscherkassky, un habitué de la section Wavelength au festival de Toronto.
N’en doutons pas : Cannes sera en 2019 une caisse de résonance internationale des inquiétudes du cinéma autrichien, un milieu qui sait se faire entendre et a beaucoup gagné en notoriété depuis vingt ans. La première fois que la droite alliée à l’extrême droite a tenté de mettre au pas les cinéastes, c’était en 2000 : le secrétaire d’état à la culture de l’époque, un acteur du Burgtheater proche de l’ÖVP, avait voulu « encadrer » la Diagonale, le festival annuel du cinéma autrichien à Graz, en imposant à sa tête un producteur de cinéma commercial. Il avait dû très vite reculer devant la bronca.