Beaucoup de gens confondent la Cour internationale de justice des Nations unies, qui juge des pays et a été saisie contre Israël par l'Afrique du Sud, et la Cour pénale internationale, la CPI, qui s'occupe uniquement des individus. Cette dernière avait été assez prompte à incriminer Poutine, après l'agression contre l'Ukraine, sans doute parce qu'elle disposait de documents signés de la main du président russe, de preuves tangibles qu'il voulait anéantir la nation ukrainienne.
Dans le cas de Gaza et des crimes commis le 7 octobre, ce fut beaucoup plus long. Plus de sept mois d'agonie, pour les otages israéliens et leurs familles comme pour les Palestiniens soumis à un pilonnage quasi ininterrompu de Tsahal sur la bande de Gaza. Sans compter les agressions des colons israéliens déchaînés contre les Arabes de Cisjordanie.
Cette lenteur s'explique peut-être par les pressions exercées sur le procureur de la CPI, Karim Khan, un Britannique d'origine pakistanaise, pour qu'il n'agisse pas. Et le coup qu'il a longtemps retenu a peut-être à voir avec l'agacement de plus en plus visible de Washington envers Nétanyahou. La balle est désormais dans le camp des juges - selon le Guardian britannique toutes des femmes - à qui il a demandé des mandats d'arrêt: bonjour, les pressions!
Le "joker des puissants"
Pour la CPI, c'était devenu une question de crédibilité, il en allait de sa survie: comment justifier la promptitude dans un cas, l'indécision confinant à la paralysie dans l'autre, sinon en renforçant les arguments de tous ceux qui étaient déjà convaincus que l'Occident utilisait, une fois encore, le "deux poids-deux mesures"? Le "joker des puissants" avait déjà titré la correspondante du Monde à La Haye, Stéphanie Maupas, son livre sur la CPI.
Que vous faut-il de plus, clamaient les défenseurs des Palestiniens, alors que le spectacle effarant des victimes des bombardements, la mort de nombreux journalistes et d'humanitaires, le témoignage déchirant des médecins amputant à même le sol des enfants, les foules affamées assiégeant les camions pour récupérer un peu de farine, soulevaient le coeur de beaucoup de gens.
Pour ma part, j'ai été consternée d'apprendre que l'un des buts de ces bombardements sur Gaza était de pousser les gens à se révolter contre le Hamas. N'a-t-on donc rien appris des bombardements massifs opérés par les Alliés occidentaux contre l'Allemagne nazie? Du désastre laissé dans tant de villes, notamment à Dresde, qui n'avait aucun intérêt militaire et était seulement un trésor culturel, au point que le régime hitlérien n'y avait même pas prévu d'abris pour la population civile?
Bombardements sur Gaza, bombardements sur l'Allemagne nazie
Le résultat fut nul: la population allemande ne s'est pas dressée contre le régime nazi. C'est seulement quand le moustachu fatal s'est suicidé dans son bunker avec quelques affidés, et que ses généraux sont sortis avec le drapeau blanc, qu'on en a fini avec ces gens. Ma pitié envers cette Allemagne-là est très limitée: le nazisme avait agressé la moitié de l'Europe, perpétré des crimes incommensurables, c'était donc, dans une certaine mesure, mérité.
Il n'empêche: il faut avoir vu, par exemple à Würzburg, une ville (très mal) reconstruite après avoir été détruite à plus de 87%, pour mesurer l'ampleur des destructions. Il faut avoir visionné dans toute sa longueur, au musée du cinéma de Berlin, le film muet pris par les Américains survolant un désert de ruines dans la capitale - dues à ma connaissance surtout à l'artillerie soviétique. Il est interminable.
De nos jours, un tel niveau de destruction des populations civiles et des biens culturels serait qualifié de "crimes de guerre".
Pousser les Palestiniens à rejeter le Hamas?
Comment Israël, né de cette histoire terrible, a-t-il pu croire sérieusement (ou cyniquement) que les Palestiniens allaient se dresser contre le Hamas? Choisir de liquider ses militants de préférence la nuit, quand ils étaient au milieu de leur famille - donc trucider par la même occasion femmes, enfants et vieillards ?
Que les choses soient claires: je déteste le Hamas. Je ne crois pas une seconde à leur sermon hypocrite sur le thème "nous n'oserions pas toucher aux femmes, elles sont pour nous sacrées" (sauf quand elles sont en short et T-shirt et qu'elles dansent dans une rave, alors là, pas de quartier...). Quand je vois toutes ces femmes de Gaza portant le foulard islamique - à la différence de certaines militantes palestiniennes de Cisjordanie qui exposent leur longue chevelure -, je suis instruite du poids qu'ils font peser sur toutes celles qui voudraient sortir du modèle qu'ils imposent.
Mais la décision - enfin! - du procureur de la CPI va faire plus de mal à Nétanyahou qu'aux dirigeants du Hamas. Ceux-là sont habitués à ne pas pouvoir voyager. Pas Nétanyahou et Gallant, qui risquent d'être menacés d'arrestation dans tous les pays membres de la CPI - à l'instar de Poutine. Et l'on voit mal comment l'élection de Trump pourrait effacer cet opprobre.