Helmut Berger est mort, à 78 ans. Il n'était plus que la caricature de ce qu'il avait été, un genre de beauté qui vieillit mal surtout quand on ne lésine pas sur les excès en tout genre, et il avait annoncé il y a quelques années, après avoir un temps fait les choux gras de la presse germanique, toujours friande du cruel "avant-après", qu'il allait se retirer du monde "comme Marlene Dietrich". Il ne lésinait pas non plus sur l'auto-dérision.
Sa dernière apparition à l'écran, brève mais marquante, fut dans le film que Bertrand Bonello a consacré à Yves Saint Laurent: il y incarnait le couturier âgé, exigeant de son coiffeur une teinte de cheveux tirant sur le blond roux, aussi artificielle que celle de Johnny Halliday. Inoubliable.
La chance de ce petit-bourgeois de la province autrichienne fut d'aller en Italie pour y apprendre la langue, et de croiser la route de Luchino Visconti. Entre lui et ce descendant d'une illustre famille de l'aristocratie lombarde (les Visconti étaient des seigneurs depuis le haut moyen âge), très influencé par le communisme ouvert qui dominait la gauche italienne après la Seconde Guerre mondiale, ce fut le coup de foudre. Inégalitaire, forcément, par la différence d'âge comme par celle, incommensurable, de conditions sociales et de culture.
Selon un schéma classique - qu'on songe à Jean Marais subjugué par Cocteau - Visconti lui a donc "tout appris", et lui a donné de grands rôles. Comment ne pas se souvenir de ce Martin von Essenbeck, pervers pédophile qui se travestit en Marlene Dietrich lors d'une fête d'anniversaire pour choquer son grand-père, patriarche d'une dynastie inspirée des Krupp et des Thyssen, avant de violer sa mère et de se révéler enfin dans l'uniforme SS? Les Damnés fut, en 1969, le premier volet de la "trilogie allemande" de Visconti, un grand film controversé sur la genèse du nazisme.
Les deux autres étant Mort à Venise, d'après Thomas Mann, qui révéla au grand public les symphonies de Mahler, puis en 1973 Ludwig, le film que le cinéaste italien a consacré à Louis II de Bavière, cousin préféré de Sissi et mécène de Richard Wagner. Où brillait de nouveau Helmut Berger dans le rôle du roi fantasque aux dents gâtées, qui eut du mal à assumer son homosexualité et ne put résister à la domination prussienne sur l'Allemagne, de ce post-romantique qui a semé dans le paysage les châteaux les plus délirants, puis finit mystérieusement noyé dans un lac.
Enfin, dans Violence et passion, il était le gigolo de la grande bourgeoise incarnée par Silvana Mangano, avant de séduire un autre acteur fétiche de Visconti, Burt Lancaster. Ce dernier a d'ailleurs interprété cette fascination masculine comme une "timide confession" de la relation qui avait uni Visconti au jeune acteur, à une époque où l'homosexualité était encore largement taboue.
Il y eut aussi Le jardin des Finzi-Contini (de Vittorio de Sica, en 1970), sur une famille de la grande bourgeoisie juive qui face au fascisme se retranche derrière les hauts murs de sa propriété de Ferrare, mais n'échappe pas à la déportation. Et puis beaucoup, beaucoup de petits rôles, dans des films de plus en plus minables, après la mort de Visconti en 1976. À la différence d'un Oskar Werner (le Jules du Jules et Jim de Truffaut), auquel Vienne rendait récemment hommage, il n'a pas été un acteur de théâtre admiré qui pouvait exceller sur les planches comme à l'écran. Il était devenu un clown grotesque aux cheveux filasse, bouffi par l'alcool et les drogues.
Donc Helmut Berger est mort: nous garderons de lui l'image de cette bouche un peu tordue, de ce regard inquiet, de cette beauté vénéneuse qui porte en elle, déjà, les germes de la corruption.